Avant de prendre la direction du réfectoire, je cherchai dans le local un uniforme à ma taille et flambant neuf. Vous aviez voulu ranger mes affaires en mon absence ? Très bien, je n'avais qu'à me servir.
Malgré mon régime digne d'un mannequin, autrement dit pas grand chose dans l'assiette, je n'avais pas perdu une taille. La chemise flottait un peu, mais la veste camouflait le tout. L'uniforme noir et doré était accompagné d'une cravate au couleur des Tilion, sombre à faire peur. Je posais mon regard sur les chaussettes montantes d'Ali. Elle m'avait gentiment laissé sa chambre pour que je puisse me changer.
La décoration était à son image avec des poster de joueurs de Capflag dont j'ignorais le nom, certainement d'anciens élèves qui avaient marqué l'histoire, et des coupes remplies de fumée qui ressemblaient à des trophées argentés. Il y avait aussi deux drapeaux, une aux couleurs des Tilions et l'autre à celui des Sauron, qui illustraient bien combien Ali était tiraillée entre sa famille de sang et sa famille de cœur.
Si il y a quelques secondes, je comptais faire bonne impression en respectant la tenue vestimentaire dans les règles de l'art, je choisis finalement de me démarquer. Je pris la cravate et la nouai lentement autour du col de ma chemise, j'avais perdu l'habitude depuis. Puis, j'enfilai les chaussettes d'Ali qui m'arrivaient jusqu'aux genoux avant de mettre mes bottes de la même couleur que ma veste.
Je me regardai une dernière fois dans le miroir et ajustai mes cheveux qui n'avaient jamais été aussi longs.
— Ça va là-dedans ? me demanda Ali depuis l'autre côté de la porte.
— Tu sais te servir d'une paire de ciseaux ?
— Euh, hésita-t-elle. Un couteau peut faire l'affaire ?
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La mousse des chênes annonçait la fin de l'hiver. Le printemps commençait timidement à montrer le bout de son nez, mais pas suffisamment pour se balader en short et en t-shirt à l'extérieur. Je remarquai bientôt des trépieds, des caméras et d'autres accessoires que j'avais déjà pus apercevoir sur des plateaux de tournage à Phoenix, du temps où je m'intéressais au cinéma. Les journalistes mangeaient certainement en même temps que les élèves.
Ali avait, quant à elle, trouvé une excuse pour esquiver le repas. Elle ne voulait sous aucun prétexte croiser la tête de son frère ou d'un agent de l'OIS. Aussi, je remontai les jardins seule dans un silence morbide. Malgré l'ambiance peu chaleureuse, mes doutes s'estompaient à mesure que mon attention s'affûtait.
— Hé, toi ! hurla un homme depuis un stand. Les balades nocturnes sont interdites, qu'est-ce que tu fais là ?
Il s'avança d'une démarche brute, masculine et sa veste en cuir noir me faisait penser à un vieux mafieux.
— Je vais au réfectoire, vous voyez bien qu'il n'y a que ce bâtiment sur ce chemin.
— Le repas a déjà commencé depuis vingt minutes, dépêche toi d'entrer, m'ordonna-t-il en désignant la cantine d'un doigt tordu.
— Je n'ai pas dit que je voulais manger, le contredis-je.
— Bon, ça suffit ! Si tu te moques de moi, je vais devoir faire un rapport. C'est quoi ton nom ?
— Riva. Ambre Riva, lui répondis-je avec un sourire.
Ses sourcils prirent une forme étrange. Il doutait de ma sincérité, mais mon nom l'avait fait réagir.
— Qu'est-ce que tu me chantes ?
J'invoquai alors une flamme dans ma paume, pour lui prouver mon identité. Personne n'en était capable à Diafosa. L'homme déglutit péniblement avant de regarder plusieurs fois derrière lui.
Puis, il partit en détalant sans demander son reste vers le réfectoire. Il était certainement en train de prévenir son supérieur ou qui sais-je encore.
J'attendis patiemment trois secondes, le temps de prendre une grande inspiration et de poser mes mains fraîches sur mes joues pour me réveiller. J'étais prête.
