66 Exeter Street, tome 3 : Le...

By Miss-Laure

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Par Sandra ( @Miss-Vain ) & Laure Tome 3 des aventures de Doraleen McFear, Alice Appletown, Camille Ferguson... More

Présentation
Résumé du tome 1 (spoilant)
Chapitre 1 - Partie 1 : DANS LES AIRS ET SUR TERRE
Chapitre 1 - Partie 2 : DANS LES AIRS ET SUR TERRE
Chapitre 2, Partie 1 : RED SKIRT
Chapitre 2 - Partie 2 : RED SKIRT
Chapitre 3 - Partie 1 : LES LARMES DU CIEL
Chapitre 3 - Partie 2 : LES LARMES DU CIEL
Chapitre 4 - Partie 1 : VÉRITÉ OU MENSONGE
Chapitre 4 - Partie 2 : VÉRITÉ OU MENSONGE
Chapitre 5 - Partie 1 : LE DÉSHABILLÉ LILAS
Chapitre 5 - Partie 2 : LE DÉSHABILLÉ LILAS
Chapitre 6 - Partie 1 : PAR MONTS ET PAR VAUX
Chapitre 6 - Partie 2 : PAR MONTS ET PAR VAUX
Chapitre 6 - Partie 3 : PAR MONTS ET PAR VAUX
Chapitre 7 - Partie 1 : LA VILLE AUX CENT CLOCHERS
Chapitre 7 - Partie 2 : LA VILLE AUX CENT CLOCHERS
NOUVELLE PUBLICATION
Chapitre 8 - Partie 1 : SUR LES CÔTES FLEURIES
Chapitre 8 - Partie 2 : SUR LES CÔTES FLEURIES
Chapitre 9 - Partie 1 : IMPAIR ET MANQUE
Chapitre 9 - Partie 2 : IMPAIR ET MANQUE
Chapitre 10 - Partie 1 : LE SANG SUR LES ÉTOILES
Chapitre 10 - Partie 2 : LE SANG SUR LES ÉTOILES
Nouvelles
Chapitre 11 - Partie 2 : DETECTIVES EN JUPON
Chapitre 12 - Partie 1 : LES HOMMES DE L'OMBRE
Chapitre 12 - Partie 2 : LES HOMMES DE L'OMBRE
Chapitre 13 - Partie 1 : UN MONDE DE MENSONGE
Chapitre 13 - Partie 2 : UN MONDE DE MENSONGE
Chapitre 13 - Partie 3 : UN MONDE DE MENSONGE

Chapitre 11 - Partie 1 : DETECTIVES EN JUPON

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By Miss-Laure

Le cirque fut vite vidé de ses spectateurs. Les curieux poussaient sans ménagement les artistes également invités à rejoindre l'extérieur, le crime n'était pas un spectacle. La famille Delhumeau avait été poussée vers la sortie, seules Alexandra, de par sa position d'épouse et Alice, en sa qualité de témoin, avaient été amenées à rester auprès des deux suspects aux yeux du sergent Philippot : Henry Delhumeau et Camille Ferguson.

Alice, inspirait longuement afin de garder son calme. Retrouver un esprit clair, lucide, dénué de tout sentiment. Avant qu'ils ne se retrouvent en présence seule de la maréchaussée, elle avait observé longuement Henry et Camille ; cherché chez l'un ou chez l'autre un signe d'acquiescement, un geste réconfortant. Mais les deux hommes étaient restés fermés, luttant pour ne pas croiser le regard de l'autre. La jeune femme décrypta leur réaction commune comme un aveux cinglant de leur culpabilité. Tout du moins, elle eut la sensation qu'il se nouait entre les deux hommes un mutisme qui cachait une terrible vérité. Et Alice découvrit que ne plus être dans les confidences de ces deux hommes lui faisait horreur. Elle se tordit les doigts sans en avoir conscience et se rasséréna à nouveau. Un esprit clair, lucide !

