66 Exeter Street, tome 3 : Le...

By Miss-Laure

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Par Sandra ( @Miss-Vain ) & Laure Tome 3 des aventures de Doraleen McFear, Alice Appletown, Camille Ferguson... More

Présentation
Résumé du tome 1 (spoilant)
Chapitre 1 - Partie 1 : DANS LES AIRS ET SUR TERRE
Chapitre 1 - Partie 2 : DANS LES AIRS ET SUR TERRE
Chapitre 2, Partie 1 : RED SKIRT
Chapitre 2 - Partie 2 : RED SKIRT
Chapitre 3 - Partie 1 : LES LARMES DU CIEL
Chapitre 3 - Partie 2 : LES LARMES DU CIEL
Chapitre 4 - Partie 1 : VÉRITÉ OU MENSONGE
Chapitre 4 - Partie 2 : VÉRITÉ OU MENSONGE
Chapitre 5 - Partie 1 : LE DÉSHABILLÉ LILAS
Chapitre 5 - Partie 2 : LE DÉSHABILLÉ LILAS
Chapitre 6 - Partie 1 : PAR MONTS ET PAR VAUX
Chapitre 6 - Partie 2 : PAR MONTS ET PAR VAUX
Chapitre 6 - Partie 3 : PAR MONTS ET PAR VAUX
Chapitre 7 - Partie 1 : LA VILLE AUX CENT CLOCHERS
Chapitre 7 - Partie 2 : LA VILLE AUX CENT CLOCHERS
NOUVELLE PUBLICATION
Chapitre 8 - Partie 1 : SUR LES CÔTES FLEURIES
Chapitre 8 - Partie 2 : SUR LES CÔTES FLEURIES
Chapitre 9 - Partie 1 : IMPAIR ET MANQUE
Chapitre 9 - Partie 2 : IMPAIR ET MANQUE
Chapitre 10 - Partie 1 : LE SANG SUR LES ÉTOILES
Chapitre 10 - Partie 2 : LE SANG SUR LES ÉTOILES
Nouvelles
Chapitre 11 - Partie 1 : DETECTIVES EN JUPON
Chapitre 12 - Partie 1 : LES HOMMES DE L'OMBRE
Chapitre 12 - Partie 2 : LES HOMMES DE L'OMBRE
Chapitre 13 - Partie 1 : UN MONDE DE MENSONGE
Chapitre 13 - Partie 2 : UN MONDE DE MENSONGE
Chapitre 13 - Partie 3 : UN MONDE DE MENSONGE

Chapitre 11 - Partie 2 : DETECTIVES EN JUPON

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By Miss-Laure

— Sa sacoche ? Celle où le professeur met l'ensemble de son fourre-tout de médecin ?

Doraleen ponctua sa phrase en considérant Alice. Le matin était frais, bien que le soleil éclatait dans un ciel d'un azur pâle. L'air iodé planait dans l'air, tout comme le piaillement des mouettes.

Une main retenant les rubans de son petit chapeau de paille balayé par un vent chahuteur, Doraleen McFear avait bien meilleur mine que ces derniers jours. A croire que la perspective de jouer les détectives lui redonnait vie. Elle avait d'ailleurs troqué le noir de son deuil pour une robe d'un bleu-gris sombre piqueté de dentelle blanche. Un progrès. Pour Alice, en tout cas, le tragique de la situation faisait place à une envie pleine et entière de faire la lumière sur cette affaire et coiffer Henry Delhumeau au poteau. D'ailleurs, ce dernier s'était montré plus que discret au petit-déjeuner. Il était arrivé à table en retard, s'était montré plus qu'évasif sur la veille et ce qu'il comptait faire, prenant grand soin de se satisfaire de sa conversation avec sa jumelle, notant qu'elle qui arborait aujourd'hui une toilette toute féminine. Alice n'avait pas manqué non plus d'apercevoir les regards de connivence qu'il jetait à une Alexandra décidément bien impassible face au sort de son époux. Tout le monde avait d'ailleurs salué sa force de caractère et renouvelé tout leur soutien, quand elle-même ne faisait que percevoir un mystère. Un secret que Henry lui cachait, duquel Alexandra et probablement Cécilia Pavel étaient complices. Si elle voulait le connaître il allait falloir qu'elle le découvre d'elle-même.

