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La marche fut plus longue que je l'avais anticipé. Le soir où j'avais fait le chemin dans l'autre sens, j'étais dans un tel état de déboussolement et de peur que je n'avais pas vraiment pris conscience de la distance parcourue. Autour de moi, la vallée du village suomen laissa place à une autre, plus encaissée, où la végétation était particulièrement dense. C'était étrange, de se mouvoir ainsi au milieu des cèdres et des pins, tout en réalisant qu'ils n'avaient probablement jamais été coupés, et que le nombre de non suomen étant passé par ici devait être très faible. Néanmoins, après plus d'une heure de marche, je parvins à l'entrée de la mine.

Elle était cachée dans un renfoncement de la vallée encaissée, dans lequel les arbres laissaient place à un grand espace sableux dépourvu de toute végétation. L'entrée de la mine était là, un trou béant dans la chair rocheuse de la montagne, soutenue par d'épais troncs d'arbre d'un grand âge. Elle n'avait rien d'une mine moderne, mais semblait plutôt sortie tout droit du XIXe siècle - ce qui était peut être le cas. La présence de cet ouvrage en pleine terre suomen était un mystère pour moi, mais l'endroit m'effrayait bien trop pour que j'ose poser plus de questions à son sujet. Dieu seul savait comment avaient fini les mineurs qui y avaient travaillé, ou les autres victimes de kidnapping qui n'avaient pas eu ma chance... peut être avais-je dormi sur les os d'illustres inconnus sans le savoir.

Cette idée me fit frissonner.

Je m'assis dans le sable, en face de la bouche béante. Sa noirceur semblait m'observer, me détailler, comme si elle se délectait à la simple idée que je puisse devoir y retourner. J'étais incapable d'ôter mon regard de l'entrée, ni de me détendre. Je ne ressentais rien de la colère que je m'étais attendue à trouver, et cela ne faisait que renforcer mon trouble, ainsi que le sentiment principal qui me faisait trembler du plus profond de mon âme en cet instant: la terreur.

J'étais pourtant à bonne distance, une bonne trentaine de mètres. Pourtant, mes mains s'agitaient de spasmes incontrôlables, et mes lèvres tremblaient comme au milieu d'un blizzard. Cette ouverture noire, béante, noire comme une nuit d'encre, qui faisait rejaillir en moi les pires instants de mon existence. L'odeur atroce. La honte. La saleté. La faim. La soif. La douleur. Et l'obscurité. Cette obscurité mate, qui absorbe tout, qui nous fait douter de l'ouverture de nos paupières. J'étais sur le point de défaillir à la simple vue de cet endroit. Et lorsque, au sein de l'ouverture menant profondément dans les entrailles de la terre, il y eut un mouvement, je me retint de justesse de pousser un cri de terreur. Une silhouette s'extirpa de la noirceur, une silhouette humaine, svelte, de taille moyenne, et...

-Arg... qu'est ce que tu fais là, kowo? Demanda Nokomis avec dédain en sortant de la mine.

Je repris mes esprits après quelques instants, mais mon coeur tambourinait dans ma cage thoracique comme s'il voulait s'en extirper, et mes mains tremblaient violemment. Pendant un court moment, une part de mon esprit terrorisé avait cru qu'une créature surgie des ténèbres arrivait pour m'emporter avec elle. Mais évidemment, je n'allais rien en dire à Nokomis.

-Qu'est ce que tu fais là? Da-jee-ha se demande où tu es.

Ce n'était pas totalement vrai, ni totalement faux.

-Je connais cet endroit depuis que je sais marcher. Clama-t-elle avec une forme de fierté. Et j'y fais mes affaires depuis, qui ne te regardent pas. Ce qui me ramène à ma question. Tu me suis?

-J'ai des choses plus importantes à faire que de te suivre courir dans les montagnes. Rétorquai-je.

-Oh, je vois. Des choses... comme... rester assise... immobile... à fixer l'entrée d'une grotte, j'imagine?

-Entre autre. Dis-je en me relevant, et en époussetant d'un geste ample mon pantalon du sable qui s'y était logé.

-On dirait que t'as vu un fantôme. Ooh, ne me dis pas que tu as...

Le sourire sur le visage de Nokomis ne me dit rien qui vaille.

-Eh bien, reprit-elle, puisque tu as l'air si intéressée par ma mine, je vais te la faire visiter.

-Qué? No, jamais de la vie.

Mais elle venait de franchir la distance qui nous séparait, et sa poigne de fer s'était refermée autour de mon poignet.

-Viens, tu verras. Il fait encore plus sombre à l'intérieur.

Elle commença à me tirer vers la bouche béante.

-Lâche moi! Je n'ai rien à faire de ton trou, retournes donc y jouer seule!

-Mais non, mais non, ça me fait plaisir de te le montrer! J'ai passé toute mon enfance ici, ça devrait t'intéresser. Oh, mais peut être que ma grand mère a déjà eu le temps de tout te dire à ce sujet.

-Lâche... moi! Sueltame!

Sa poigne était puissante, mais sa force l'était encore plus. J'avais beau m'arc bouter de toute mes forces, j'étais incapable de résister. Lentement, inexorablement, l'entrée approchait. Sa taille augmentait. Sa noirceur se faisait plus palpable. Et les battements de mon coeur semblaient prêts à faire exploser mes tempes. Je tirais, tirais de toute mes forces, refusant de m'abaisser à supplier. Nokomis devait voulait juste m'effrayer. Je ne voulais pas lui offrir satisfaction. Mais il plus je m'approchais, plus ma panique devenait hystérique et incontrôlable.

-Ukko'nerhté! Tu te débats comme une louve, ma parole! Ricana Nokomis. AÏE! TU M'AS GRIFFÉE?

-LACHE MOI! Hurlai-je, incapable de contenir plus longtemps ma terreur ni mes larmes. LACHE MOI LACHE MOI LACHE MOI.

-Wow wow wow, du calme! Qu'est ce que tu nous fais là, ce n'est qu'une grotte!

Elle arrêta de tirer, mais ne lâcha pas mon bras pour autant, et je m'effondrai dans le sable, tremblante.

-Je vous jure, les kowos, vous êtes vraiment effrayés par un rien. Insectes, araignées, obscurité... quels fragiles vous faites.

Lorsque mon visage se retourna vers elle, je la vis. L'entrée. À moins de deux mètres de moi, tirant ses longs bras ténébreux pour m'aspirer dans les abysses. Ma respiration se coupa. Je tentai de me défaire machinalement de la poigne de Nokomis, mais c'était impossible. Ma main libre chercha désespérément quelque chose à quoi se raccrocher, mais ne trouva que le sable qui recouvrait le sol. Je m'en saisit et le jeta à la figure de Nokomis, qui poussa un cri de surprise et lâcha mon bras.

-HEY! Mais tu vas pas bien?

Je n'entendis pas le reste de ses invectives, car je couru à perdre haleine à vers les bois. Peu importe la direction, il fallait que je mette le plus d'espace possible entre moi et la mine.

C'était la seule chose qui comptait.

SauvagesWhere stories live. Discover now