Elle observa l'adjudant-chef Philippot qui examinait les lieux autour d'un cadavre que l'on avait recouvert d'un drap trouvé non loin. Grand, élancé, dans son uniforme de gendarme, sa bouche disparaissait sous une moustache brune et son regard était rétréci par d'intenses réflexions. Il tourna en rond autour du cadavre dans un sens, puis dans l'autre, élargissant peu à peu son champ d'observation. C'était là de singulières méthodes qui lui semblait toutefois intéressantes d'observer, et peut-être même à mettre en pratique, à l'occasion. Ces mimiques l'amusèrent. Elle lui trouva des gestes dignes de la comedia dell'arte et le jugea moins sévèrement quand il se redressa en tenant à bout de doigts, un revolver.

— Ainsi donc vous l'avez tué.

— Oui. Mais c'est une regrettable affaire. Je me suis défendu, se récrimina Ferguson.

— C'est bien là votre arme ?

— Oui. Je ne sais pas comment. J'ai constaté sa disparition ce matin même.

— Je confirme, s'interposa Henry. Il est venu s'en ouvrir auprès de moi.

— Moi également, reprit Alexandra.

— Madame, pardonnez-moi, mais vous êtes son épouse. Je ne peux prendre en compte vos paroles. Je vous demanderai de garder le silence ou je vous ferai sortir !

— Mais...

La frustration et la colère se dessinèrent sur le visage de l'épouse. Alexandra prit le parti d'obéir et se cramponna au bras de son mari.

— Reprenons depuis le début. Monsieur.

Ferguson inspira longuement et raconta avec détails comment Samuel Kent et lui même s'étaient retrouvés dans le premier rôle du tour du magicien. Comment Samuel l'avait alors agressé, le menaçant de sa propre arme et le combat qui en avait découlé. Puis, le coup était parti. Durant toute cette longue tirade, Henry ne pipa mot au plus grand étonnement d'Alice. À deux occasions, ce dernier aurait pu démonter la culpabilité au profit d'une légitime défense. Bien au contraire. Il restait silencieux et distant et la jeune femme se demanda si elle-même pouvait intervenir. Mais le ferait-elle contre son employeur qui avait peut-être une idée derrière la tête ?

Cependant, quand l'adjudant-chef l'interrogea à son tour, Henry ne confirma que son arrivée sur le lieu du drame, attiré par le bruit du coup de feu. Il avait trouvé son ami debout au-dessus du corps de la victime, l'arme en main. Il n'avait rien vu de plus. Quant à Alice, elle ne put rien ajouter pour défendre son ami. Qu'avait-elle vu ? Rien qui ne puisse innocenter Ferguson ou l'aider. Elle n'avait était le témoin que de la précipitation de Henry sur la piste. Et une fois parvenue à son tour à ses côtés, il ne l'avait pas laissée regarder quoi que ce soit. Avait-elle seulement le souvenir du corps de la victime ? Juste celui d'une masse sombre sur le sol. Aucun trait de visage ne lui revenait. Sa mémoire restait hermétique à toute ses tentatives, comme si effacer ce souvenir faisait qu'il n'avait jamais eu lieu.

Alice jeta un regard en direction de la dépouille qu'un médecin, qui venait d'arriver, auscultait. C'était la première fois qu'elle voyait véritablement la victime. Devant son propre mutisme, chacun observa les gestes du praticien, aussi grand que l'adjudant, mais bien moins élancé, signe d'une vie plus oisive.

Quand elle passa son regard de ce dernier à la silhouette du français, elle décela chez son employeur une tension nouvelle. Avec le temps elle avait appris à faire la différence entre les véritables mots acerbes et ceux dictés seulement par la nécessité de faire perdurer ce rôle d'homme exécrable. Tout comme elle avait appris à reconnaitre ces imperceptibles mouvements qui trahissaient impatience, colère, frustration ou inquiétudes. À cet instant, Henry Delhumeau était sur le qui-vive.

Il s'anima soudainement, quand le médecin entrouvrit la chemise de la victime. L'homme secoua la tête et fini par se relever difficilement, ses genoux devant supporter un poids conséquent.

— Alors ? demanda l'adjudant-chef Philippot.

— Hector, je ne pourrai pas affirmer que cette blessure par balle soit à l'origine de la mort de cet homme.

