Les jeux sont faits

54 6 0
                                    

C'est insupportable.

Enlève-moi ça, enlève ce poids sur mes épaules, c'est insupportable.

Je craque, c'est trop lourd.

C'est trop douloureux, je suis cassée en mille morceaux, plus rien ne tient.

Mes jambes ne peuvent plus soutenir cette charge, je m'écroule un peu plus chaque jour.

Le poids augmente encore.

Je croule sous les non-dits, je croule sous les reproches, la culpabilité et les souvenirs.

Mon dos ne supporte plus toutes ces choses.

Regarde-moi, c'est pathétique ; j'étouffe derrière ce sourire hypocrite, je me cache derrière un humour qui laisse à désirer, je ris quand je veux pleurer, je me tais quand je devrais parler ; rien ne va plus.

Je ne suis plus moi-même, j'ai du mal à me reconnaître quand je me regarde, quand je parle ou quand je pense ; je ne vois plus le monde de la même manière, tout est putain de flou.

Je me sens piégée dans un corps qui ne m'appartient pas, contrôlée par des pensées qui s'en prennent à moi.

Je me noie dans cette immense étendue de flou, je subis.

Le poids est trop important, il me tire vers le fond et je ne peux plus remonter à la surface.

À quoi bon ?

Plus on coule et moins on sent cette lourdeur, on se détache de la réalité jusqu'à disparaître complètement, couler c'est se rapprocher de la fin, de la fin de tout.

Alors que, c'est épuisant d'être à la surface, de sourire, d'être quelqu'un à l'intérieur mais de montrer quelqu'un d'autre à l'extérieur. 

Être à la surface ça veut dire se rappeler encore et encore, penser à toutes ces mains qui ont sali notre corps, qui sont venues appuyer un peu plus sur nos épaules, penser à tous ces mots qu'on prend dans la figure, qui nous déboussolent, qui nous font perdre l'équilibre.

Être à la surface, c'est ressentir toutes les choses qu'on voit, qu'on entend et qu'on nous inflige. 

Par exemple, pour moi, continuer à respirer, ça signifie continuer à entendre F. crier à travers la maison que je suis une sale pute, claquer des portes, casser des choses (et mon cœur aussi), ça signifie continuer à en prendre plein la figure à longueur de journée, ça veut dire avoir mal, ressentir chaque secousse, chacun de ses mots, chacun de ses gestes. Je ne peux pas me défendre. Je subis.

Continuer à respirer, ce serait écouter sans cesse C. répéter à quel point je suis une erreur, un problème, dire à tout bout de champ que je fais tout de travers, que j'empoisonne la vie de tout le monde.

Vivre, c'est me rappeler en permanence à quel point je ressemble à O. C'est voir toutes les similitudes entre lui et moi, c'est être tellement dégoûtée par celles-ci que la seule solution, c'est de les détruire, de me détruire complètement, jusqu'à n'être plus rien. De toute façon, les traces qu'il a laissées ne s'en iront jamais ; c'est à l'intérieur de moi, je suis pourrie à l'intérieur, c'est en moi pour toujours.

Quand je suis à la surface, je ne peux m'empêcher de ressentir toutes ces choses, d'y penser. 

Je suis prise au piège.

Il faut comprendre que je ne peux pas rester une minute de plus en haut.

Je ne peux plus supporter tout ça.

Ni le flou, ni la vie.

C'est de la torture. Et j'en ai assez de me faire massacrer.

Je laisse tomber. 

Je laisse tomber.

J'abandonne.

Je ne veux plus continuer.

C'est toujours le même refrain, pas vrai ?

Cette fois les paroles sont bien plus sensées.

Je me fous de tout, rien ne m'atteint. 

Je suis anesthésiée, mon corps ne sent plus rien, mon cœur a cessé de fonctionner.

C'est le vide intersidéral à l'intérieur ; rien ne va plus, les jeux sont faits.

Tout ce qu'on ressent là maintenant, c'est le poids de tout ce bordel qui nous emporte avec lui.

Il faut que je laisse les vagues me porter.




Adieux à l'Univers : À la dériveWhere stories live. Discover now