Aussi, ce trouvait-elle désormais dans une des grandes artères de Deauville, en compagnie de Doraleen qui se révélait être désormais son unique soutien, lui racontant dans le détail ce dont elle avait été le témoin la veille au soir.

— Vraiment ? finit par conclure Doraleen.

— Oui.

— Voilà qui est curieux. En avez-vous parler à Alexandra ?

Alice leva les yeux au ciel. La candeur de Doraleen la laissait circonspecte parfois. Comment demander une telle chose sans paraitre indiscrète ? Mais Alice dut remettre sa petite pointe d'agacement de côté. Car oui, elle avait réussi à poser la question à Alexandra, notifiant qu'elle avait été réveillée par leur retour et qu'elle s'était inquiétée de la voir avec la trousse médicale de Camille et donc, de la santé de ce dernier.

— C'était finement joué, Alice, approuva Doraleen, grande comédienne devant l'éternel et qui lui apprenait toutes les subtilités de son art.

Oui, s'accorda Alice, d'autant plus qu'elle avait eu toutes les heures de l'aube pour penser et peaufiner son approche, loin d'avoir acquis l'assurance nécessaire à l'improvisation.

— Merci. Elle m'a répondu qu'un client de l'hôtel était malade et que le directeur avait quémandé l'aide de Henry qui, comme vous le savez, est médecin...

— Sans l'être, cita Doraleen, en imitant le ton péremptoire de Henry Delhumeau qui aimait à rappeler ses nombreuses qualités intellectuelles.

— Et que ce dernier avait fait appel à ses qualités d'infirmière, le client étant quelque peu récalcitrant.

— Cela s'explique fort bien... Mais vous n'êtes pas convaincue.

— Non je ne le suis pas, avoua Alice.

— Peut-être devrions-nous interroger Cécilia Pavel, en ce cas ? Si c'est véritablement un client de l'hôtel, elle pourra nous éclairer sur ce point.

— Tout à fait.

— Bien, nous démêlerons ce mystère plus tard.

Alice acquiesça, se demandant à quel moment Doraleen avait pris les rênes de l'affaire.

— Pour l'heure, où nous rendons-nous ?

— A la boucherie Chez Jean. C'est là que le corps de Samuel Kent a été emmené hier. Je souhaiterais l'examiner. C'est du moins par là que commence souvent Henry, affirma Alice à son encontre, comme récitant les grandes règles du parfait détective.

— Chez le boucher. Mais comment allons-nous avoir accès au corps ? On ne nous laissera certainement pas le voir à notre guise.

— Oui, soupira Alice qui avait sous-pesé le problème. C'est là que vous intervenez ma chère.

— Je vois. Vous devenez comme Monsieur Delhumeau.

— Que voulez-vous dire ? s'embruma Alice, piquée au vif.

— Vous aimez exploiter mes talents quand cela vous est bénéfique.

— Doraleen, je ne suis...

Le rire de son amie la laissa abasourdie avant de comprendre qu'elle s'était encore jouée d'elle, réveillant plus d'amusement que de rancoeur. La jeune femme sourit, emportée par la fraîcheur de sa complice qui se faisait un devoir depuis quelques mois de dissiper les nuages sombres qui environnaient souvent l'humeur d'Alice.

Elles en étaient là de leur amitié, quand les deux jeunes femmes furent interpellées par des vociférations. Il venait de la boucherie Chez Jean. Un commerce de belle taille, joliment mis en valeur par une façade de bois peint en vert, des sous-bassement blancs et un auvent orange, ainsi qu'une vitrine bien achalandée. Visiblement, les affaires marchaient bien. Surtout en cette belle matinée où un attroupement de badauds était en train de se faire autour de la vitrine. On entendait les cris sourds d'un échange houleux. Alice et Doraleen allaient s'approcher quand sorti de la boutique un homme que les deux jeunes femmes reconnurent. L'une pour l'avoir vu, l'autre pour avoir était interrogée par lui. L'adjudant-chef Philippot, dans son bel uniforme, gronda encore plus, montrant du doigt à l'attention de celui qui était resté à l'intérieur et qui semblait être l'objet de toutes ses récriminations.