— Comment cela ?

— Je t'accorde qu'il a reçu une balle en pleine poitrine, mais j'ai un doute. A moins que l'orientation ou la trajectoire de la balle dans le corps ait eu raison de cet homme. Là, en tout état de cause, je pense qu'il serait encore parmi nous.

Alice inspira ce souffle d'espoir. Si ce n'était pas la balle qui avait causé la mort de Samuel Kent, mais une raison plus naturelle, alors Ferguson serait laver des soupçons qui pesaient sur lui.

— Tu proposes donc une autopsie ?

— Cela me parait même plus que nécessaire.

— Parfait. Peux-tu t'y mettre de suite ?

— Hector, souffla le médecin un sourire en coin. Je suis un médecin de campagne. Il faut un légiste. Tu dois l'envoyer à l'hôpital de Caen. C'est le docteur Marchaux, un camarade de promotion, qui dirige le service de médecine légale. Il est très pointu et au fait des dernières techniques en la matière. Je peux lui envoyer un câble pour le prévenir.

L'adjudant-chef acquiesça mollement.

— En attendant, le mieux serait de trouver un endroit où garder le corps.

— Chez Jean ! Sa boucherie a une grande chambre froide.

— Ça sera parfait. Aller, je te vois ce soir chez les parents. Messieurs, mesdames, salua le médecin en soulevant son couvre-chef en passant devant eux, comme s'il prenait congé après une garden-party.

Alice en resta interdite. Le médecin et le gendarmes étaient frères et leur discussion en toute sympathie avait quelque chose d'incongrue en ces circonstances. Décidément, ces vacances continuaient d'être une histoire de famille. Elle retrouva cependant un peu de réconfort quand elle observa un sourire sur les lèvres de Henry. Ses yeux brillaient également, preuve qu'il avait une idée en tête et qu'il lui tardait de mettre en exergue ses talents de détective et blanchir son ami.

— Bien. Compte tenu des indices, monsieur Ferguson, je vous met en garde à vue.

— Quoi ? s'insurgea Alexandra.

— Non ! s'entendit crier Alice

— J'ai encore bien des questions à poser. Emmenez-le.

Ferguson ne chercha ni a défendre sa position, ni à s'insurger du traitement qui lui était fait. Il restait silencieux, presque serein. Il étreignit son épouse avant de suivre les gendarmes. Alexandra voulut le suivre mais fut rattrapée par les bras de Henry Delhumeau. Alice ne sut ce qu'il lui murmura à l'oreille, mais l'attitude de la jeune femme changea du tout au tout. Elle considéra le français et acquiesça. Incrédule, Alice les suivit mais focalisa désormais toute son attention sur Henry. Sa conduite était teintée d'une réserve étrange.

Ils sortirent du chapiteau et retrouvèrent la tiédeur d'un soleil déclinant. Henry laissa Alexandra au bon soin de ses parents, toute la famille Delhumeau ayant attendu sagement à l'extérieur. Alice rejoignit Doraleen sans quitter du regard Henry qui écartait Cécilia du groupe afin d'avoir une conversation dont elle mourait d'entendre la teneur.

— Il ont emmené le docteur Ferguson, Alice, asséna Doraleen.

— Je sais.

— Que s'est-t-il passé ?

Mais Alice ne répondit pas, trop accaparée par l'échange entre Henry et Cécilia. Ce dernier lui faisait visiblement une demande qui la laissa interloquée, avant que son visage s'éclaire et qu'elle lui réponde quelque chose qui sembla satisfaire le Français. Il échangèrent encore quelques instants avant de rejoindre le groupe.

— Henry, l'interpella Alice.

Mais ce dernier leva un doigt sentencieux et retrouva son père.

— Ramenez tout le monde à l'hôtel. Je vais me rendre au poste de gendarmerie. Alexandra, attendez-moi.

Ce fut plus le ton résolu que le "oui" que cette dernière prononça qui interrogea Alice. Pourtant, elle n'eut d'autre choix que de suivre le reste du troupeau et regarda Henry Delhumeau s'éloigner se tenant à bonne distance des gendarmes et de Camille Ferguson.

