Rusted body

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Je suis fatiguée.

Mon corps grince comme un vieux coffre vide.

Mes os gris, rouillés frottent les uns contre les autres, chaque jointure, chaque articulation laisse échapper de grands soupirs à longueur de journée.

Ces craquements résonnent à travers toute ma carcasse.

Mon dos est complètement cassé, ma colonne, mes vertèbres, mes omoplates et même mes épaules sont inutilisables, la rouille les a engloutis, ils sont figés et rien ne sert d'essayer de les mouvoir ; le bruit qui s'échappe du mécanisme en dit suffisamment long.

Certaines pièces se détachent de temps à autre, puis la rouille les rattrape.

Mes bras sont des chiffons, ils pendent grossièrement le long de l'appareil. Quand on les secoue ils se déchirent. Ils ressemblent à de vieux essuie-mains blancs et épais, tachetés de bleu, rugueux et tout abimés. Ils sont laids et usés jusqu'à l'os.

Ma poitrine siffle de temps en temps, quand l'air ne passe plus correctement. Le mouvement de va-et-vient se fait plus rapide jusqu'à ce que quelque chose d'autre bloque, juste en dessous des côtes, et alors, c'est la catastrophe. L'air doit absolument passer, mais la pièce bloquée empêche l'engin de fonctionner ; il s'arrête un moment puis repart tout doucement, s'arrête à nouveau et repart, il réitère l'opération jusqu'à ce que la pièce se débloque.

Mon cœur aussi fait des siennes ; il fonctionne comme une vieille horloge, un jour il avance, l'autre il retarde. C'est épuisant à longue de ne jamais avoir la bonne heure. Parfois, il devient brûlant, à tel point qu'on croirait qu'il veut s'échapper de ma poitrine. J'aimerais bien qu'il le fasse une bonne fois pour toutes.

Mes organes ont cessé de fonctionner, le mécanisme est rouillé depuis un bon moment. Quelquefois, la vieille huile qui stagne dans mon estomac se met à bouillonner et ça suffit à stopper tout l'appareil. Le feu se répand dans le reste des pièces et c'est le chaos total, rien ne peut l'arrêter.

Généralement, la machine s'effondre parce que le feu est beaucoup trop important pour qu'elle ne puisse le supporter.

Mes hanches, bien qu'enveloppées, ne peuvent plus soutenir l'énorme poids du reste de mon corps. Elles grincent, frottent, râpent contre mon fémur. Elles se désintègrent toutes seules.

Et mes jambes violettes, marbrées, ne peuvent plus me porter non plus, elles ne peuvent déjà pas supporter leur propre poids. Elles craquent sans arrêt, comme un vieux parquet en bois qui hurle quand on le piétine.

Elles ne ressemblent à rien et c'est sûrement pour ça qu'elles s'accordent avec le reste de l'appareil.

Tout ça, tout ce corps, ce n'est que du rien.

Il n'y a plus de lumière à l'intérieur.

C'est une machine qui fonctionne dans le noir, toute seule, sans aucune énergie, sans aucune motivation, sans aucun but. C'est une machine sans intérêt.

Les gens la regardent parfois, intrigués par son volume imposant et sa couleur fade.

Elle dérange cette machine, pas parce qu'elle est cassée en mille morceaux, pas non plus parce qu'elle fait beaucoup de bruit, mais parce qu'elle est inutile ; on ne sait pas quoi en faire, on ne sait pas où la mettre, elle traine au milieu et on ne sait pas comment s'en débarrasser. Alors, on s'énerve dessus. Comme si on s'énervait sur un vieux téléviseur un peu fatigué. On lui tape dessus, on crie, on jure (au cas où), on le casse en plein, on l'abîme jusqu'à ne plus rien pouvoir en tirer du tout.

Mon corps est marqué de haut en bas, on ne peut pas toujours voir les traces d'usure sur les rouages, mais le fait est qu'elles sont bien là, laissées par une utilisation inadéquate, trop violente, irrespectueuse.

C'est ce qui fait que la machine est totalement hors service.

La pièce principale, l'âme de l'appareil manque à l'ensemble, elle a été retirée puis perdue pour toujours.

Mon corps est vide.

Mon corps est mort.

Mon corps est rouillé.

Mon corps est engourdi.

Il n'y a plus que du vent à l'intérieur, des courants d'air froids et douloureux.

Je n'en peux plus, je veux que la machine s'arrête pour de bon, qu'elle ne soit plus que poussière.

Je suis épuisée.


Adieux à l'Univers : À la dériveWhere stories live. Discover now