— Incapable !

— Moi ? Eh, Philippot, vas-y moins fort. C'est toi le gendarme, est-ce que j'y suis pour quelque chose ?

— Je te l'avais confié.

— Oui ! Mais tu ne m'as pas ordonné de le veiller.

— Tu aurais dû !

— Bah, c'était ton boulot pas le mien. Moi, la nuit, je dors, Monsieur l'adjudant-chef.

— Visiblement bien, puisque l'on rentre chez toi comme dans un moulin en pleine nuit sans te réveiller pour te voler.

— Me voler, reprit le boucher qui sortit de la boutique, le tablier tâché de sang. C'était ton cadavre, pas le mien !

Alice et Doraleen se tinrent mutuellement le bras, abasourdies par cette annonce. Le corps de Samuel Kent avait disparu.

Elles se dévisagèrent. Que convenait-il de faire ? Le corps disparut, cela mettait-il le professeur Ferguson en de meilleures dispositions ou, au contraire, l'adjudant-chef Philippot allait-t-il le soupçonner encore plus ? Et comment un corps pouvait-il disparaître ainsi ?

— Je reviens, scanda Doraleen.

Avant même qu'Alice ait pu réagir d'une quelconque façon, elle vit sa pétulante amie fendre la foule et disparaitre. Elle était prête à la suivre, quand il lui sembla judicieux de finalement attendre dans un coin, sans que l'adjudant-chef Philippot ne la voit. Il ne lui était pas paru que cet homme était pourvu d'une grande acuité, mais elle avait appris par le passé que les apparences étaient parfois trompeuses.

Les minutes lui semblèrent des heures. Un temps durant lequel Alice eut le loisir d'observer l'échange qui se poursuivait au milieu d'une foule spectatrice et amusée par cette querelle qui peu à peu se faisait moins houleuse.

Soudain, semblant apparaitre de nulle part, Alice vit Doraleen sortir fièrement du magasin, passant devant les deux hommes qui la considérèrent quelque peu interloqués. Elle tenait dans ses mains un petit paquet et fit signe à Alice de la suivre sans mot dire. Cette dernière, dont les yeux de Philippot venaient de se poser sur elle, ne ce fit pas prier.

— Mais qu'avez-vous fait ?

— Moi ? Rien. Je me suis approchée et par l'odeur alléchante, je suis entrée faire une petite course. Madame Grantier, c'est l'épouse du boucher, prête à servir la clientèle. J'ai acheté des tranches de rosette. J'en suis gourmande !

— C'est tout ? vociféra Alice, prête à entendre une tout autre vérité sous ce voile d'innocence.

Doraleen regarda par-dessus son épaule et ne voyant personne les suivre et surtout pas l'adjudant-chef, reprit sous le ton de la conspiration.

— Bien sur que non... Comme la politesse vacille souvent vers le commérage dans ce type de boutique, j'ai commencé à m'étonner de ce ramdam. Madame ne s'est pas faite prier.

Doraleen se mit à mastiquer un morceau de charcuterie, poussant quelques petits soupirs de plaisir.

— Un délice.

— Racontez-moi !

— Qu'elle impatiente vous faite, Alice, répondit-elle en continuant à mâcher.

— Doraleen, houspilla Alice autant excédée qu'amusée par le grand mystère avec lequel jouait son amie.

Doraleen sourit, avala sa becquée et reprit avec sérieux, cette fois.