_________

Le dîner avait été des plus morne pour Alice et Doraleen. La famille Delhumeau au grand complet s'était pourtant montrée « bon vivant » afin d'égailler les deux anglaises. Après tout, leur lien avec Camille Ferguson était tout relatif et ils n'étaient visiblement pas plus touchés que cela de la situation. Mais malgré des efforts certains, rien n'y fit complètement. Doraleen, avec ce don inné pour paraître comme si aucun évènement n'avait de prise sur elle, répondait agréablement à la conversation, mais Alice savait que ce n'était que façade. Toutes deux étaient prises dans une gangue de doutes. Camille Ferguson, bien que ne vivant pas au 66 Exeter street, était une part importante de leur existence à toutes deux et tous les efforts delhumesques ne pouvait leur épargner la peine et le trouble qu'elles ressentaient ce soir-là. L'absence d'Alexandra, qui s'était excusée, et que chacun avait pris avec la compréhension que cela exigeait, n'avait en rien arrangé leur malaise.

Aussi, fut-ce avec soulagement qu'Alice avait retrouvé la solitude de sa chambre. Mais désormais qu'elle pouvait ruminer à tout va, faisant et défaisant, telle Pénélope la tapisserie de cette après-midi, la jeune femme était plus nerveuse encore. Jamais elle ne pourrait dormir. Prise d'une bouffée de colère, Alice se précipita sur le balcon de sa chambre, ouvrant avec force les portes-fenêtres et respira longuement l'air marin et la fraîcheur de cette soirée.

Que n'avait-elle pas le génie de Henry Delhumeau ? Elle aurait déjà trouvé toutes les pièces du puzzle, les aurait mises dans le bon ordre et prouvé l'innocence de Ferguson. Mais elle n'était pas Delhumeau et ce dernier avait brillé par son absence au dîner. Il lui tardait de le voir revenir et de discuter avec lui de ce qu'il s'était passé. De toute évidence, il en savait bien plus et cet échange qu'il avait eu avec Cécilia, ne cessait de lui revenir en tête.

Les bras appuyés sur le garde-corps, Alice secoua la tête afin de remettre de l'ordre dans ses pensées qui allaient dans tous les sens, comme les étincelles d'un feu d'artifice qui n'éclairaient rien. Elle devait avoir confiance en Henry Delhumeau. Ferguson et lui étaient amis depuis longtemps et le français ne laisserait jamais celui qu'il devait considérer comme un frère derrière les barreaux à croupir comme le dernier des voyous.

Un léger grattement la fit se retourner. Le bruit, sur l'instant imperceptible, devint plus distinct dès lors qu'elle pénétra dans la pièce. Cela venait de la porte contiguë à sa chambre et celle de Doraleen.

— Alice, vous dormez ?

La jeune femme ouvrit la porte sur Doraleen qui, bras levé, s'apprêtait à frapper plus fortement.

— Ah. Je pensais que vous dormiez.

— Comment le pourrais-je ?

— Bien entendu.

Sans même demander la permission, la jeune femme passa la porte et alla s'asseoir sur le lit d'Alice. Elle tata le matelas, circonspecte.

— Votre matelas et plus confortable que le mien.

— Est-ce vraiment important ? scanda Alice, exaspérée par l'indolence qu'affichait son amie.

Mais c'était mal juger Doraleen qui se redressa et retrouva son sérieux.

— Bien. Je vous ai laissé le temps de la réflexion, Alice. Alors, qu'en avez-vous tiré ?

— Comment ?

— Eh bien. C'est ainsi que monsieur Delhumeau agit. Il s'isole, réfléchit, et soudain fait la lumière sur tout. Loin de moi l'idée de penser que vous n'en êtes pas capable. Je vous ai laissée réfléchir.

L'idée était aussi simple que perspicace et Alice s'étonna encore de ne voir en Doraleen qu'une jeune femme frivole à l'intelligence simple, quand plus d'une fois elle faisait montre d'une certaine vivacité d'esprit.

— Ce n'est pas aussi simple, s'entendit-elle répondre d'une voix de petite fille que l'on interroge.

