Fragment de lettre d'adieu #2

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[...]

Mais tout ça c'est pas juste, c'est pas juste.

Vous partez tous ensemble en vacances avec lui, pendant que moi je fais le tour des cabinets de psy et de médecins, pendant que je lave votre linge et cuisine votre repas.


Je ne vois pas pour quelle raison je continuerais de vivre de cette manière.


J'ai tout fait, j'ai vraiment fait de mon mieux, pour être comme il faut, j'ai tout essayé ; de ne pas faire de bruit, d'obéir, de bien travailler.

Mais ce n'est jamais suffisant.


Je comprends pas.


Je sais pas comment vous pouvez faire tout ça, le défendre, l'embrasser et le prendre dans vos bras ;

Pour qu'ensuite, tout ce qu'il me reste, c'est la violence, les coups et les insultes.


C'est pas juste.

Je comprends pas.

Je comprends pas.

Je comprends pas et je suis fatiguée.


J'ai atteint la limite de ce qu'une personne peut supporter.


Est-ce que vous savez ce que ça fait de s'endormir le soir en ayant l'impression de l'entendre respirer, de l'entendre prendre du plaisir, de sentir ses putains de mains sur vous ?


Et la douleur, la douleur vous la sentez ?

Elle transperce tout votre corps, vos jambes, vos côtes, votre dos.

Elle s'insinue dans votre tête, elle frappe, encore et encore contre votre crâne, elle vous transperce et vous ne pouvez pas crier.

Vous savez ce que ça fait de ne voir plus que ça, de ne penser qu'à ça, de n'être plus que ça ?


Et lui, est-ce qu'il le sait ? Ou est-ce qu'il continue de ne voir que sa petite personne ?

Est-ce qu'il a idée de la douleur ?

Est-ce qu'il sait au moins pourquoi je ne peux pas me tenir face à lui ?

Est-ce qu'il regrette ?


Non. Il ne regrette pas, non il ne sait pas, parce qu'il continue sa petite vie tranquille tout à fait normalement, il continue d'agir comme s'il était mon frère.

Il n'a pas honte.

Il se permet de vous mentir, de vous manipuler, de me faire passer pour une menteuse, une folle.

Il ose me regarder dans les yeux, il ose s'approcher de moi, poser ses mains sur moi, m'adresser la parole comment est-ce qu'il peut faire ça ? Comment est-ce qu'on peut le laisser faire ?


Et vous continuez à vous voiler la face, vous vous laissez berner par ses mensonges, parce que c'est tellement plus facile de le croire lui. C'est tellement plus simple de se dire que c'était pas grave, qu'il était jeune, qu'après tout c'était quand même de ma faute tout ça, que j'exagère, que je mens. Qu'il ne s'est rien passé.

En fait vous ne vous voilez pas la face, vous prenez parti pour ce qui vous arrange le plus, vous avez trouvé une position qui vous convient ; le croire lui, ignorer mes propos, me reprocher de faire du mal à tout le monde, mettre l'entière responsabilité sur mes épaules. 

Vous avez trouvé un avocat, pour le défendre lui.

Je crois que je n'ai pas besoin d'en dire plus.


Est-ce que c'était réellement de ma faute ?

Je suis toute rongée par la culpabilité, je me sens sale, dégoûtante, monstrueuse.

Mon corps est devenu la chose que je déteste le plus au monde, je ne peux plus toucher ma peau, me regarder.

Je ne peux plus respirer, ressentir, penser.

Je veux réduire mon corps en cendre, l'assoiffer, le briser, l'affamer, le rendre inutilisable pour qui que ce soit.

En réalité je suis partie depuis très longtemps, je suis à des milliers d'années lumières, je flotte, je me perds.

Je me perds dans le vide, dans la douleur, dans ma mémoire.


C'était de ma faute.

C'était de ma faute.

Je ne suis plus rien.

Je ne suis plus là.

Je ne comprends pas.

C'est insupportable.


Je me sens tellement seule.

Depuis beaucoup trop longtemps.

Ces dernières semaines ont été absolument atroces.

Jongler entre un silence glaçant, presque douloureux et les cris, la colère, c'est insupportable.

J'avais besoin de chaleur.

Juste un tout petit peu.

Parce que j'étais tellement vide tout le temps, seule.

Il me fallait juste un peu de gentillesse, même pas de l'amour, juste de la compréhension.

Parce qu'une vie où il n'y a que solitude et violence, ça n'en est pas une.

Voilà. Je ne vivais pas.

J'étais pas une personne.

J'étais toute abimée, cassée en mille morceaux, il ne restait plus qu'à me jeter.


J'abandonne.

La limite est franchie, on a dépassé les limites de ce qu'un être vivant peut supporter.

Réjouissez-vous, ça n'arrive qu'une fois.


On n'a que ce qu'on mérite je suppose.

Au fond, peut-être que c'était vraiment moi la mauvaise personne.

Peut-être que j'aurais dû souffrir plus encore.


Je ne peux pas vous demander pardon, parce que c'est tout ce que vous attendiez, que je me foute en l'air.

Alors ne me pardonnez pas.

Adieux à l'Univers : À la dériveOù les histoires vivent. Découvrez maintenant