— Voilà... C'est peu de chose. Le corps était enfermé dans la chambre froide qui se trouve en fond de boutique. Ce matin, madame Grantier a perçu une certaine fraîcheur dans l'arrière boutique, elle s'en est étonnée et a ouvert la chambre froide récemment installée, dont elle ne semble pas peu fière. Elle a pensé qu'il y avait peut-être un problème. La porte était bien fermée mais en l'ouvrant, stupeur : plus de corps. Elle a appelé son mari et c'est là qu'elle s'est aperçue que le petit vasistas se trouvant sur la toiture était ouvert. Pour elle, l'ouverture est assez grande pour y faire passer un homme et que le corps aurait été passé par là. D'ailleurs, tout le talus de fleurs au pied de ce mur a été écrasé. Et selon ce qu'elle a entendu, plusieurs empreintes de tailles différentes y ont été trouvées. La pauvre pleure ses jonquilles.

Sans s'en rendre compte, Alice avait pris du petit paquet une tranche de rosette pour la fourrer dans sa bouche. Allez savoir pourquoi elle paraissait mieux réfléchir la bouche pleine depuis qu'elle travaillait avec Henry Delhumeau. Tandis qu'elle appréciait son petit encas, elle se mit à penser à voix haute.

— Enfin, pourquoi voler un corps ?

— Peut-être que personne n'a volé ce corps, s'anima Doraleen. Peut être que monsieur Samuel Kent n'était pas mort. Il a feint.

— C'est stupide !

Voyant la mine déconfite de son amie, Alice se reprit, prise de remords.

— Je veux dire l'idée est fantaisiste, mais songez que Ferguson a ausculté le corps, ainsi qu'un autre médecin. Tous deux l'ont bel et bien déclaré mort. Et nous ne pouvons remettre en considération le savoir de l'un comme de l'autre.

— Vous avez raison. Mais le mystère aurait été encore plus excitant.

Alice laissa échapper un léger rire.

— Doraleen, ma chère, il va falloir cesser de lire toutes ces nouvelles dont vous vous abreuvez ces derniers temps. Elles décuplent votre imagination au-delà du possible. L'intéressée préféra écarter ce conseil d'un revers de la main et referma le petit sachet qu'elle parvint à mettre dans son réticule de velours.

— Bien. Que faisons-nous maintenant ?

Alice regarda autour d'elle avec l'étrange sensation que quelqu'un les observait. Cette impression avait débuté dès leur sortie de l'hôtel et n'avait fait que perdurer dès lors. Elle se trouva trop soupçonneuse et se demanda ce qu'il convenait de faire. La réponse sortit naturellement de sa bouche.

— Allons chez Samuel Kent. Je me souviens du nom de la maison. Nous y trouverons peut-être des preuves de son désir de tuer Camille, ce qui lui donnerait des circonstances atténuantes.

— Ne pensez-vous pas que la police y aura déjà mis les pieds ?

— Ça, nous ne le saurons qu'en y allant.

Et d'un pas décidé, les deux jeunes femmes prirent la direction montrée par un passant qui voulut bien les renseigner, sans se douter qu'une ombre tapie dans une ruelle ne les quittait pas des yeux.

_________

La porte grinça légèrement, apportant une once de sinistre à l'étonnement que les deux jeunes femmes éprouvaient.

Durant quelques minutes, Alice et Doraleen étaient restées figées devant la petite maison, s'interrogeant sur le bien fondé de leur visite. Comment justifier leur visite auprès d'une domesticité qui, malgré le décès de Samuel Kent, ne manquerait pas d'être là. Mais la porte du jardin n'était pas fermée et celle de l'entrée entrebâillée. Les lieux étaient, au contraire, calmes et inoccupés. Interloquée, elles restèrent sur le seuil de la porte nullement sûres si pénétrer les lieux était une bonne idée ou non. Elle restèrent ainsi un long moment, s'attendant à voir survenir une bonne, quand un léger froissement les raidit.

— Avez-vous entendu comme moi ? chuchota Alice.

Doraleen se contenta d'opiner, serrant un peux plus son réticule.

— Il y a quelqu'un ?

La question fit sursauter Alice. Elle posa une main sur son coeur qui tambourinait sa poitrine avec force.

— Allons, on ne pose jamais cette question. C'est la meilleur façon d'annoncer sa présence à un éventuel adversaire. Henry serait là, il vous houspillerait comme jamais.

