Frijia supportait depuis trop longtemps la discussion entre Klazi et la personne dans le couloir. Elle eut le temps de compter jusqu'à cent quatre-vingt-trois, abandonner, imaginer de nouveaux jeux de mots ridiculement divertissants, compter de nouveau tous les objets de couleur blanche dans la pièce, imaginer mille manières de massacrer Klazi, recompter mais cette fois-ci à l'envers et...s'ennuyer comme une souris morte.
Au moins la souris sourit...
Mon niveau d'humour devient inquiétant...
Mais si la souris sourit et que moi je souris, mon sourire, peut-il être qualifié de sourire de souris ?
Je m'ennuie...
– Oh mais ce n'est rien mon gros bonhomme ! s'exclama le roi en invitant enfin l'autre personnage.
Klazi ne mâchait pas ses mots envers la gent masculine et cela faisait rire Frijia, auparavant. Le duc de Jarne apparut sur le seuil, les joues écarlates. Ses cheveux, poivre et sel, étaient mi longs et il semblait sur le point d'étouffer dans ses habits de noble vivant trop aisément. Klazi posa une main sur l'épaule du duc. Frijia poussa un long soupir : enfin la fin de son ennui !
– Regardez-vous, grand benêt ! Rempli d'argent et de graisse ! Et cet habit tarabiscoté n'est plus à la mode ! Faites un effort ou votre dame vous lâchera aussitôt !
– Roi Klazi, je n'ai pas votre aura...
– Ni mon élégance, ni ma beauté, ni ma divine intelligence mais vous pouvez vous retenir de manger gras, de boire à flot et vous informer des dernières tendances ! Allons ! Votre dame risquerait de vous trouver trop négligé ! Elle vous préféra sûrement un jeune homme au corps musclé et vêtu des couleurs de la saison !
– Vous...vous avez raison, je vais de ce pas appliquer vos conseils...bonne nuit...
Il s'apprêtait à quitter la pièce en se confondant en excuses adressées à Frijia mais Klazi le retint en posant une main sur son épaule.
Bon courage duc de Jarne...vous avez attiré l'attention de l'Aigle...
– Mais non restez ici, mon pauvre ami ! Vous sembliez intéressé par notre conversation !
– Pas le moindre du monde...
Ah oui ? C'est parce que tu n'étais pas intéressé que tu étais caché derrière la porte ? Espèce de curieuseur grassouillet dégoutant !
Je viens d'inventer une insulte ! C'est excellent, rajoutons cela à ma liste de mots et insultes inventés qui ne me serviront qu'à mentalement insulter les autres, à défaut de pouvoir le faire ouvertement...quelle maudite société...
Le noble fut saisi de tremblements. Klazi pouvait avoir l'air imposant car il souriait en toute occasion...ce qui était parfois effrayant, il fallait se l'avouer. Même pour Frijia. Vergaï arborait toujours un sourire confiant et mauvais mais le Roi du Ciel Blanc lui, affichait un sourire jovial, sincère. Dans des moments inopportuns, sourire ainsi pouvait être terrifiant...
– Mais...mais vous tremblez ! remarqua Klazi. Je vous interdis de trembler devant moi à moins que ce soit de colère ou dans le cas où vous apprenez que votre femme s'est amusée avec moi durant son séjour !
– Ma femme ?
– Allons, allons, je vous taquine ! Tenez buvez un peu, cela calmera vos ardeurs !
Bien sûr qu'il ne te taquine pas...pfff...Klazi...tu es irrécupérable...
Il alla chercher un verre sur la table, versa du vin de la bouteille aux couleurs violacées et lui tendit le verre. Le duc était hésitant, mais devant le sourire enjoliveur de Klazi, il feignit un léger air amusé, prit le verre et but.
– Merci, cela fait du bien...
– Mon ami, rien ne vaut la boisson et la compagnie d'une gente demoiselle ! Comme je le répète et en fait ma devise : rien ne vaut le vin très cher et le plaisir de la chair ! A ce propos, hum...je n'ai pas vu votre femme ? Où est-elle ?
– Dana est en compagnie de quelques dames...il me semble qu'elles jouent au piano dans l'une des pièces du château, répondit le duc en jetant un regard suspicieux au roi brun.
– Oh intéressant, fit Klazi en se passant la langue sur les lèvres. Bon ! Trêve de plaisanterie !
Le duc suspendit son geste et le regarda avec une pointe de peur dans les yeux. Klazi s'approcha de lui, le fixa et s'écria :
– Dites-moi que ce vin est le plus délectable de tous !
– Oh ! Mais oui ! Assurément Votre Majesté !
Frijia étouffa un rire sans joie et leva les yeux au ciel.
Allez, on se prépare pour le bagout...pitié par tous les flocons de neige, épargnez-moi ça...
– Sentez-vous cette sensation de chaleur qui recouvre votre âme tel la caresse sensuelle d'une femme ? Elle est exquise ! Et ensuite, parce que là est le plus fascinant avec le vin, c'est le voyage qu'il offre aux papilles ! De cette chaleur naît une brûlure aussi douce que les baisers avides et ardents d'une femme...
Frijia voulut éclater de rire mais se retint. Elle était une représentante du roi Vergaï tout de même et devait, par conséquent, manifester un peu de retenue !
Mais c'est incroyable comment il ramène tout aux femmes...il mériterait de se faire briser le cœur une fois pour toute...
Non pas briser, plutôt piétiner !
– Ensuite tout se calme, le goût doux et mielleux vous transporte...
En parlant il ne cessait de verser de nouveau du vin dans le verre du duc. Frijia avait saisi sa stratégie...
– Vous décrivez cela avec une aisance déconcertante, Votre Majesté !
– Les mots jaillissent de mon âme enivrée de plaisirs ! Voilà mon secret, mon bonhomme ! Avant, je partageais cet amour et la poésie autour du vin et de la femme avec ce très regretté comte...
Et on y vient...
– Ah, celui dont on a retrouvé le corps sans vie...cela est désolant...il était jeune. Et de bonne compagnie à ce que l'on dit.
– Oh, cela me chagrine énormément, vous n'imaginez pas à quel point ! se lamenta le roi. Et dire qu'il a été assassiné !
– Le coupable sera vite démasqué Votre Majesté, je l'espère de tout cœur.
Klazi hocha doucement la tête et demanda :
– N'avez eu vent de rien le concernant ? Vous me paraissez intelligent et juste mon ami (il lui tapota l'épaule), avez-vous des doutes ou quoi que ce soit concernant cette sordide affaire ?
Le duc sembla hésiter. Il fut encouragé par une énième gorgée de vin.
– Eh bien, puisque vous le dites je...non mais c'est une broutille...
– Parlez, mon cher ! Je suis sûr que si votre esprit se souvient de ce détail, c'est qu'il n'est pas si futile...
– Non je ne sais vraiment pas et ce n'est pas très noble de parler des autres dans leur dos...
Il a peur le duc...mais de qui ? Cette affaire me paraît de plus en plus saugrenue...
– Bon...entre nous...cela reste entre nous...
– Oh mon duc, vous êtes si prévenant ! Tout ce que vous direz sera retenu entre ces murs, n'ayez aucune inquiétude...tenez buvez...
– Merci...hic...alors j'ai rencontré le duc de Polstor, qui est un homme n'appréciant guère le Pouvoir, et il me semble qu'il s'est querellé avec...avec ...hic...ce jeune comte...au sujet des démons noirs, vous savez...
Klazi échangea un regard avec Frijia. Les démons noirs, ces horreurs...le duc de Polstor pourrait très bien en faire partie...
Frijia, n'allons pas si vite en besogne...
– Oh, intéressant ! souligna Klazi, toujours dans son rôle. Et vous pensez...qu'il aurait pu le tuer ?
– Je n'ai pas d'idée à ce sujet. Je sais hic...que le soir du meurtre, il n'était pas avec nous comme prévu...mais peut-être était-il seulement fatigué ou lassé de notre compagnie ?
Ou qu'il était occupé à tuer un homme...
Klazi esquissa un sourire chaleureux et tapota l'épaule du duc :
– Merci mon ami de ces confidences. Vous permettez ?
Il lui retira le verre des mains et souffla :
– Je pense que vous avez trop bu et que pour votre santé, il vaudrait mieux arrêter...
– Hic...oui...
– Mais une dernière question : qu'est-ce qui vous a empêché de parler de cette querelle ?
– Le duc hic...est dangereux et a du pouvoir...hic...après le différend, il a dit que quiconque en parlera, paiera...
– Merci, mon ami...
Et le duc s'effondra quand le roi du Ciel Blanc le rattrapa. Frijia l'aida à l'étendre sur un canapé de la pièce et il la gratifia d'un sourire :
– Eh bien nous avons une belle piste, splendide Frijia.
– Les démons noirs ?
– Ou la fierté de cet homme. Mais oui je pencherai sur les démons noirs en effet...je soupçonne des invités de faire partie de cet infâme groupuscule...
Mais s'ils voulaient tuer quelqu'un...ils l'auraient revendiqués, non ? Ce n'est pas logique...bon, j'y réfléchirai à tête reposée...
Frijia lança un regard au duc désormais endormi et sourit :
– Tu l'as achevé, le pauvre homme...
– C'est l'effet que je fais, dit-il avec un clin d'œil. Mais il est vrai que j'ai les yeux qui poignardent et...
Frijia réfléchit alors et prit le temps de digérer les informations. Il ne fallait pas aller vite et tirer des conclusions hâtives mais interroger cet homme comme le duc...et ensuite il se pourrait que les démons noirs aient infiltré le château....
– ...A quoi penses-tu, ma belle Frijia ?
– A te défigurer si jamais tu m'adresses la parole avec un adjectif de ce type !
– Je retrouve la Frijia d'antan, femme sans honte ni gêne, frénétique et impulsive ! Tout ce que j'adore !
– Vois-tu mon coq, si ta devise est : rien ne vaut un vin très cher et le plaisir de la chair, la mienne serait plutôt : rien ne vaut le poulet grillé et sa tendre chair ! Alors arrête de te comporter ainsi ou je sommerai Nira de te brûler vif !
Et en plus, mon estomac hurle comme une armée de mille hommes...
Il éclata de rire tandis que Frijia se retenait de le frapper. Il l'énervait...au plus haut point ! Soudain, une question lui effleura l'esprit et l'empêcha de penser à sa faim. Elle demanda :
– En parlant de poulet, où est ta sœur ?
– Pourquoi ?
– Juste de la curiosité.
– Elle est sûrement avec les autres dames, que sais-je !
– Je la vois rarement ces temps-ci...
– Oh moi de même ! Elle s'est éprise de la vie de la Cour, je suppose...
Ou de la compagnie de Faral...même si j'ai du mal à y croire...Faral n'est pas comme ça...enfin...je ne le connais pas assez. Esperanza, quant à elle, je la connais et elle est dangereuse.
Klazi fronça les sourcils et se pencha vers elle :
– Frijia ma douce, Esperanza est ma sœur. Elle est comme moi, en plus effrayante voilà tout. Je sais que tu ne l'apprécie pas mais je t'assure qu'elle est...
– Vergaï a dit quelque chose de curieux à propos de ta sœur...
Le regard de Klazi s'assombrit et il l'avertit d'une voix où il n'y avait nulle trace de charme :
– Belle Frijia, tu sais que tu peux te moquer ou me traiter de tous les noms, cela ne me dérange absolument pas. En revanche, je t'interdis de parler de ma sœur.
Tu ne sais pas Klazi...tu ne sais pas comment est Esperanza...
Klazi braqua son regard sur la porte et Frijia se tourna pour voir Horn. La diplomate fut surprise de le voir légèrement amoché, le regard exténué et l'air tout secoué. Le regard de l'espion alla croiser celui du roi.
Oh Horn...que t'est-il arrivé, mon amour ?
– Horn ! le salua ce dernier tout sourire. Comment vas-tu ? Oh...mal à ce que je vois...
– Bien, lâcha l'espion d'un ton neutre. Vergaï vous attends.
Klazi sourit de plus belle :
– Oh je viens de suite, mon ami. Vergaï peut encore patienter...
