6

21 4 0
                                    

_____

      Les journées chez Taehyung étaient rythmées avec trois repas par jour : le petit-déjeuner, le déjeuner, et le repas du soir. Je n'étais pas habitué à manger autant, ça ne m'étais jamais arrivé auparavant. En réalité, dans mon ancienne vie, je sautais des repas par-ci par-là, mon alimentation n'était pas mon plus grand souci. Cela faisait à présent trois nuits supplémentaire où je dormais dans la chambre d'amis de Taehyung. Il me prêtait ses vêtements, ainsi que sa maison et me préparait à manger. Mon impression sur lui s'était confirmée dans ce laps de temps, c'était un homme gentil et drôle. Il passait la moitié de la journée, c'est-à-dire quelques heures dans l'après-midi, à travailler dans sa chambre sur ce qu'il m'avait dit être un projet important. Je n'avais pas très bien compris, mais pas non plus cherché à comprendre mieux pour l'instant. Ce qui était étrange, c'était que le pays s'était effondré, donc Taehyung aurait dû perdre son travail à cet instant-là tout comme moi. Mais ça n'avait pas été le cas, et j'étais convaincu que ça avait un rapport avec son mystérieux collaborateur Min Yoongi.

      Je ne savais pas ce qu'il se passait à l'extérieur, j'ignorais même si Taehyung le savait. Je n'avais tout simplement pas cherché à m'informer sur le sujet. Peut-être qu'avec le temps, j'oserais le demander, mais pour l'instant, j'étais effrayé à l'idée qu'on me dévoile une partie de l'horreur.

      J'étais allongé sur le lit, les yeux rivés sur le plafond tout en réfléchissant lorsque la porte s'entrouvrait lentement. Je me relevais en constatant que la silhouette musclée de Taehyung s'était glissée par l'entrebâillement. Nous étions en plein milieu de l'après-midi, c'était la raison pour laquelle j'étais surpris de le voir là et non dans sa chambre. Est-ce qu'il y avait quelque chose d'important dont il voulait me parler ? Au fond de moi, je crois que j'avais compris, c'était le moment où il allait m'annoncer que je le dérangeais. J'avais espéré que ça n'arriverait pas, parce que je devais avouer que je me plaisais ici, les moments que je passais avec Taehyung était agréable et réconfortant.

— J'ai toqué mais tu ne m'as pas entendu, commençait-il.

— Ah, pardon je rêvassais... Que se passe-t-il ?

      Il passait une de ses paumes dans sa nuque avant de faire un pas de plus dans la chambre.

— Je me demandais si tu voulais regarder un film ?

      Mon visage venait de s'illuminer devant cette merveilleuse proposition. Je hochais vigoureusement la tête, ce qui avait eu l'air de le réjouir. Depuis que j'étais arrivé, la télévision n'avait pas été allumée. Je m'étais dit qu'elle était peut-être en panne ou quelque chose dans le genre, mais je ne m'étais pas plaint.

      Taehyung me faisait alors un signe de main pour m'inciter à le suivre jusqu'à la pièce principale. Je m'installais en tailleur sur le canapé en attrapant au passage un coussin pour le fourré sur mes genoux.

— Je n'ai que de vieux DVD, il y a Parasite, Hard Day... Oh, tu aimes les zombies ?

— Oui, ne t'en fais pas.

      En vérité, je me fichais de ce qu'on regardait. Peu m'importait. Je n'avais jamais été quelqu'un de difficile, avant j'allumais simplement la télévision en mettant une chaîne au hasard sans m'en soucier. Taehyung glissait le disque optique dans la fente du lecteur et attrapait la télécommande pour se placer à son tour sur le sofa. Une place nous séparait.

       Il sélectionnait la langue, levait le son et se calait correctement contre le fauteuil alors que l'écran s'illuminait pour commencer la diffusion de « Dernier Train Pour Busan ». J'avais de suite été très captivé par le film. Peut-être que Taehyung m'avait bien cerné puisque c'était vrai, j'aimais les histoires de zombies finalement. Il y avait un virus qui transformait les gens en d'affreuses bêtes affamées de chairs et, alors que la pandémie faisait rage, les passagers d'un train se retrouvent dans de beaux draps puisqu'il y a une jeune femme contaminée qui se trouve à bord. J'avais grimacé de tristesse lorsque mon personnage préféré était mort, j'étais le genre de personne qui aimait bien avoir des préférences sur tout et, dans les films ou séries, j'avais toujours eu le chic pour que mes favoris fussent la plupart du temps ceux qui finissait par y laisser la vie. Taehyung avait dû remarquer ma moue boudeuse, car il s'était doucement moqué de moi, ce qui lui avait valu un coup de coussin sur le torse avant que je ne me concentre à nouveau sur le film.

