Le pont est assez haut

168 9 4
                                    

Sortir seul, le soir, c'est assez étrange. On entend tout et rien à la fois. Le monde est là mais pas complètement.

Seule la lune est en notre compagnie, elle brille doucement, éclaire les rues de velours, elle rend la réalité un peu moins brutale.

Au début, on est attentif à chaque bruit.

La nuit, on entend le vent qui souffle dans les arbres ; les branches qui grincent, les oiseaux qui remuent dans leurs nids. On entend les voitures qui passent au loin. Parfois, quand on se rapproche des maisons aux vitres noires, on peut entendre les gens qui dorment ; certaines fenêtres clignotent : c'est le poste de télévision qui marche encore...

Quelques fois, si on a vraiment de la chance, on aperçoit des fenêtres qui luisent toujours, et, en tendant bien l'oreille, on peut entendre des rires, des éclats de voix qui rebondissent contre les murs de pierre, ils viennent briser le calme morose de la nuit. Ils sont si rares ces bruits-là, ils semblent provenir de gens heureux, heureux pour de vrai, heureux malgré la nuit qui pèse sur le monde endormi. Parfois aussi, on entend des gens qui s'aiment vraiment.

Mais tout cela est rare et occasionnel, parce que la nuit laisse place aux angoisses, parce que les bruits silencieux du soir finissent par se changer en cauchemars.

En effet, dans la majeure partie des cas, la nuit, on entend des gens seuls dans les maisons vides, des gens qui pleurent leur famille, des gens qui souffrent, qui sont épuisés, mais qui ne trouvent jamais le sommeil. Des animaux qui errent sans arrêt, comme moi, parce qu'ils ne savent plus où aller pour échapper au monde mouvementé.

Et, tard la nuit, vous entendez des pas qui résonnent dans le vide, plutôt rapides, ils semblent accrochés aux vôtres, un peu comme une ombre qui vous suit, qui se rapproche. C'est de plus en plus fort, de plus en plus rapide. 

Ce sont les pensées qui reviennent, elles ne partent jamais vraiment ; parfois, elles vous hantent sans bruit, d'autrefois, elles se cramponnent à vos épaules, serrent votre cou et hurlent à vous rendre fou.

Elles font beaucoup trop mal.

Elles sont si lourdes qu'il faut courber le dos pour ne pas tomber. Trouver une carapace pour gagner un peu de temps avant qu'elles ne vous étouffent pour de bon.

Parce que c'est ce qu'elles font, tout le temps.

Peu importe ce que vous dîtes ou faites, elles finissent par vous avoir, et vous suffoquez jusqu'à ce que le monde extérieur disparaisse complètement.

Alors, dans cette noirceur et sous cette pluie sombre, surgit la question "pourquoi la vie ?"

Pourquoi continuer à subir la torture interminable des pensées ?

Que faire, comment s'échapper ?

Et dans la nuit noire apparait la solution

Le pont de l'autre côté semble assez haut pour y jeter mes idées. 


**********************

Tout est si dur en ce moment. 

Il est dur de se lever, dur de dormir, dur de manger, dur de respirer. 

Les journées sont longues et terriblement douloureuses, chaque chose me rappelle le passé, chaque souvenir me blesse un peu plus profondément.

La semaine précédente, en sortant du lycée, quatre garçons m'ont coincée dans une ruelle. Ce qu'il s'est passé là-bas m'a réellement troublée, choquée, je n'ai même pas de mot assez fort pour définir ce que j'ai ressenti et ce que je ressens encore aujourd'hui.

Avez-vous déjà vécu, tout au long de votre vie, un/des événement(s) si cruel(s) et douloureux, que la souffrance ne disparait jamais ?

Vous êtes-vous déjà demandé Pourquoi, pourquoi est-ce que ces choses arrivent, pourquoi est-ce qu'il a fallu que ce soit vous ?

Si tel est le cas, vous savez bien évidemment qu'il n'y a pas de réponse à ces questions. 


Et sans réponse, tout ce que je peux faire, c'est y penser sans arrêt, culpabiliser, me sentir stupide, regretter, vouloir en finir.

Je ne peux même pas parler de ce qu'il s'est passé, parce que le dire à voix haute rendrait cet événement réel pour de bon et ça m'achèverait sur le champ.

Le monde est injuste et impitoyable, parfois, il est trop dur de continuer à subir.

On ne peut plus vivre après tout ça. 

Mon corps ne m'appartient plus. 

 Je ne suis plus rien.

Ils ont pris tout ce qu'il restait.



J'abandonne.


Adieux à l'Univers : À la dériveWhere stories live. Discover now