Öta avait angoissé toute la nuit. Il ne s'était toujours pas remis de l'altercation qu'il avait eue avec Nora, ressassant en boucle la scène dans sa tête.
Il s'en voulait terriblement de l'avoir blessé, car à ses yeux peu importe que ce soit un accident et que Nora l'ait menacé, personne ne méritait ça.
Il savait que la violence ne pouvait rien apporter de bon, et ça le rendait incapable de se pardonner. Pire encore, il se rendait parfaitement compte que les conditions de vie de Nora et son manque d'accès aux soins pouvaient provoquer une infection.
Öta ne désirait pas avoir sa mort sur la conscience.
Ainsi toute la nuit il avait espéré que Sarah ait trouvé son sac et compris l'utilité des médicaments à l'intérieur.
« Faites qu'elle les ait donnés à Merry. » Avait-il prié, encore et encore, jusqu'à s'endormir d'épuisement.
Alors, lorsque le lendemain matin Sarah le prit à part pour le remercier, il fut profondément soulagé. Mais elle enchaina ensuite :
« Il faut vraiment être stupide pour avoir envie de se battre avec Nora. » râla t-elle, tandis que Öta détournait les yeux. « Je t'avais pourtant dit de laisser tomber !
- Je ne voulais pas. J'ai suivi Elan, c'était son idée... »
Sarah fronça les sourcils.
« Et en plus, tu as mêlé le père de Jol à tout ça ? Bon sang, c'est vraiment n'importe quoi. »
Öta renifla, penaud.
Avec un peu de chances, tout s'arrangerait ? Non ?
Malheureusement, rien ne s'arrangea.
Au contraire.
Lorsqu'Öta rentra ce soir-là, après une journée épuisante dans la boutique de Ulrich, il se retrouva confronté à Élan. L'herboriste était de mauvaise humeur et prit Öta à part.
« Tu as pris des médicaments dans mon atelier, sans m'en avertir ! J'espère que tu as une bonne excuse pour ça.
- Oui, je les ai donnés à la sœur de Nora pour qu'elle le soigne. »
En entendant ça, Élan entra dans une colère noire. Il cria :
« Tu as fait quoi ?! »
Une violente dispute débuta alors entre eux.
Élan était furieux que son apprenti l'ait volé, surtout pour aider un vaurien. Les médicaments dérobés par Öta coutaient cher et étaient difficiles à produire.
À ses yeux, Nora ne méritait pas leur pitié et avait cherché ce qui lui arrivait.
Mais Öta n'était pas du même avis.
« Si j'ai accepté de devenir ton apprenti, c'est pour pouvoir soigner et soutenir mon prochain ! Pouvoir tendre la main à ceux qui en ont besoin, de la même manière que Alda et toi l'avez fait pour moi ! Et surement pas pour répandre le sang comme un vulgaire criminel ! »
Il était rare de voir Öta s'emporter à ce point.
Finalement, en entendant leurs cris Alda se précipita dans la pièce. Elle les sépara, exaspérée et déçue par leur comportement.
Élan claqua la porte, irrité.
Depuis leur dispute, Elan n'avait plus vu Öta. Au début, il ne s'était pas inquiété plus que ça.
« Il doit bouder dans un coin. »
Mais au bout de plusieurs jours, il commença à se poser des questions.
Certes, Öta était un adulte et avait l'habitude de vivre de son côté sans nécessairement être présent auprès d'eux au quotidien... mais jamais il n'avait disparu aussi longtemps.
Lorsqu'il commença à montrer des signes d'inquiétude à ce sujet, Alda roula des yeux.
Le soir, il décida d'aller toquer à la porte de sa chambre, mais personne ne répondit.
« Öta ? »
Silence. Se rendant compte que la porte n'était pas fermée, il entra.
Ce qu'il y vit le paniqua.
Rien. Il n'y avait rien.
Aucune affaire d'Öta, aucune trace de vie récente.
La chambre était vide.
Öta était parti.
« Öta a disparu ! »
Tandis qu'Élan parcourrait le quartier à sa recherche, cette phrase tournait en boucle dans son esprit. Où diable pouvait-il être ?
Il n'était pas parti définitivement, n'est-ce pas ? Ce ne pouvait pas être possible. Pas Öta.
Le cœur d'Élan se serra. Il n'arrivait plus à imaginer sa vie et son quotidien sans son apprenti. Öta était un membre de la famille. Il ne pouvait pas les quitter. Pas comme ça.