Pour toute réaction, Doraleen fit une moue, n'ayant nullement l'intention de se laisser intimider par Monsieur Delhumeau, à fortiori en son absence. Toutefois, si l'approche était quelque peu rudimentaire, elle leur permit au moins de considérer que la maison était bien vide. Rien ne faisant échos à la question.

— Allons voir. Mais discrètement.

— Est-ce une bonne idée, Alice ? demanda Doraleen, tandis que cette dernière poussait déjà la porte pour entrer.

— Nous n'avons pas fait tout ce chemin pour rien. Et regardez, tout semble ordonné dans l'entrée. Ce qui me fait dire que la police n'est pas encore venue ici. Trouvons le bureau de Kent. Henry dit souvent que « chez les gens du monde, s'il y a une pièce à secret, c'est celle-ci », harangua-t-elle, tout en observant ce qui l'entourait.

— Qu'est-il dit dans le parfait manuel de monsieur Delhumeau, concernant la découverte d'un cadavre ?

Doraleen, qui s'était aventurée près de l'entrée du petit salon, restait figée, pâle et en même temps l'oeil inquisiteur. Alice se précipita à ses côtés et poussa une exclamation de surprise ou de terreur en considérant le corps étendu de tout son long, entre le mur et la grande table dînatoire. Sur le ventre, les bras de part et d'autre d'un visage figé dans une expression de stupéfaction, les éclats du soleil sur la vitre jouaient étrangement sur le corps. A voir le gilet et le pantalon à pince, c'était sans aucun doute le valet de la maison.

Mettant en pratique ses quelques semaines passées dans une morgue l'hiver passé, la jeune détective s'approcha et considéra en premier lieu la pièce, puis le corps. Il n'y avait nulle trace de lutte. Chaque chose semblait à sa place et la porte fenêtre donnant sur le jardin était ouverte, laissant entrer le piaillement des oiseaux et une légère brise tiède. Alice osa enfin approcher, alors que Doraleen en avait déjà fait le tour, avec autant de délicatesse pour la scène de crime que de dégout à la vue du cadavre.

Alice se baissa, veillant à ce que sa robe ne touche pas le corps. Elle écarta le col et découvrit une marque presque discrète. Celle d'une grosse aiguille ou d'un poinçon. Un léger filet de sang coulait de la nuque, laissant à penser clairement qu'il avait été attaqué par derrière et par surprise. On aurait pu penser qu'une blessure aussi simple ne pouvait provoquer la mort et pourtant il n'y avait plus aucune once de vie chez cet homme entre deux âges. Et étant encore chaud, sa mort ne remontait qu'à peu de temps. Elle continua de regarder en tout sens, se demandant ce que Henry ferait. Quelle conclusion éclairée il aurait. La jeune femme se sentit mal à l'aise, dépourvue de cette intelligence que son employeur savait si bien déployer. Elle ne savait ni que faire, ni quoi penser et à cela, s'ajoutait la petit pointe de honte qu'elle éprouvait de ne pas pouvoir briller devant son amie. Elle n'avait décidément rien d'une grande détective.

Alice en était là de ses réflexions, quand un phénomène attira son attention et visiblement celui de Doraleen. Une imperceptible odeur florale les happa. Une fragrance bien étrange dans la maison d'un homme et à voir le jardin dépourvu de fleur, l'odeur venait d'ailleurs.

Alice se retourna et s'approcha sans bruit de la double porte coulissante donnant vraisemblablement sur le petit salon estimait-elle. Elle l'ouvrit avec fracas et se retrouva nez à nez avec Eva Evinger qui tenait dans sa main un petit révolver de poche.

Doraleen poussa un petit cri de surprise, Alice sursauta et l'espionne soupira bruyamment.

— Vous !

— Miss Appletown. Je ne m'attendais pas à vous voir ici. Encore moins vous, miss McFear. Quelle aubaine.