Je parcourus les mètres qui me séparaient du réfectoire et entrai dans le hall sans demander la permission à qui que ce soit. D'ici, j'entendais le brouhaha de la cantine qui bourdonnait dans mes oreilles.
La main posée sur la poignée infestée de microbes, j'attendis en me mordillant la lèvre. J'étais bien plus nerveuse que je le croyais, mais pas le temps de réfléchir, il fallait y aller. J'ouvris brusquement les portes qui claquèrent contre le mur.
Une centaine d'yeux se posèrent sur moi, mais le plus terrifiant résidait dans ce silence instantané. J'avais presque la nausée à voir tous ces visages et leurs bouches grandes ouvertes. Puis, comme si la troisième guerre mondiale avait éclaté, tout le monde se mit à parler. « C'est un fantôme, forcément ! », « Regarde, regarde ! », « C'est pas possible, j'y crois pas » et d'autres phrases que je n'arrivais même plus à comprendre tant il y avait du bruit qui fusait dans tous les sens.
Les journalistes ne m'avaient jamais vu de leur vie, et pourtant, ils furent les premiers à sortir un appareil photo de je-ne-sais-où et à mitrailler leurs boutons. Bientôt, je fus submergée par une foule d'étudiants qui me posaient des questions toutes plus absurdes les unes que les autres, mais j'étais tout de même contente de revoir certains visages comme la serveuse du café, le professeur de mythologie et d'autres camarades de classe. Les flash éblouissaient désormais la pièce si bien que je n'arrivais même plus à distinguer qui me serrait la main.
— Alors, c'est toi la fameuse Riva ? demanda une voix suffisamment forte pour que je l'entende malgré tout ce brouhaha.
Les journalistes s'écartèrent pour laisser passer une fille de mon âge à la beauté mystérieuse. Elle portait une tenue sévère pour son âge, un tailleur bleu pâle habillé de boutons d'or. Sa queue de cheval se balançait de gauche à droite lorsqu'elle s'avança dans ma direction avec un sourire poli qui signifiait plus qu'elle se sentait supérieure à qui que ce soit ici. Ses yeux bleus, aussi clairs que du crystal, croisèrent les miens. Elle tendit sa main décorée d'une chevalière en or avant d'ajouter :
— Je suis Gwenn, la descendante d'Athena et la nouvelle présidente de Diafosa. Ravie de te rencontrer.
Je répondis aussitôt à ses salutations et empoignai sa main avec force pour lui montrer qu'elle ne m'intimidait pas.
— Ambre Riva, lui répondis-je en lui rendant son sourire aussi faux que le mien. Je suis assez surprise d'apprendre que Leith ait été remplacé.
— Il a fait son temps. Sa priorité était de s'occuper de cet établissement, mais il avait la tête ailleurs. Je suis soulagée de voir une étudiante portée disparue en un seul morceau, s'enthousiasma-t-elle. Je veillerai personnellement à ce que ton installation se passe à merveille, ne t'inquiète pas.
Je compris aussitôt de quoi elle voulait parler. Leith me cherchait sans relâche depuis des mois, et apparemment, notre charmante Gwenn ne semblait pas l'apprécier.
— Ce n'est pas vraiment ce qui m'inquiète, lui avouai-je en prenant un air désolé. À vrai dire, je crains que les protecteurs n'attaquent à nouveau Diafosa.
C'était évidemment un mensonge, mais il fut tellement efficace que les journalistes se bousculèrent presque pour mettre leur satanée micro sous ma bouche. Des étudiants grimacèrent de peur, pendant que d'autres semblaient prêt à en découdre.
— Je ne remets pas en cause tes compétences, mais il me semble qu'une étrangère se doit de prouver de quoi elle est capable, tout particulièrement en ces temps de trouble où nous pouvons être attaqués à tout moment et que l'un de nos gardiens manque à l'appel.
Les étudiants écoutaient mes propos comme s'il s'agissait des paroles d'un Dieu, et certains approuvèrent en criant.
— Je ne sais pas exactement comment est-ce que tu as fait pour t'auto-proclamer présidente, mais je pense qu'il serait plus sage de faire ça dans les règles. Des élections, proposai-je après quelques secondes. Des élections avec des évaluations pour nommer de nouveaux gardiens capable de prendre de bonnes décisions et de nous protéger de tout danger.