— Bien entendu. Je suis donc venue vous soutenir et vous écouter.

Dépitée, Alice alla s'asseoir près de Doraleen, ignorant par où commencer.

— Je suis perdue. Tout s'embrouille dans ma tête.

— En ce cas, exprimez-vous à haute voix. Que s'est-il passé ? Remontez le fil du temps.

Après un moment de silence qui lui permis de remettre dans l'ordre les évènements, Alice expliqua ce qu'elle avait vu, puis les affirmations de Henry. Comment il n'avait en rien défendu son ami en retraçant avec simplicité ce dont il avait été témoin. Ainsi dit, il sembla à Alice que Ferguson avait tout du coupable idéal.

— Pensez-vous que le professeur Ferguson ait quoique ce soit à se reprocher ? Visiblement il s'est passé quelque chose quand il est allé diner chez ce Samuel Kent. Et j'ai cru comprendre que son passif à lui, ainsi qu'à son épouse et son premier mari était plutôt trouble.

— Vous songez qu'il aurait pu le tuer délibérément ?

— Si ce Kent était une menace, oui.

— Vous déraisonnez, Doraleen.

— J'essaie d'être réaliste.

— C'est de la folie !

— Alice...

— Taisez-vous. Ce que vous dites...

— C'est ce que pensera certainement la police, finit Doraleen avec une douceur extrême.

Ce ton, qui aurait pu mener Alice à des pointes extrêmes de colère, eut le don de la tranquilliser. Comment faisait-elle ? Cela tenait de la magie. Et à bien y réfléchir, on pensait connaître les gens, mais qu'en était-il de leur tempérament, de leur moral, quand une situation les poussaient dans leur retranchement ?

Doraleen se faisait l'avocat du diable. À ce jeu elle se révélait toujours forte, aussi agaçant cela était-il. Et elle n'avait pas tord.

— Camille a du se défendre. J'en suis certaine.

— En ce cas, il faut le prouver.

Alice se retourna lentement et dévisagea son amie qui venait de parler sur un ton plus complice.

— Nous devons faire la lumière sur cette affaire, Alice.

— Henry le fera.

— En parlant de lui... j'ai un mystère.

— Vous voulez parler de la façon dont il a échangé secrètement avec Cécilia Pavel.

— Ah ! Vous avez remarquez, également.

Alice se ragaillardit. Voilà un sujet sur lequel elle pouvait polémiquer à foison.

— Il lui a confié une tâche, j'en suis sûre.

— Sans nul doute. Et c'est là que j'interviens. Je viens de surprendre une petite discussion dans le hall de l'hôtel. N'allez pas croire que j'espionnais, Alice. A cette heure, il est vide et cela résonne tellement.

— Bien entendu, fit Alice, nullement dupe.

— Bien entendu. Donc Monsieur Delhumeau senior s'entretenait avec le directeur. Ce dernier lui apprenait que Henry avait quitté la gendarmerie depuis quelques heures.

— Mais, il n'est pas dans sa chambre, soupira Alice.

— Non, je confirme.

— Et après. Il arrive à Henry de marcher longuement. Pour s'aérer.

— Dans le cas présent, je ne le crois pas. Monsieur Delhumeau semblait inquiet que son fils ne soit pas revenu, et avec lui, Cécilia. De plus, je suis au regret de vous apprendre que, visiblement, le professeur Ferguson va passer la nuit en prison.

— C'est insensé, fulmina Alice.

Ignorant ce dernier excès de colère, Doraleen reprit.

— De plus, malgré la demande d'Alexandra Ferguson, je suis allée m'enquérir de sa santé. Elle n'est pas dans sa chambre.

Alice se leva d'un bond.

— Voilà qui est plus que troublant. Mais enfin, que fait-il. Que me cache-t-il ? J'ai comme l'intuition que Henry va me laisser à l'écart de tout cela.

— Pourquoi ne le faites-vous pas ?

Plus d'une minute que le silence s'était fait dans la chambre et cette question laissa Alice circonspecte. Elle s'en retourna auprès de Doraleen, après avoir fait les cent pas avec zèle, nullement certaine de comprendre ce que son amie venait de lui suggérer. Ou plutôt, comprenant implicitement l'impensable.

— Que voulez-vous dire ?

— Résolvez cette affaire.

— Que j'enquête ?

— Oui. Monsieur Delhumeau vous a tant appris. Et vous l'avez déjà fait par le passé. Cet hiver.

— Je recherchais une personne disparue. Et vous m'avez aidée.

— Soutenue de ma présence, uniquement, rectifia Doraleen.

Des souvenirs qu'Alice avait de cette affaire, l'humilité de son amie tenait de la gageure. Doraleen avait été plus qu'une simple compagne dans une petite enquête de routine qui s'était révélée plus complexe et dangereuse que prévu.

Alice reprit d'un ton maternel.

— Doraleen. Là, il s'agit d'innocenter, ou à défaut, trouver des circonstances atténuantes pour sauver le professeur, c'est...

— ...tout à fait dans vos compétences. Vous êtes fine d'esprit. Bien plus que ne le laisse à penser Monsieur Delhumeau.

La simple évocation des ces inaptitudes, que son employeur n'avait de cesse de mettre en exergue, fit bondir le courage d'Alice. La jeune femme se releva, piquée dans sa fierté.

— Vous avez raison. Je ne vais pas attendre que Henry daigne revenir dont ne sais où. Je vais enquêter de mon côté.

Doraleen se leva et étreignit les épaules de son amie avec excitation.

— Nous seront des détectives en jupons. Il me tarde ! A Demain, Alice. Dormez bien.

La jeune femme ponctua cette phrase d'une légère accolade avant de disparaître derrière la porte de la chambre dans un bouillonné de coton blanc.

Il fallut une fraction de seconde à Alice pour réalisez ce qu'elle venait d'entendre et quel contrat elle venait de signer de son silence. Doraleen l'avait subtilement manipulée en l'incitant à enquêter, ce qu'Alice mourrait d'envie de faire sans se l'avouer. Mais ce, dans le but de se jeter elle-même dans cette aventure avec l'opportunité d'être l'amie qui ne fait qu' « accompagner » pour reprendre ses termes. Un mal pour un bien, mais... bon sang ! Si Henry venait à savoir que Doraleen s'était lancée avec elle dans une enquête, elle ne donnait pas cher de sa peau.

Dans la torpeur d'une nuit égoïste qui refusait de partager tous les bienfaits du sommeil, la mer, imperturbable, continuait son chant éternel. Les yeux grands ouverts, allongée de tout son long dans un lit trop grand, Alice était glacée par l'angoisse. Elle ne parvenait pas à dormir malgré le ressac qui avait sur elle un effet apaisant. Le lent va et vient était perturbé par le tic tac d'une horloge et les battement de son cœur. Tout tournait dans sa tête et le maelström formait des images kaléidoscopiques : mélange de vérité, de songe et de fantasme. Des images déformées. Henry, courant sur la piste infinie du cirque, sans atteindre son but. Au bout de cette longue course : le magicien et son manteau constellé qui happait toute lumière jusqu'à absorber Doraleen, la musique distordue couverte par des chant infernaux et le grondement de la foule. Le sang qui par flot jaillissait au centre de la couronne d'étoiles. Ses bottines pataugeant dans cette boue vermillon, Alice apercevait Samuel Kent riant aux éclats. A ses pieds le corps de Camille Ferguson, les yeux vitreux, mort. Elle se laissa tomber et passa ses mains sur son visage. Elle s'en serait arraché la peau, si cela avait pu atténuer la douleur de son âme. Elle sentit un liquide visqueux couler le long de ses doigts. Elle les considéra. Ses mains étaient recouverte de sang, celui qui coulait des veines du corps inerte de son frère, son père riant à ses côtés. Que faisait-il là ? Le cœur battant à tout rompre, elle se retourna. Chaque fois que son regard se posait sur une scène, s'ouvrait à elle une autre porte des enfers. Elle tomba soudainement et se réveilla en sursaut.