Instinctivement, Alice se positionna sur la trajectoire entre une éventuelle balle et son amie. Eva Evinger avait tenté de la tuer cette fameuse nuit au 66. Rien ne l'empêcherait de réitérer ce geste, d'autant que depuis cet été, Alice avait compris combien Eva Evinger était une femme dangereuse, dont il ne fallait jamais mésestimer la noirceur de l'âme que cachait cette beauté extérieure. Elle se demandait encore comment elle avait pu avoir le courage de se lancer dans un affrontement physique avec cette créature qui n'était pas sans connaissance élémentaire dans l'art du combat. Et bien que Henry avait jugé bon de lui enseigner quelques notions en ce domaine cet hiver, décidément une saison propice à l'apprentissage chez le français, elle n'était plus sûre, aujourd'hui, d'avoir la force de renouveler cette bravade.

— Je suppose que ce pauvre homme doit sa mort grâce à vous ?

La réponse à cette question était évidente pour Alice. Par le truchement de l'humain, toujours prompt à se gausser de ses actes, plus particulièrement chez les êtres vils, Eva Evinger ne put pas s'empêcher de sourire, en oubliant Doraleen qui restait figée.

— Oui. Jean a toujours été un homme à l'intelligence simple, voire rudimentaire. Il aurait mieux valu pour lui de quitter les lieux.

— Vous le connaissez donc.

— Ma chère Miss Appletown, Jean Toussaint était un agent des services secrets français, chargé de surveiller Samuel Kent.

— Pourquoi ?

— Samuel est... était un homme, plein de ressource, brillant, intelligent et novateur dans le domaine de l'ingénierie. Je doute que cela capte votre intention de petite aristocrate russe, mais avez-vous entendu parler des dernières innovations en matière de moteurs à combustion ? Songez donc qu'un jour nous nous déplacerons dans des véhicules motorisés.

— Je ne suis pas certaine d'en voir l'intérêt ? demanda Doraleen, qui sans aucune crainte, s'était mise aux côtés d'Alice. Visiblement, la vue d'une arme pointée sur sa personne ne paraissait pas la déranger le moins du monde. Arme qu'Eva, semblait oublier un peu plus à chaque mot.

— Ah la fleur des champs qui a grandi dans la bouse de vache ne voit pas l'attrait de la motorisation. La vitesse ! Pouvoir parcourir de longues distances plus rapidement. Et tant d'autres implications dans l'industrie ou l'armement.

— Je comprends donc que les travaux de monsieur Kent vous intéresse au plus au haut point et que vous êtes venue ici vous en emparer et à considérer vos mains vides... nous sommes arrivées à point nommé, suggéra Doraleen avec une pointe d'arrogance dans la voix.

Alice se mordit les lèvres, amusée de la réponse de son amie frappée au coin du bon sens. Autant pour Henry Delhumeau qui aime tant la médire sur ce point. Eva sembla penser la même chose. La petite fleur des champs ayant à offrir bien plus que ces jolies couleurs.

— En effet, et je suis désolée de devoir couper court à notre échange, mais il n'est de...

La réplique d'Eva Evinger ne trouva point de conclusion. Alice s'était jetée sur elle à bras le corps, à l'instant où cette dernière avait pointé l'arme dans une direction hasardeuse, prit dans son grandiloquent discours d'au-revoir. Le choc fut rude, d'autant qu'Alice sentit le bois dur de l'accoudoir d'une chaise frapper sa cuisse dans la chute. Elles étaient tombées entre un lourd fauteuil de velours et une petite table basse. Elle entendit dans les grognements de la prussienne un vase se briser et le métal de l'arme s'éloigner quelque part sur le parquet du petit salon. L'espionne ne fut pas tendre en réponse. Alice sentit un coup, atténué par le peu d'espace, frapper le coin de sa lèvre. Ses dents s'entrechoquèrent, l'impact fit vibrer toute sa mâchoire et sa boîte crânienne. Elle n'en garda pas moins à l'esprit une grande règle delhumesque : frapper fort !