      Je relevais finalement la tête lorsque le générique du film s'affichait, il faisait désormais sombre dehors. La nuit tombait tôt puisque nous étions en novembre, nous étions restés environ deux heures devant l'écran depuis la fin de l'après-midi.

— J'ai toujours trouvé les personnages dans ce genre de truc idiots ! Grognait Taehyung en se relevant pour s'étirer.

— Ce n'est qu'un film ! Me moquais-je à mon tour.

— Tout de même, il y a parfois des solutions beaucoup plus simples que leurs plans sans queue ni tête qui mènent toujours à la même issue : la mort.

— Je pense que c'est la peur qui les pousse à agir moi, ça leur embrume le cerveau et du coup ils disjonctent et deviennent stupides, les pauvres...

      Taehyung roulait des yeux sans pourtant que son sourire ne quitte ses lèvres puis se levait pour se diriger vers la cuisine. J'éteignais la télévision et rangeais le DVD à sa place avant de le rejoindre. Le garçon aux cheveux rouges laissait un bâillement lui échapper, signe qu'il devait être fatigué. Mon ventre ne criait pas famine, j'avais simplement un petit creux.

— Tu n'as pas besoin de faire à manger si tu es fatigué... Je me contenterais d'un petit truc !

— Il faut que tu manges, tu sais ?

— Oui mais je n'ai pas très faim, en fait, remarquais-je.

      Il pouffait de rire en se retournant pour ouvrir le placard suspendu au mur et en tirait une boite cartonnée.

— Des céréales, ça te vas ?

— C'est parfait ! Affirmais-je alors qu'il attrapait deux bols.

      L'un était d'un bleu pastel et l'autre d'un vert mate, il y versait la quantité d'un verre de lait à l'intérieur puis ajoutait les petites billes de chocolat sur le dessus avant de me le tendre avec une cuillère.

— Est-ce que tu peux le faire chauffer, s'il te plaît ?

— Tu es vraiment un drôle de spécimen, se moquait-il affichant une mine faussement dégouttée avant de rire pour mettre le bol bleu dans le four à micro-onde.

      Nous n'entendions plus que le son du disque qui tournait dans la machine et frappait la vitre lorsque le bol passait sur le devant ainsi que le bruit agaçant de mes pensées.

— Dans quoi est-ce que tu travailles ? Ça semble beaucoup t'occuper...

— Je suis désolé si je t'ai paru absent, je m'occupe de choses importantes et débordantes, soufflait-il l'air visiblement las et fatigué.

— Quel genre de choses ?

— J'ai peur de t'effrayer si je te le dis maintenant, mais tu n'as pas à t'inquiéter. Je travaille pour l'avenir.

      C'était une drôle de réponse, je me doutais que Taehyung ne voyageait pas à travers l'espace-temps. Mes lèvres se joignaient entres elles pour se pincer l'une l'autre. J'avais demandé par curiosité, je ne sais pas si ça me regardais réellement ce que Taehyung avait choisi de faire de sa vie, cette dernière poussait parfois à faire des choix difficiles, dangereux, tristes. Mais le seul responsable était le destin lui-même. Nous ne pouvons rien faire pour lutter contre lui, car il était inévitable. Qu'importe notre détermination. Mais à présent, Taehyung avait attisé mon envie d'en savoir encore plus sur lui, car il se pourrait que ça m'intéresse un tant soit peu.

— Est-ce que ça a un rapport avec le fait que tu portais une arme ce soir-là ?

      Il se contentait de hocher la tête avant que le bip du micro-onde ne nous interrompe. Taehyung déposait à nouveau mon « repas » devant moi en faisant un pas en arrière.

— Tu n'es pas effrayé ?

— Pourquoi ? Devrais-je ? Rétorquais-je, les sourcils arqués.

— Non, je me disais juste...

— Tu t'en ai déjà servi sur quelqu'un ?

— Une fois, un homme menaçait de tuer quelqu'un qui m'est cher, il avait une arme braqué sur mon frère. C'est la seule fois où j'ai eu besoin d'y recourir avant le soir de la chute du pays pour menacer l'homme qui te frappait.

— Alors je n'ai pas peur de toi, concluais-je. 

Thorns Of Chaos - TaekookWhere stories live. Discover now