— Leith nous a protégé, s'insurgea une voix hystérique depuis la foule.
Je reconnus Livia avec ses affreux cheveux rouges en uniforme qui fronçait durement les sourcils.
— Leith n'est plus ici pour le moment, et il a prouvé qu'il n'était pas digne de Diafosa, la coupa la descendante d'Athena.
Livia piqua une crise et partit en donnant des coups de coude à travers la foule. Elle était folle de rage de voir cette femme à la place son chéri adoré. Gwenn reprit :
— Néanmoins, je suis d'accord avec toi, Ambre. Le futur président doit avoir les épaules suffisamment solides, et je tombe comme un cheveu sur la soupe.
Son approbation me surprit autant que celle des journalistes qui notaient le moindre de nos faits et gestes.
— Nous organiserons des élections pour constituer un nouveau conseil de confiance et puissant. Les participants devront réussir des épreuves pensées par nos talentueux professeurs qui nous prépareront au pire. Je suis évidemment volontaire.
Je serrai les poings contre ma jupe. La descendante d'Athena avait gagné sur ce coup. Moi qui avais l'intention de ramener les étudiants de mon côté et de l'humilier en public, elle avait su faire preuve de sagesse et d'accepter gentiment ma proposition en se mettant par la même occasion en avant. Les journalistes prirent encore des photos et s'excitaient d'une telle nouvelle, de même que les étudiants. Filmer les fameuses élections du conseil pour le monde surnaturel alors que cela n'était jamais arrivé dans l'histoire, comment ne pas s'en réjouir ?
Je gardai mon sourire pour faire bonne impression et montrai que son petit jeu ne me faisait ni chaud ni froid. La descendante d'Athena s'excusa en prétextant du travail, mais elle me demanda de la voir en cas de n'importe quel soucis.
Lorsqu'elle partit, je respirai de nouveau. Les journalistes, en revanche, souhaitaient ma mort.
— Riva, comment avez-vous pu survivre à cette attaque ? Que savez-vous de ces ravisseurs ? demanda une jeune femme avec des lunettes cubiques.
— Leith a-t-il réellement démissionné ? Pourrait-il se présenter à nouveau au poste de président ? Que pensez-vous de lui ? Apparemment, vous étiez très proche, ajouta un fae aux oreilles pointues.
— Allez-vous vous présenter également pour le poste de présidente ? Pensez-vous en être capable malgré votre traumatisme ?
— Assez de questions, s'interposa une voix masculine que je reconnus aussitôt.
Angie posa une main sur mon épaule et m'entraîna à sa suite alors que les journalistes pestaient de mon silence. Ses cheveux blonds rebondissaient sur sa tête lorsqu'il traversa le hall avant que l'on se retrouve dehors. Sa main était serrée si fort autour de mon poignet qu'il menaçait de finir en bouillie. Le vent s'était levé, si bien que les sapins frissonnaient sous les attaques d'air.
Lorsque nous fûmes dans la forêt et enfin à l'abris des regards, il me serra de toutes ses forces dans ses bras.
— Je me suis tellement inquiété, chouina-t-il dans mon cou.
Je n'avais jamais vu Angie pleurer en dix-huit ans d'existence, mais j'étais presque sûre qu'il se retenait de le faire. Je caressai gentiment son dos.
— Je vais bien, le rassurai-je.
— J'ai cru que tu étais morte, me répondit-il en s'écartant pour regarder mon visage.
Il agrippa une mèche de mes cheveux. Ses yeux brillaient et il reniflait sous l'émotion.
— Tu as coupé tes cheveux, remarqua-t-il avec un sourire. Shrek a beaucoup changé en trois mois, mais tu restes toujours aussi laide.
Je lui rendis son sourire et décidai de l'enlacer à nouveau dans mes bras. Angie était toujours le même, chaud et réconfortant. Ses cheveux blonds en bataille formaient un nid d'oiseau complètement désordonné, et il sentait l'après-shampoing à la vanille, l'une de mes odeurs favorites. Après des minutes à rester dans ses bras, il reprit la parole :
— Comment c'était là-bas ? Qu'est-ce que tu ...