Elle balança le plus hargneux des uppercuts que le sac de sable logé dans un coin de la cave du 66 Exeter street eut reçu. Et éprouva une grande satisfaction en entendant le mugissement de douleurs que laissa échapper la prussienne. La suite, Alice ne fut plus en mesure de pouvoir en faire le détail, mais il y eu des empoignades, elles roulèrent sur le sol, faisant tomber la petite table basse. Empêtrées dans leur jupons, ni l'une ni l'autre ne parvenait à se remettre debout. Tout juste arrivaient-elles à se redresser pour mieux se jeter dans la bataille, dans le délicat chant de la soie et de la mousseline. Les tissus fins et délicats se déchiraient, les coiffures complexes se défaisaient à mesure qu'elles s'empoignaient dans une épreuve de force. Bien vite éreintée, Alice, pour se défendre d'une Eva le visage déformé par la rage, empoigna une longue mèche de cheveux défaits et tira si fortement qu'elle en tordit le cou de son adversaire. Celle-ci relâcha la pression dans un hurlement strident et Alice parvint à se redresser dans une bravade verbale.

— Espèce de grosse vache !

Eva rugit. Que l'on attente à sa vie ou son intégrité, cela faisait parti du métier, mais que l'on dénigre ses formes généreuses ou sa beauté, il y avait une limite à ne pas franchir. Elle se jeta sur la jeune femme, mains tendues. Alice, d'une tape, parvint à dévier ces doigts crochus prêts à se refermer sur sa gorge et lui asséna une gifle. Eva en fit de même. C'était humiliant et bien plus cinglant qu'un coup de poing qu'Alice tenta d'asséner en retour. Elle vit la tête de la prussienne partir en arrière. Mais le retour fut plus violent, Eva Evinger ayant une maitrise bien plus certaine de ses mouvements et de sa force. Brutalement, Alice n'entendit plus rien. Son oreille sifflait. La douleur lui fit verser une larme et sa tête tournait tant qu'elle ne fut plus capable de bouger. Totalement étourdie, elle savait être à la merci de son ennemie.

Eva Evinger dévisagea Alice et porta ses mains sur le cou frêle de la jeune femme. Mais dans l'affrontement, la prussienne avait oublié un élément. Elle sentit soudain une pression se faire autour de son cou. Fort, violent, l'oxygène lui manqua brutalement tandis qu'on la relevait à la force de ce seul bras. Et aussi vivement que l'air réintégra ses poumons, elle se sentit projeter en arrière. Eva Evinger se reçut sur le petit canapé et se retourna vivement pour faire face à son agresseur. Elle se figea devant le canon de son arme désormais entre les mains de Doraleen McFear dont les traits déterminés n'auguraient rien de bon. Cependant, l'espionne était bien loin d'écouter la raison et se releva prêt à en découdre.

Doraleen n'eut aucune hésitation.

Libérer du poids de son assaillante n'aidait en rien Alice à sortir de la douloureuse léthargie dans laquelle elle se trouvait, quand une détonation la fit se relever d'un coup. Elle lorgna d'un oeil vitreux Doraleen qui se tenait droite tout près d'elle, la protégeant de sa robe bleu marine, puis Eva Evinger dont l'arrogance faisait place à un visage de marbre où se lisait une soudaine défiance.

— Ça suffit.

Une léger fumée s'échappait de l'impact de balle fait dans le canapé, à quelques centimètres d'Eva qui se rassit bien sagement.

— A la campagne, fraülein Evinger, j'ai appris à me servir bien jeune d'un fusil et à maitriser la fougue des génisses.

— Je vois cela, répondit l'espionne, en portant sa main à son cou qui se rappelait douloureusement à elle.

— Alice, vous allez bien ? s'enquit Doraleen ne quittant pour autant son ennemie du regard.

La jeune femme acquiesça et parvint à prononcer un « oui » timide, sans parvenir toutefois à se relever. Son corps douloureux en de multiples endroits, Alice songea que renforcer ses muscles, comme le lui avait suggérer son amie, serait finalement une bonne idée.

— Qu'allez-vous faire de moi ? demanda Eva qui peinait à reprendre contenance.

— Nous allons vous livrer aux autorités.

— Vraiment ?

— Oui. A moins que vous ne préfériez monsieur Delhumeau. Il me semble que vous avez, à ce titre, un différent à régler.

— Je préfère les autorités.

Ces derniers décidèrent à ce moment d'entrer à grands renforts de sommations, martelant le parquet de leur gros godillots.

— Police !

