Ce qu'on fait la nuit

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Non, non, croyez-moi, vous n'avez pas idée de ce qu'on fait la nuit.

La nuit, on est épuisés, la nuit on se scarifie, on fume, la nuit on se consume, on pense aux choses qui pourraient arriver, on se rappelle de tout ce qu'il s'est passé, on souffre et on ne peut pas s'échapper. Mais on ne dort, pas, surtout on ne dort pas, être éveillé c'est déjà beaucoup trop effrayant, s'endormir ce serait imprudent. S'endormir ce serait donner vie à tout ce qu'on fuit, se retrouver coincé au milieu des ennuis. 

On ouvre les vannes la nuit, on laisse couler les larmes, personne ne nous voit, on peut déposer les armes, se libérer d'un poids. On peut se permettre de penser ce qu'on veut, la nuit on a le droit de vouloir abandonner sans culpabiliser.  Ne vous méprenez pas, on se sent affreux la nuit aussi, on se déteste, mais en pleine léthargie, on pense moins au reste.

Parce qu'on est vide la nuit, on est épuisé, c'est épuisant de faire semblant toute la journée. On est vide de sentiments, vide de pensées ; elles fusent au début puis elles s'arrêtent subitement. Parfois on a l'impression qu'on va exploser et puis en même temps on a plus de mots pour s'exprimer. 

On est seuls aussi, parce que les gens dorment, parce qu'ils ne pensent pas à ce qu'on fait la nuit ou parce qu'ils n'en ont pas conscience. On est seuls avec nos pensées vides, on a été seul toute la journée mais c'est maintenant qu'on le comprend, dans le noir, les yeux mouillés, les bras abîmés, le cœur aussi. 

On est tous seuls ici.

On regarde le vide, le noir, le rien, on souffle la fumée de nos clopes pour former des nuages dans le néant, on essaye de combler l'oppressant.

On se détruit petit à petit.

On entend tout dans le silence de la nuit. On entend presque les étoiles briller, la lune respirer. On entend les voitures des passants toujours éveillés, on entend les gens dormir, et puis les autres on les entend boire, se bourrer la gueule dans les bars, parce qu'eux ils savent ce qu'on fait la nuit, ils savent et ils veulent oublier pour pas l'faire aussi.

 On se rend compte à quel point la vie est pourrie.

On souffre la nuit, et c'est con parce que c'est beau la nuit, c'est calme, c'est beau oui, pour ceux qui dorment tranquillement dans leurs lits. On aimerait être comme eux, ne pas avoir peur de fermer les yeux mais c'est trop douloureux. 

Vous pensez sûrement qu'on est faibles, qu'on se lamente simplement sur notre sort, qu'il nous suffit de faire un effort. 

Et si on ne peut pas, si nous, on ne peut pas arrêter de faire ce qu'on fait la nuit, si on ne peut pas l'ignorer,  si on ne choisit pas de penser à tout ça ? Parfois les choses nous tracassent, on aimerait les oublier, vraiment, mais ça nous dépasse et on se retrouve submergé.

On a honte, on a tellement honte qu'on doit se cacher, attendre la tombée de la nuit pour pouvoir y penser sans vous déranger.


Finalement, si,  vous avez peut-être une idée de ce qu'on fait la nuit, mais c'est une idée abstraite, trop difficile à comprendre, trop envahissante, une idée qu'il vaut mieux mettre de côté. 

La nuit on vit.

La nuit on meurt petit à petit.



Adieux à l'Univers : À la dériveWhere stories live. Discover now