— Mon père est en vie, lui avouai-je avec un sourire triste. Il est en vie et a complètement changé, je ne le reconnais pas. Les protecteurs ne sont pas mauvais, contrairement à ce que je pensais, mais je ne suis pas non plus totalement de leur côté.
Angie s'écarta et m'adressa un regard grave. Je n'étais pas censée en parler à qui que ce soit, mais je faisais confiance à Angie, comme s'il s'agissait de mon propre frère.
— Je serai de ton côté peu importe ce que tu choisis. Si tu veux partir dans une autre ville et oublier toutes ces histoires, je viendrais avec toi sans hésiter. Mais, je sais que ce n'est pas ton genre de fuir, remarqua-t-il avec justesse. Et, même si tu partais, tu ne serais jamais tranquille. C'est à toi de choisir ce qui te semble le plus juste et je suis sûre que tu y arriveras.
Je souris comme une imbécile lorsque ces paroles sortirent de sa bouche. Je ne regrettai pas une seule seconde de lui en avoir parlé.
— J'ai deux idées en tête pour le moment, repris-je. D'abord, et ce ne sera pas une mince affaire, lever la malédiction pour sauver Alec.
— Vlad t'en empêchera, pareil pour Gwen, me contredit-il aussitôt. Je ne sais pas ce qu'elle a derrière la tête, mais ça ne sent pas bon.
— Je me chargerai personnellement de Vlad. Gwen m'emmène justement à ma deuxième idée. Pour éviter les conflits entre les protecteurs et les surnaturels, je dois être suffisamment influente pour être une sorte de messagère entre ces deux peuples. Diafosa ne peut pas rester aux mains de cette fille qui se croit plus maline que les autres. Ça sera moi la présidente, jusqu'à ce que Leith revienne en tout cas. Puis, quand ce sera fait, je deviendrais une gardienne.
— L'examen sera plus difficile que toutes les épreuves auxquelles tu n'as jamais pensé. Peut-être même plus difficile que ce que tu as subi psychologiquement chez ces mons... les protecteurs, se ravisa-t-il. Adam nous a tout raconté et je pourrais t'aider à te préparer si tu en as besoin, même si les épreuves risquent d'être encore plus dures que les années précédentes.
— Je peux y arriver ! Je ne me suis pas entraînée pour rien pendant trois mois. Le problème, c'est qu'il me faut un complice. Une personne de confiance qui se présenterait pour devenir un gardien mais qui me cédera sa place ensuite.
Angie posa une main sur son menton et regarda dans le vide.
— Il te faut quelqu'un de suffisamment puissant pour gagner les épreuves, qui soit de ton côté et qui ne pense pas qu'à son intérêt dans toute cette histoire. Ça va être assez difficile à trouver. Je me serais bien proposé, mais je ne suis pas assez fort et tu dois forcément collaborer avec une personne des Tilion.
— Si seulement je pouvais parler à Alec et le convaincre, murmurai-je pour moi-même.
— Alec ne veut plus jamais entendre parler du conseil ou des gardiens, il a été très clair la dessus. Lorsque la descendante d'Athena a débarqué aux côtés de l'OIS, ils ont très vite posé un ultimatum à Leith : toi ou sa place. Gwenn pensait que si Leith disparaissait de la circulation, Alec se rangerait de son côté, mais ça n'a pas été le cas. Le lendemain, il a annoncé qu'il quittait ses fonctions. Même si j'ai du mal à l'admettre, il est un excellent gardien. Ça nous a tous fait un choc, déplora-t-il en secouant la tête.
— Où est-il en ce moment ?
— Il a quitté la cantine plus tôt. Pas besoin de le chercher, à l'heure qu'il est tout le campus doit savoir que tu es de retour. Ce n'est qu'une question de temps avant qu'il te trouve.
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Bonsoir 😏
Un chapitre de 2500, ça faisait longtemps ! N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé, ça m'aidera pour écrire la suite 👍🏼
Cette musique 😍😍😍
À bientôt !