Il tenta d'abord de se rendre chez son ancien maitre, persuadé qu'il saurait quelque chose. Öta n'était pas le genre de personne à abandonner ses responsabilités.
Mais non. Voilà plusieurs jours que le vieil homme n'avait plus vu Öta. Mécontent, il grogna :
« Ne compte plus sur moi pour prendre tes apprentis à ma boutique. »
Élan s'excusa plusieurs fois, jusque apaiser la colère de l'homme. Ensuite, il tenta de prendre contact avec la famille d'Öta sur la capitale, en vain : ils ne l'avaient pas vu.
Alors, il arpenta les rues. Encore et encore. Toute la nuit jusqu'a s'écrouler d'épuisement. Le lendemain, il recommença.
Il s'en voulait de ne pas avoir été attentif.
Ces derniers jours, il n'avait pensé qu'à Jol. Comment lui parler et la convaincre de ne plus fréquenter Nora. Son retour prochainement l'angoissait bien plus qu'il ne désirait le montrer.
Et pendant qu'il se focalisait sur ses propres craintes, il en avait oublié Öta.
Bon sang, comme il s'en voulait maintenant de ne pas avoir su voir et comprendre la détresse du jeune homme.
« Je devrais peut-être faire des affiches. » Songea-t-il.
« Tu as trouvé quelque chose ? Une piste ? » demanda Élan en rentrant, essoufflé. Il avait passé la journée à chercher Öta, en vain.
Alda était assise sur un banc et le fixa, les bras croisés. Elle n'avait pas l'air d'être sortie aujourd'hui.
« Non. Mais s'il veut partir, il est dans son droit. »
Élan remarqua alors enfin la colère de sa femme.
Dans la panique, il n'avait pas prêté attention à sa réaction, car elle s'était montrée très distante toute la semaine depuis leur altercation avec Nora.
Mais Alda était habituellement la première à s'inquiéter pour Öta.
« Toi, tu sais quelque chose. » comprit-il.
« Peut-être.
- Pourquoi tu ne m'as rien dit ? Où est-il ? Ça fait des heures que je cours partout à sa recherche ! » s'exclama-t-il, outré et blessé.
Alda eut un petit sourire narquois.
« Pourquoi ? Parce que tu n'es qu'un idiot. Et parce que tu l'as bien mérité. Tu aurais dû remarquer qu'il n'allait pas bien, plutôt que de le forcer à subir ton mauvais caractère.
- Mais...
- Laisse-le tranquille. Il a besoin de prendre ses distances. »
Élan était rassuré. Alda savait où Öta se trouvait, ce qui signifiait qu'il était forcément en sécurité. Ses épaules se détendirent et il soupira de soulagement.
Ces dernières heures, l'idée qu'il se soit fait agresser ou qu'il lui soit arrivé quelque chose l'avait terrifié. Öta était si doux, si gentil... n'importe qui pourrait abuser de sa bienveillance.
« Je t'en prie, dis moi où il est » implora Élan. « J'ai besoin de savoir ! Je suis si inquiet... »
Alda le jaugeait du regard, hésitant. Elle avait beau de ne pas approuver le comportement d'Élan ces derniers jours, elle ne savait pas lui résister. Le voir la supplier ainsi l'attendrit un peu.
« D'accord, je vais te le dire. » Répondit-elle finalement.
Le visage d'Élan s'éclaira, puis se referma lorsqu'elle ajouta :
« Mais uniquement lorsque tu auras parlé à Jol. Avec mère elles reviennent demain de leur voyage, tu vas devoir te montrer persuasif.
- Tu ne vas pas m'aider ?
- Non. »
Alda avait prévu de parler à Jol après Élan, car elle se doutait bien que tout ne se déroulerait pas sans encombre.
Mais d'abord Élan devait assumer seul son rôle de père et ses erreurs, il devait comprendre que Jol n'était plus une petite fille innocente.
Évidement si elle était là ou si elle agissait avant lui, tout se passerait mieux, mais ce ne serait que pour repousser à plus tard le problème. Ils avaient besoin de communiquer.
Ils ne se voyaient pas assez souvent pour qu'Élan réalise que Jol grandissait, même sans lui.
« C'est une jeune femme douce et docile, ça va aller. » marmonna Élan pour se rassurer. « Elle comprendra que j'ai fait ça pour son bien. »
Alda leva les yeux au ciel, agacée par la stupidité de son mari, mais n'ajouta rien.