Le cœur criant

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Sept ans plus tard.


Au 4, Privet Drive, un gros garçon joufflu mangeait de bon appétit un solide petit déjeuner dans une assiette de la taille d'un plat, les yeux fixés sur la télévision allumée.
Devant lui, deux enfants aux cheveux noir étaient côte à côte en train de faire la vaisselle. Ils étaient maigres à faire peur, et silencieux.


Les deux garçons, âgés d'environ huit ans, échangeaient de temps à autre un coup d'œil rapide. L'un avait de stupéfiants yeux vert émeraude tandis que l'autre avait les yeux sombres. Ils étaient vêtus tous les deux de guenilles, et ils avaient le même air résigné sur le visage.


Là où le gros garçon avait le teint pâle de quelqu'un habitué à rester à l'intérieur, les deux autres gamins avaient le teint hâlé, comme s'ils passaient énormément de temps à l'extérieur. Et c'était le cas : ils étaient assignés aux travaux de jardinage, quelque soit le temps.


Le gros garçon poussa un rugissement ravi, en réponse à quelque chose qui passait à la télévision. Le garçon aux yeux verts sursauta brusquement et ses mains mouillées échappèrent une assiette qui tomba et se brisa au sol.
Consternés, les deux garçons blêmirent et eurent un mouvement de recul.


Un homme énorme arriva en se dandinant, le teint violacé. En voyant les morceaux de vaisselle, il commença à hurler, postillonnant face aux deux "monstres" comme il les appelait.
Le garçon aux yeux verts baissa la tête, les larmes aux yeux.
- Je suis désolé mon oncle.
Ses excuses ne calmèrent pas l'homme, bien au contraire. Il devint encore plus pourpre et leva la main, prêt à le frapper.


L'autre garçon, celui aux yeux sombres, émit une légère protestation, le cœur criant à l'injustice. La tête levée, il se plaça devant son compagnon d'infortune comme pour le protéger.
Sa réaction n'eut pas l'effet escompté, puisque l'homme énorme ne semblait pas réticent à le frapper également : qu'il s'agisse de l'un ou de l'autre, il les détestait de la même manière, et ne rechignait jamais à les corriger.


En voyant l'énorme main se rapprocher de son protecteur, le garçon aux yeux verts écarquilla les yeux et serra les poings de toutes ses forces. Le garçon aux yeux sombres ferma les yeux, attendant le coup.

Sauf que l'impact n'eut jamais lieu.


A la place, il y eut un bruit sourd. L'homme-cachalot avait été repoussé et propulsé à l'autre bout de la pièce, et il gisait au sol, assommé.


Les deux garçons se prirent par la main, conscients qu'ils allaient avoir de graves problèmes.
Bien évidemment, il y avait déjà eu des moments où il se produisait des choses étranges autour d'eux. C'était souvent quand ils étaient sous le coup d'une émotion forte.
A chaque fois, ils étaient battus et enfermés dans le placard minuscule qui leur servait de chambre pendant des heures. Leur seule consolation était de ne pas être seuls.


En voyant leur oncle assommé, le garçon aux yeux verts secoua la tête effaré.
- Va dans le jardin, Charlie. Je dirais que j'étais seul. Je...
Mais l'autre garçon secoua doucement la tête, et raffermit la prise sur la main de son frère jumeau.
- Ensemble Harry. Toujours ensemble.


Harry laissa échapper un soupir tremblant et les deux garçons restèrent immobiles et silencieux, en regardant leur oncle au sol. Leur cousin, toujours devant la télé à s'empiffrer n'avait absolument rien remarqué. Ils attendaient le moment où ils seraient corrigés pour ce qu'ils avaient fait, avec la résignation due à l'habitude.


Quelques heures plus tard, les deux enfants étaient serrés l'un contre l'autre dans leur placard. Ils ne pleuraient pas : ils avaient appris très jeune que ça ne servait pas à grand chose.
Ils puisaient du réconfort dans la présence de l'autre, alors qu'ils avaient encore le souvenir des coups qu'ils avaient reçu quand leur oncle avait repris conscience.
Cette fois pourtant, il les avait frappé moins fort, comme s'il avait eu peur d'eux... Mais la correction restait cuisante.


Charles soupira.
- Un jour... Je nous vengerai.
Les yeux verts étincelèrent un instant de fureur.
- Et tu me laisseras parce que tu seras envoyé en prison !
Ils se défièrent du regard un long moment, habitués à cette conversation. Ce n'était pas la première fois que Charles parlait de vengeance, et ce n'était pas la première fois que Harry lui faisait comprendre qu'il refusait.
Ce n'était pas que Harry aimait la famille qui les molestait. Il les détestait autant que son jumeau, de toute son âme. Il se moquait bien de ce qu'il pourrait leur arriver, et s'il était certain que Charles ne risquait rien, il le laisserait faire ce qu'il voulait. Il l'aiderait même.
Mais il avait peur que son frère, son unique confident, ami, pilier, ne lui soit enlevé. Il n'envisageait pas la vie sans lui.


Charles soupira puis capitula. Il l'attira contre lui, et déposa un baiser léger sur son front.
- Je pensais que tu aimerais leur rendre chaque coup.
- Je m'en moque Charlie. Je veux juste partir d'ici avec toi, et ne plus les revoir.
Le garçon aux yeux sombres sourit, et gloussa doucement.
- Partir d'ici hein ? C'est une excellente idée Harry.


C'était une conversation qu'ils avaient régulièrement. Ils voulaient tous les deux quitter cette maison où ils souffraient trop pour tenter leur chance ailleurs. Ils étaient des enfants, peut être, mais ils étaient deux. Ils étaient malins, et débrouillards. Ils avaient longuement pesé le pour et le contre, et ils pensaient sincèrement qu'ils arriveraient à s'en sortir malgré leur jeune âge.


Cependant, ils n'avaient jamais réussi à mettre leur idée en application. Leur oncle et leur tante leur laissait si peu de libertés qu'il était compliqué de prévoir leur fuite. Et chaque fois qu'ils étaient dans leur placard, ils étaient enfermés de l'extérieur. Comme des animaux.


Harry bailla puis soupira.
- On aurait dû partir loin d'ici pendant qu'Oncle Vernon était assommé au sol. Dudley n'aurait rien vu, je suis certain.
Charles passa une main tendre dans les cheveux éternellement en bataille de son frère et haussa les épaules.
- Il y aura d'autres occasions Harry. La prochaine fois... on sera prêts.


Ils se sourirent, et se blottirent un peu plus l'un contre l'autre. Quelques secondes plus tard, ils dormaient pour oublier leur misère.


Prompt de demain : Cause perdue

Tu es mon doubleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant