chapitre 24

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Manque de bol, il se lève au même moment. Comme rattrapée par le retour fracassant de la réalité, je fais demi tour, et retourne dans ma première direction. J'ai trop vite baissé les bras. Son lui tout entier, a eu raison de mon courage. Je suis beaucoup trop nulle. Ce trajet inspiré n'a donc servi à rien du tout ? Je veux partir.

Mes pieds virent comme des fous. Le vent me frappe les yeux, et je me sens minable. Je suis minable. Venir ici n'a pas été aussi bénéfique que je le pensais. Je n'ai même pas réussi à l'atteindre. Lui qui ne m'a pourtant pas aperçu. Ce n'est pas très glorieux, ça.

À la sortie du parc, j'ai les idées grises. Semblables à la couleur dans laquelle, le ciel se renforce à chaque minute. J'y lève mon regard clos, et je réfléchis dans le vide. Je me revois rebrousser chemin. Je le vois absorbé sur ses affaires contre son jean délavé, les sourcils joints. Sous ce grand arbre, entre les feuilles verdâtres qui tombent, et les nuages qui s'apitoient dans des éclats. Il est attrayant en toute circonstance. C'est rongeant.

Décidé le temps d'une respiration, je choisis d'emprunter un raccourci plus long, jusqu'à la maison. Je suis toute seule. La route est grande, les maisons sont muettes, et l'atmosphère du parc me paraît à présent bien lointaine. J'ai dévoré les jardins voisins des yeux, en aspirant l'air autour de moi. Ça m'a fait relativiser. Je n'aurais jamais dû essayer ça. Aller lui parler. Qu'aurais-je dit ? Rien. Je voulais juste être assez près de son visage, pour sentir son odeur parfumée à la lavande.

J'ignore ce qui m'a pris. Au final, je finis par m'en vouloir. Et je me renfrogne dans cette idée de ne pas en être amoureuse. Mais quelqu'un qui n'est pas amoureux aurait fait une chose pareille ? Quelqu'un qui n'est pas amoureux aurait ce même trac monstrueux, quand je m'attarde un peu trop sur lui ? Ma tête recommence à faire un replay. Ça n'a rien de sentimental. Il est juste physiquement plaisant, non ? Vouloir m'empêcher de penser à tout ce qui le concerne, me donne des maux.

Comme désespérée, je déchaîne un grognement contre les nuages noircis. J'ai l'impression de ne pas être assez honnête avec ma personne. Je m'enfonce dans un déni inexplicable. Malgré le fait que je sache que j'ai la possibilité d'en sortir. Je suis insensée, c'est terrible.

- Ça t'as libéré ?

Une voix m'a parlé. Pas une de celles qui piétinent mon subconscient. Une vraie, une réelle.

Mon corps tourne sur lui même, enfin mes jambes flageolent. Jake me sourit, d'un sourire penaud. D'un sourire perdu, et vraiment interrogé. Est-il dans mon dos depuis que j'ai quitté le parc ?

- Tu es entrain de me suivre ? Demandais-je, bercée par la confusion.

- Camille m'a fait comprendre que tu passerais. Alors quand j'ai vu une fille en pyjama bleu se sauver du parc en plein milieu de la journée, j'ai eu de légères suspicions.

Ah.

Le pyjama.

Mon habillement m'est complètement sorti de l'esprit. Je dandine sur un de mes pieds, envahie par la gêne d'avoir été surprise. Je ne pensais pas avoir attiré son attention. Et Camille l'a prévenu. Ça m'inquiète de ne pas savoir si elle lui en a dit plus.

- Qu'est-ce qu'il y a, Peyton ? Elle m'a dit que tu tenais à me parler, Demande t-il, en penchant sa tête d'un côté.

- En fait...je voulais savoir si tu étais déjà parti, mentis-je. Tu ne m'as pas donné le jour de ton départ, alors je m'interrogeais un peu.

Après tout, rien n'est correct. Pourquoi me l'aurait-il donné à moi ? Moi, celle qui n'est même pas capable de l'approcher sans psychoter. Une fille peinée de devoir adresser ne serait-ce qu'un seul mot à un garçon. Une fille dont il ne sait absolument rien, hormis, son prénom ? J'ai envie de me rouler par terre, juste pour ça, pour cette bêtise mensongère que j'ai osé lui sortir.

- Je pars demain. Histoire de bien me préparer à l'avance et de ne pas tout faire dans la précipitation.

- Oh.

- J'ai également vu sur internet que ce serait bientôt la saison des étoiles, alors je suppose que le moment sera adéquat, idéal...

- « Idéal » ? Demandais-je, piquée au vif.

Il a louché sur les affaires dans sa main, puis s'est assis sur le trottoir abandonné. Mes neurones se bagarrent lorsqu'il tapote chaleureusement la place à côté, les genoux rabroués. J'ai obéis, obnubilée et perdue dans l'échéance de papillons invisibles qui planait dans mon imagination.

- Regarde ça, dit-il en présentant un calepin, c'est un carnet de souvenir. Comme tu le sais, on va tous vieillir un jour, puis mourrir. Certes ça craint, mais c'est vrai pour autant. Donc, dedans, je note toutes mes escapades, pour ne pas les oublier plus tard, et peut-être même, qui sait, en faire profiter ma descendance future, si je décide d'en avoir une.

- Alors, tu tiens un journal intime, concluais-je d'un coup.

Je révulse un sourire inespéré quand il me fixe, comme sidéré.

- Quoi ? Non, ça n'a rien à voir.

- Est-ce que tu ne le consulterais pas fréquemment, et n'y écrirais pas tes pensées, par hasard ?

- Stop. Je te vois venir, et ça n'a strictement rien à voir avec un journal intime.

- Je ne te juge pas, je t'assure. Au contraire, c'est même innovant de rencontrer quelqu'un qui tient ce genre de choses. Surtout pour un garçon, c'est très rare.

- Bah voyons, Commente t-il, pince-sans-rire. Tu as l'air énormément réactive quand il s'agit de charrier, toi.

- Moi ? Je n'essaye pas de me moquer, tu sais. Ce n'était pas du tout dans cette intention, mais alors pas du tout.

On se détaille longuement, incrédules et amusés, attendant que l'un ne cède en faveur de l'autre. J'ai pensé à cette scène d'un point de vue extérieur, et ça m'a résonné ironique. Une fille et un gars, tous les deux posés sur la bordure d'une route déserte. Celle-ci vêtue de son large pyjama bleuté de fleurs, soutenant les iris de celui-ci accablé par sa carte, son calepin et ses stylos multiples couleurs. Un mélange tordant. Digne d'un gag.

Et c'est lui qui a baissé son visage, dans un rire. Un rire calme et léger, qui m'a rappelé notre première discussion nocturne à cette fête. Cette fête où tout semblait plus facile, à l'éclairage d'un simple lampadaire l'instant de quelques confessions. Je revois ce moment, comme je le vois là maintenant. Nettement. Ça m'effraie.

- On pourrait débattre dessus un milliard d'années, que je te dirais toujours que ce n'est pas un journal intime.

- Comme je te dirais toujours que c'en est bel et bien un.

Sans que je ne le réalise réellement, il m'a détendu. J'entoure mes pieds fléchis de mes bras, en souriant quand il me dit qu'il lâche l'affaire après maintes échecs pour me résonner. On ne prend plus en compte le temps. L'environnement est comme plongé dans un profond slow down. Il rit, je le regarde. Il soupire parfois quand je tente une blague peu fameuse, et je me surprends à vouloir que les nanosecondes de cette partie dure plus longtemps que prévu.

Les pages de son carnet sont remplies. Très remplies. À ras bord. Il parle de beaucoup de choses dedans. Il était vers les côtes la fois dernière. Là bas, charmé par le monde qui se dressait différemment, il a décidé d'y rester. Il m'a absorbé avec toutes ces histoires. Ses yeux ont brillé quand il m'a parlé des gens qu'il avait croisé dans ses balades.

J'ai regardé droit devant moi, en laissant son récit s'imprégner à moi. J'ai pensé. Je me suis projetée à sa place, éloignée de tout. Appréciant les paysages, la nuit. Ça m'a donné une drôle de sensation, en réalisant que j'en avais peut-être envie aussi. M'évader du quotidien.

- Je devrais venir avec toi, déclarais-je de bute en blanc.

Un silence a plané, et le marron foncé de ses iris ont décortiqué mon visage.

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