— Que personne ne bouge !

— Mais que s'est-il passé ?

Les injonctions et le fracas de leur éruption furent une opportunité qu'Eva Evinger aurait été bien mal avisée de ne pas saisir. Avec célérité, l'espionne se leva, poussa Doraleen et parvint à s'échapper par la porte fenêtre restée ouverte sur cette partie du salon. On se bouscula, des hommes se mirent à sa poursuite, quand Doraleen, qui avait été projetée contre un buffet, sentit des bras l'agripper et la retenir dans sa chute. Une main tendre se posa sur son visage. Ses yeux convergèrent sur les traits inquiets de Henry Delhumeau et Doraleen se sentit coupée du reste du monde.

— Vous n'avez rien ?

— Non, mais Alice... parvint-elle à dire.

A l'évocation de ce nom, le français se détourna d'elle et s'approcha d'Alice qui constatait les dégâts faits sur sa robe. L'emmanchure du côté droit était décousue et tout un bas de sa robe, déchiré. Aucune main, même des plus talentueuse, ne pourrait rattraper cela.

— Une toilette toute neuve, se plaignit-elle.

Sans aucune considération pour la mode bafouée, Henry se contenta de considérer la lèvre enflée de la jeune femme et la perle de sang qui s'y était accrochée. Et que dire de sa pommette gauche.

— Vous allez avoir un joli bleu.

— Mais qu'est-ce que vous faites là ?

— Et vous donc ? Bon sang, mesdemoiselles, vous allez avoir des ennuis, souffla-t-il à l'attention des deux jeunes femmes qui se tenaient désormais côte à côte, mains dans la mains.

— Je confirme, fit l'adjudant-chef Philippot qui s'approcha du trio.

Considérant ses grosses moustaches frémissantes de colère, les deux jeunes femmes se serrèrent l'une contre l'autre, prêtes à affronter la tempête.

— J'aimerais bien savoir qui vous êtes et ce que vous faites ici ? Et que fait ce cadavre là ? L'avez-vous tué, mademoiselle ?

Consciente que l'on parlait d'elle, Doraleen regarda interloquée le gendarme avant de comprendre qu'il considérait plus attentivement l'arme qu'elle tenait dans sa mains. Appréhendant les déductions qu'il en avait fait elle secoua nerveusement la tête.

— Non. Ce n'est pas moi c'est cette femme. Tenez !

Doraleen lui donna l'arme dans un élan désespéré, consciente que ses beaux yeux ne suffiraient pas avec un tel homme.

Les trois gendarmes qui s'étaient lancés à la poursuite d'Eva revinrent à ce moment, soufflant, le pas trainant. La belle leur avait échappé et Alice profita que l'attention de l'adjudant-chef Philippot soit détourné pour s'adresser à Henry dans un souffle tout juste retrouvé.

— Le corps de Samuel Kent à disparu.

— Je sais, répondit-il dans un même murmure.

— Et cet homme était un espion français.

— Je sais aussi.

— Et Eva...

— J'ai remarqué.

— Vous...

— Silence, intima Delhumeau.

Le gendarme revenait vers eux, les poings serrés.

— Monsieur Delhumeau, il me semble que vous connaissez ces demoiselles.

— Oui. Ce sont des amies.

— Je le vois bien. Visiblement, il y a quelques éclaircissements que j'aimerais bien que l'on me fasse. Allez, tout le monde au poste !

— Comment ! scandèrent en coeur les trois intéressés.

Mais aucune contestation ne fit faiblir la maréchaussée. La justice était peut-être impartiale, mais assurément impatiente.





__________________

Ah ben ça remue, croyez-le bien, quand Alice et Doraleen décident de s'en mêler. Henry devrait se méfier ! 

D'ailleurs la prochaine fois, on les retrouve au commissariat et quelques révélations vont être faites... Pour certaines, vous n'êtes pas prêts, je peux vous l'assurer ! 

On se dit à très vite. 

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Giarel bou feroce guen di am fofou gnew nagou dieuram khole bi di dag th dousi meun dara wayè nak c son karma dafay rew rk dina ko yor mba mou melni...