Haletante, Alice chercha à se redresser, mais il lui était difficile de faire le moindre geste. Elle s'était endormie finalement et tout dans son esprit s'était entremêlé. En avait-elle seulement trouvé le moindre bénéfice ? Alice se sentit plus désemparée que jamais.

Elle allait frapper le lit de rage quand elle perçut des pas feutrés. Cela venait du couloir. Prise dans un élan soudain où elle retrouva toute sa vigueur, Alice sortit de son lit, s'emmêlant au passage les jambes dans les draps et sa longue chemise. Elle aurait rouspété de frustration, mais ne voulant faire aucun bruit, se contenta de hurler intérieurement. Ce fut non sans mal, mais indemne qu'elle parvint jusqu'à la porte de sa chambre et colla l'oreille à celle-ci. Elle aperçut distinctement deux voix. Sa première pensée fut d'ouvrir la porte et de se précipiter auprès des deux noctambules, mais les mois d'enseignements de Henry et son goût immodéré pour le secret et la discrétion prirent le dessus. Avec une extrême précaution, elle parvint à entrouvrir la porte de sa chambre. Si elle avait songé écouter la teneur de la conversation, Alice eut une vision plus claire des deux couche-tard. Portant les mêmes vêtements que dans l'après midi, Henry tenait le bras d'Alexandra qui, pour le coup, s'était changée. Sa belle toilette avait fait place à une robe commune, sombre, sur laquelle elle portait son manteau. L'air grave, ils paraissaient ne pas être d'accord sur un sujet dont la teneur lui échappait complément. Le désaccord fut à ce point que, brutalement, Henry ouvrit la porte des époux Ferguson et y entraîna Alexandra. La porte se referma.

Alice dut se retenir de ne pas se précipiter dans le couloir et faire de l'indiscrétion une page pleine. La prudence lui dictait de rester à sa place. Bien lui en prit. Moins d'une minute plus tard, Henry ressortait seul de la chambre, mais une ombre émergea d'un angle mort pour se précipiter auprès de lui.

— Cécilia Pavel, murmura-t-elle, exaltée par ce dont elle était le témoin.

La jeune femme se jeta au devant du français et cette fois, Alice ne rata rien de la conversation.

— Vous avez réussi ?

— Oui mais... moins fort.

— Je ne peux pas garder cela pour moi, Henry. Daniel...

Elle ne put finir sa phrase. Henry prit son visage entres ses mains. Lui fit-il mal ? En tout cas le geste eut raison de la jeune femme qui se tut dans le silence, redevenant ce petit oiseau qui cherche partout les signes d'un rapace.

— Écoute moi, je ne le laisserai pas te faire le moindre mal, Cécilia. Jamais, tu m'entends. Nous nous sommes tous engagés.

— Ta famille. Pas toi.

— Je m'y engage. Mais j'ai besoin de toi.

Elle acquiesça finalement, plongeant ses doigts sur les mains de Henry, entremêlant ses doigts aux siens. Elle desserra l'étau de son visage et le quitta sur un dernier regard. Ce fut seulement quand elle disparut dans les escaliers que Henry Delhumeau regagna sa chambre. La porte se referma et le couloir regagna sa quiétude.

Alice s'enferma à son tour, chamboulée par ce qu'elle venait de voir et surtout par un détail qu'elle avait entraperçu tandis que Henry contraignait Alexandra à gagner sa chambre. Cette dernière tenait à bout de bras la sacoche de Camille. 



____________________

Et voilà pour cette première partie de chapitre 11. On est d'accord que tout ça est très très louche, non ?

Merci pour vos retours sur nos publications. J'ai bien pris note de ce que vous nous avez dit. Vous êtes absolument adorables, je dirai même plus : vous êtes les meilleures et meilleurs. Nous sortirons donc les chapitres au fur et à mesure, quand nous les aurons. On l'espère un par mois, c'est le moment de mettre toute la pression sur le dos de Sandra, allez-y, je vous en prie ahaha. 

Mais on se retrouve d'ors et déjà la semaine prochaine pour une fin de chapitre et deux demoiselles qui ne comptent pas rester sur le bord de la route. 

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