– Non, trancha Horn en le fixant droit dans les yeux. C'est impératif.
– Il n'y a pas mort d'hommes, que je sache !
– En l'occurrence, si.
Klazi fronça les sourcils. L'amant de Frijia expliqua d'un ton monotone :
– La première riposte du Royaume du Feu Éternel a été lancé...tous les habitants des Royaumes Élémentaires originaires de votre royaume ont été expulsé en réaction à votre imminente alliance avec Vergaï et Nira...ils sont au courant.
Frijia demeura bouchée bée. Aussi vite que cela...
Le visage de Klazi blêmit légèrement. Il détestait plus que tout que l'on touche à son peuple. La diplomate le savait bien et c'était une des rares qualités de cet homme.
– Il les a expulsés, répéta-t-il, le regard dans le vide. Et il y a eu...
– ...Des morts. Des personnes ne voulant pas quitter le lieu où elles vivent, des nobles refusant de céder leurs terres en raison de leur origine...
– Oh et il pense me dissuader de l'attaquer en commettant cet acte de lâche ? Il ne peut pas encore m'atteindre alors il s'en prend aux plus faibles ? Où sont passés la ruse et l'honneur de cet homme ?
– Il est mourant et affaiblit. C'est la reine Falièna qui...
– Mais bien évidemment qu'il est mourant ! Son trône ne lui confère plus l'immortalité !
Frijia tiqua. Elle se tourna vers Klazi. Lentement.
– Comment cela l'immortalité ?
– Vous l'ignoriez ?
Frijia et Horn acquiescèrent sans rien dire.
– Pourquoi, par tous les nénuphars peuplant la Rivière des Roses, suis-je le seul à avoir des connaissances dans ce château ? Est-ce difficile d'être cultivé ?
– Klazi, arrêtes ça immédiatement. Et explique.
Il croisa les bras et soupira :
– Pourquoi à votre humble avis, le trône de flamme est-il aussi désiré ? Outre les pouvoirs phénoménaux de maîtrise de la magie qu'il confère ?
– Je pensais que le pouvoir était suffisant, ronchonna Frijia.
– Oh que non ! Celui qui possède le trône vivra aussi longtemps que les flammes demeureront !
– L'immortalité, souffla Frijia, effrayée et fascinée à la fois.
Vivre jusqu'à la fin des temps. Survivre aux maladies, ne pas vieillir. Les légendes parlaient de l'immortalité mais jamais Frijia n'aurait cru cela possible. Cela dépassait l'entendement. Ce trône...comment était-ce possible qu'un pouvoir aussi puissant puisse exister ?
Klazi haussa les épaules et poursuivit :
– D'où l'intérêt immense qui lui est porté et le stratagème de Snéjan...il a volé, non seulement les pouvoirs, mais également la vie éternelle au roi du Feu. Et c'était le bien le plus précieux qu'il avait...
Horn fronça les sourcils et avança prudemment :
– Mais comment aurait-il pu voler la vie éternelle au roi du Feu...il n'a fait que geler le trône, les flammes sont toujours là mais gelées...
– Eh bien le roi du Feu vit depuis bien trop longtemps et son immortalité s'est en quelque sorte gelée...c'est pour cela qu'il est faible et qu'il est mourant...il ne mourra pas mais vivra en homme mourant, rabougri et piteux pendant longtemps !
Frijia comprit alors une chose, une chose qui lui glaça le sang, une chose qui la tétanisa, immobilisant tous ses membres...
Si cela est vrai alors...
Par tous les flocons de neige, ce n'est pas possible...
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Voilà voilà pour ce chapitre dans lequel on retrouve notre cher Klazi que vous adorez tous 😂😂 ! Bon...pour une fois, il est utile parce qu'il divulgue des informations non négligeables !
Vous avez compris ce que Frijia a conclu de ses dires ? 😏
J'espère en tout cas que l'histoire vous accroche toujours autant en vous remerciant de tout coeur de lire et à très vite pour la suite ! 😘
Belle soirée à vous ! ❤️
Rêveusement,
EdanaSiligan