54 - Travail en commun

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Le lendemain, Maddie rit beaucoup. Élise n'avait que peu de souvenir de la soirée caritative et était persuadée d'avoir dansé en sous-vêtements, debout sur une table à la vue de tous. Maddie eut beau lui assurer le contraire, Élise n'en démorda pas pendant des heures.

Ce ne fut qu'en voyant passer une vidéo d'une jeune fille gigotant sur un tabouret qu'elle comprit que ces images étaient celles qu'elle avait en tête ; elle avait donc assisté à la scène mais ce n'était pas elle qui s'était donnée en spectacle et fait mettre dehors.

Progressivement, Élise se souvint de sa dispute avec Jamie et de son retour au dortoir avec Maddie. Elle promit alors à sa colocataire de ne plus abuser de l'alcool : Élise ne voulait pas faire de Maddie sa capitaine de soirée.

Les deux amies passèrent le week-end à se concentrer sur différents travaux pour leurs cours, voguant entre leur chambre et la bibliothèque, et démarrèrent la nouvelle semaine de cours avec entrain.

En pénétrant dans l'amphi, Maddie fut étonnée d'y voir presque tous les sièges occupés. D'ordinaire, ce cours n'accueillait qu'une vingtaine d'étudiants, hors là, ils étaient déjà une bonne quarantaine à être installés.

Une femme se tenait sur l'estrade, une fesse appuyée sur le bureau, et saluait chacune des personnes pénétrant dans l'amphi. Maddie répondit poliment à son bonjour avant d'aller s'asseoir au milieu de la deuxième rangée.

Elle sortit son cahier sur lequel elle se mit à griffonner et n'en releva la tête que lorsque le professeur fit son entrée. Il rejoignit la femme sur l'estrade, ils échangèrent quelques mots à voix basse, puis le professeur se débarrassa de sa veste et la déposa soigneusement sur la chaise derrière le bureau. Il se tourna ensuite vers son auditoire, se racla la gorge et lança :

— Bonjour à tous. Comme vous l'avez certainement remarqué, vous êtes nombreux aujourd'hui. C'est parce que deux classes sont présentes : la mienne et celle de Mme Bates.

Il présenta sa voisine d'un geste, puis poursuivit :

— Ma collègue et moi-même avons décidé de vous réunir pour travailler ensemble. La transversalité, ça vous dit quelque chose ?

Certains élèves levèrent la main, mais comme c'était une question qui n'appelait pas de réponse, le professeur poursuivit :

— Nous avons choisi un thème à cheval sur nos deux disciplines : la mémoire.

— Vaste et passionnante question ! renchérit Mme Bates.

Maddie ne pouvait qu'être d'accord ; elle trouvait le sujet très intéressant. Elle était curieuse de savoir comment ce travail allait s'organiser entre les classes. Elle resta attentive pendant les explications des deux professeurs.

Ils détaillèrent le pourquoi de cette mutualisation ; l'intérêt de croiser les regards et de réfléchir une thématique sous différents angles, à travers plusieurs prismes.

— Nous allons former des binômes, annonça le professeur. Un élève de mon cours avec un élève venant de celui de Mme Bates.

Il y eut aussitôt un brouhaha dans la salle et des étudiants commencèrent à se lever.

— On ne bouge pas ! s'écria Mme Bates en levant les mains.

Tout le monde se figea.

— Nous allons former ces fameux binômes ! lança le professeur en insistant bien sur le « nous », désignant clairement Mme Bates et lui-même.

— C'est par ordre alphabétique ? demanda quelqu'un.

Le professeur secoua la tête et afficha un petit sourire :

— Nous ne vous communiquerons pas notre secret de fabrication de ces binômes !

Quelques rires résonnèrent. Mme Bates claqua des mains.

— Allons-y !

Le professeur chaussa ses lunettes sur le bout de son nez et se mit à lire la feuille posée sur le bureau.

À chacun des noms qu'il énonçait, Mme Bates complétait d'un autre. Au fur et à mesure que les duos étaient annoncés, les jeunes se déplaçaient pour se réunir.

Maddie patienta en jetant un œil autour d'elle. Lorsqu'elle aperçut Sally, au bout de la première rangée, son estomac se noua.

Sally n'était pas dans son cours, elle était donc forcément avec Mme Bates, ce qui voulait dire qu'il était peut-être possible...

Elle n'eut pas le temps de finir sa pensée que son propre nom résonnait dans la salle.

— Madeleine Harrington est la prochaine gagnante, plaisanta le professeur en la regardant.

Maddie tenta de sourire tandis qu'elle se levait. À cet instant, Mme Bates prononça le nom de sa binôme :

— Elle sera accompagnée de Sally Smith !

Maddie eut l'impression que son cœur cessa de battre une seconde avant de s'emballer et de tambouriner dans sa poitrine.

Croiser Sally à la bibliothèque, échanger quelques mots avec elle était une chose, travailler avec elle en était une autre...

Maddie se sentit brusquement fragile, vulnérable. Ces sentiments qu'elle avait tant éprouvé ressurgirent du passé, empreintes de cette époque du lycée qu'elle pensait révolue.

Maddie inspira profondément, ferma les yeux une seconde. Elle devrait travailler seule à seule avec Sally. En tête à tête. Trop d'émotions se mêlaient en elle à cette perspective.

— Madeleine ! Vous rejoignez votre collègue, s'il vous plaît ?

Maddie rouvrit les paupières et vit son professeur lui faire signe d'aller rejoindre Sally. Sally qui affichait une expression que Maddie ne réussit pas à définir. Leurs regards se croisèrent, Sally se déroba.

Maddie avança lentement, ses jambes lui paraissaient peser une tonne. Elle arriva enfin devant son ancienne coéquipière. La gorge sèche, elle s'humecta les lèvres.

— Salut, bredouilla-t-elle.

Avec un sourire timide que Maddie ne lui connaissait pas, Sally répondit :

— Salut.

Elles restèrent à se regarder. Le silence, pesant, s'éternisa.

— Ton prof est marrant, finit par commenter Sally.

Maddie jeta un œil vers le concerné et hocha la tête.

— Oui, c'est celui que je préfère. Les heures de cours passent à toute vitesse avec lui.

— Je comprends pourquoi il bosse avec Mme Bates. C'est une vraie bout-en-train !

Sur quoi, Sally imita la voix de la prof. Maddie se surprit à rire franchement. Un silence gêné s'installa juste après.

— Bravo pour l'enchère, lâcha alors Maddie sans réfléchir.

Sally haussa les épaules.

— Au moins, l'argent de mes parents va servir à quelque chose de positif, répondit-elle tout aussi spontanément.

De manière inédite et totalement inattendue, les deux filles se sourirent.

Les professeurs venaient de terminer d'énumérer tous les noms et demandèrent l'attention de tous les étudiants.

— Vous pouvez créer un document papier, travailler un exposé oral ou faire une vidéo, un montage photo... Sachez que tous les formats sont acceptés, du moment que vous traitez du sujet ! précisa le professeur.

— Soyez créatifs ! ponctua Mme Bates.

Comme les vacances de printemps débutaient en fin de semaine, les deux professeurs en tinrent compte pour fixer une date butoir.

— Bon travail et bonnes vacances ! lancèrent-ils en chœur.

Ils furent applaudis avant que les élèves se mettent à quitter l'amphithéâtre.

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