48 - Une décision

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Des larmes lui montèrent aux yeux. Chaque mot qu'elle lisait l'atteignait en plein cœur. Sally savait qu'elle avait été mauvaise mais, au fond d'elle, elle espérait être la seule à le penser. À travers cet article, il n'y avait pas de doute à avoir : sa prestation n'était pas une catastrophe qu'à ses yeux, mais également aux yeux de spectateurs aussi. Si tous les étudiants n'étaient pas forcément nombreux à le savoir avant, impossible d'y couper maintenant. À cause du journal, toute l'université allait en être informée.

Sally était furieuse, vexée. Déçue, aussi. Atteinte dans sa fierté. C'était plus que ce qu'elle pouvait supporter. Elle avait excellé comme cheerleader, comment avait-elle pu penser qu'elle serait aussi bonne dans une autre discipline ? Sa décision était prise. Elle n'avait qu'à la communiquer et passer à autre chose.

En traversant le campus, elle avait l'impression que tous les regards étaient braqués sur elle, comme si chaque personne qu'elle croisait avait lu l'article et partageait totalement le point de vue de l'auteur. Qui était cette personne d'ailleurs ? Elle avait lu et relu le nom de la personne mais n'avait aucune idée de qui il s'agissait. Au fond d'elle-même, elle ne souhaitait pas réellement le savoir. Elle risquerait sûrement d'aller lui dire le fond de sa pensée, et pas de façon très diplomate... Elle avait toujours été du genre à parer les coups et à les rendre, quand elle n'était pas la première à les donner. Était-ce vraiment toujours le cas ?

Sally baissa les yeux pour éviter les regards et fit rouler le plus rapidement possible son fauteuil. Elle atteignit le bâtiment, y pénétra et rejoignit l'auditorium. Aucun étudiant n'était encore arrivé, seule Leila était présente. Sally n'avait pas le cœur à entrer dans des explications alors elle annonça de but en blanc :

— J'arrête.

L'air confus, Leila l'interrogea :

— Tu arrêtes quoi ?

Sally tendit les bras et désigna d'un large geste l'espace autour d'elle.

— Le théâtre, la troupe, tout ça !

Leila la fixa un instant avant de demander :

— Ça a quelque chose à voir avec l'article dans le journal ?

Sally poussa un long soupir.

— Tu l'as lu ? Évidemment que tu l'as lu.

Sally ne laissa pas le temps à Leila de lui répondre et poursuivit :

— Je n'ai fait que me ridiculiser. Et ridiculiser aussi toute la troupe. Tout le monde sera soulagé de me voir m'en aller.

Leila approcha en secouant vivement la tête.

— C'est faux. Personne ne sera soulagé de te voir partir.

— Peu importe. Je n'ai plus envie, de toute façon.

Leila s'assit à côté de Sally et posa sa main sur son avant-bras.

— Cet article, c'est l'avis d'une personne. Pas de l'ensemble des spectateurs.

— Je suis sûre que c'est ce que tout le monde pense.

— Tu n'en sais rien ! Tu n'es pas dans la tête de tout le monde.

Sally marmonna quelques mots incompréhensibles.

— Et ne pas plaire à tout le monde, cela fait partie du jeu. Quand on se met sous les feux de la rampe, on doit supporter la critique. À chaque fois que l'on monte sur scène, on se met en danger.

— Je ne peux pas faire ça, murmura Sally.

Leila resserra ses doigts autour du bras de Sally dans un geste réconfortant.

— Pourtant, c'était ce que tu faisais en cheerleading, non ? Tu te montrais aux gens.

Elle parlait sur un ton doux. Sally respira profondément, ses épaules se soulevèrent et s'abaissèrent doucement.

— C'était complètement différent. J'étais la meilleure. Il n'y avait aucune critique négative à faire. Jamais.

Le silence tomba. Leila le laissa s'étirer un moment avant de demander à Sally :

— Tu veux savoir ce que j'en pense, moi, de ta prestation sur scène ?

Sally sembla hésiter, puis hocha lentement la tête.

— Je ne t'ai pas trouvé mauvaise, loin de là. Je t'ai vue stressée, peut-être perturbée par la crainte d'un trou de mémoire car tu récitais ton texte plus que tu ne le vivais.

— Donc j'ai bien été mauvaise.

Leila fit une nouvelle fois non de la tête.

— Non. Écoute moi jusqu'au bout. Tu t'es laissée submerger par le doute, c'est ça que je pense. C'est ce qui t'a fait sortir du personnage. Mais je pense aussi que tu as quelque chose. Que tu as une facilité à faire vivre des émotions. Je pense que tu dois de détacher de ce qui se passe autour de toi, et surtout tu dois te faire confiance.

Sally esquissa un sourire triste. Se faire confiance ? Pour quoi faire ?

— Et tu dois me faire confiance à moi aussi. Je n'ai pas envie de te laisser baisser les bras.

— Je ne baisse pas les bras, je suis réaliste, c'est tout. Je ne suis pas faite pour ça. Je ne suis plus faite pour grand-chose.

— Non seulement je ne suis pas du tout d'accord avec toi, mais je te trouve particulièrement défaitiste !

Sally fixa ses jambes.

— J'ai de quoi l'être, dit-elle à mi-voix.

Leila lui prit le menton pour l'inviter à la regarder dans les yeux. Sally s'exécuta sans broncher.

— Tu as aussi de quoi être pleine d'envie et de projets. Je ne suis pas là pour te donner de faux espoirs mais je crois en toi. J'insiste, je ne veux pas te laisser baisser les bras et partir après un simple article. Honnêtement, ce serait du gâchis.

Sally resta muette.

— Je veux te garder dans cette troupe et je sais que chacun sera d'accord avec moi. Tu n'as pas à crever l'écran dès ta première prestation. Ce n'est pas comme ça que ça marche. Je vais t'aider à t'épanouir parmi nous.

Sally était touchée. Vraiment. Alors elle hocha la tête, même si elle était peu convaincue.

— D'accord. Mais ne compte pas sur moi pour ta prochaine pièce.

Leila sourit et la prit dans ses bras.

— On aura le temps d'en reparler !

— J'ai échoué.

Leila attrapa le menton de Sally et plongea son regard dans le sien.

— Tu n'es peut-être pas satisfaite mais tu es montée sur scène et tu as joué ton rôle jusqu'au bout. Tu peux être fière de toi.

— Il n'y a pas de quoi être fière, maugréa Sally.

Leila sourit.

— Moi, je le suis.


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