recueil fairy tail

Le temps d'un regret

Le vacarme assourdissant de la fête résonnait dans ses oreilles avec la force titanesque d'un éléphant, et elle se demanda vaguement ce qu'elle pouvait faire pour arrêter une telle torture. Elle qui d'ordinaire s'éclipsait dans un endroit isolé pour lire n'avait cette fois aucun moyen de décompression, le brouhaha de la salle empêchant toute réflexion, ou tout repos mental – ce dont elle avait définitivement besoin. Le récent combat contre la Reine des fées avait été des plus meurtriers pour son corps, sans compter l'apparition soudaine des dragons ; ces deux événements mis bout à bout contribuaient à une fatigue extrême, autant physique que psychologique. Elle lâcha un bâillement discret et aperçut en face d'elle Erza, discutant joyeusement avec une personne dont elle ne connaissait pas le nom. La rouge semblait bien profiter de la soirée malgré ses blessures pas tout à fait refermées... Peut-être devrait-elle prendre exemple sur Titania, au moins pour honorer leur victoire retentissante contre ces animaux majestueusement dévastateurs.

Saisissant un verre qui trônait fièrement sur la table pleine à craquer de vivres divers et variés, elle imita une de ses collègues non loin d'elle. Kagura n'était pas vraiment du genre fêtarde, ni même de celle qui boit de l'alcool à tout va, mais elle comptait bien jouir des bienfaits de ce nectar doux-amer, justifiant cela par une action purement thérapeutique. Et il fallait dire que la boisson passait dans son œsophage avec une facilité déconcertante ! Elle qui s'attendait à un goût affreux, se surprenait à découvrir qu'il n'en était finalement rien. La brune s'empara d'une bouteille et se mit dans l'idée de remplir l'objet entre ses doigts longs et fins, bien décidée à retrouver cette douce mélodie qu'elle percevait lorsque le liquide glissait le long de sa gorge.

Adieu temps maussade empli de douleur, et bonjour atmosphère fluette et légère qui ravit le cœur de mille et une façons.

« T'es bourrée ! » Railla Sting dans un sourire narquois.

Tous se retournèrent vers la jeune femme qui, bien que les mains sur les hanches et un regard sérieux collé sur le visage, chancelait légèrement. Elle se dandinait d'un pied à l'autre, ne sachant pas réellement sur lequel poser tout son poids de peur de tomber devant l'assemblée entière.

Elle l'était, indéniablement. Mais ça ne l'empêchait pas de savoir ce qu'elle faisait tout de même ! La mage de Mermaid Heel croisa les bras sous sa poitrine, faisant par la même occasion ressortir toute l'opulence de cette dernière, et toisa le blond du regard. Son rappel à l'ordre n'eut pas l'effet escompté puisque le dragon Slayer partit dans un fou rire incontrôlable, qui faillit d'ailleurs la gagner à deux reprises. Même légèrement pompette, le self-control de Kagura s'avérait être une arme redoutable et sans égal. L'arrogance et les tendances suicidaires de Sting étaient, elles aussi, sans égales... L'épéiste serra les poings, les prunelles autant brûlantes que la physionomie de Natsu en plein combat. Elle amorça un premier pas en direction de son ennemi du moment, n'ayant pour seule idée de lui faire regretter son élan de courage – sûrement amené par la conviction qu'elle ne serait pas capable d'y répondre clairement, ce qui n'était pas entièrement faux en réalité. Des petits bonhommes s'amusaient à voiler ses pupilles d'un linge opaque de temps à autre, avant de mettre sa vision au ralenti ou de l'accélérer selon les instants. Mince, elle était vraiment en mauvaise posture...

Un soupir passa le barrage de ses lèvres, pourtant pincées à ce qui lui semblait être son maximum, et tous ses muscles se détendirent immédiatement, accompagnant parfaitement l'exclamation exaspérée de son organisme. Perdre la face à cause de cet homme était inconcevable et ce, même si son enveloppe charnelle se noyait dans une atmosphère sage et tranquille. L'alcool tournait calmement dans son ventre, telle la roue d'un vélo magique sur les pavés de Crocus, et l'apaisement ressenti grâce à ce simple tournoiement était aussi étrange qu'agréable. La fatigue déployait ses ailes pour de bon, laissant libre cours à la satisfaction d'avoir résisté à la terrible menace qui avait plané sur la tête de tous les mages comme une épée de Damoclès. Ils avaient triomphé des dragons et elle ne comptait pas se priver d'une joie pareille pour cet arrogant personnage !

Elle tourna les talons, envoya un sourire comblé à Sting, et chancela jusqu'à la table voisine dans l'espoir de trouver un verre susceptible de rassasier son envie pressante de boisson. Elle avait l'impression que sa gorge se décomposait littéralement à chaque minute passée loin d'un liquide quelconque. Quelle curieuse sensation que l'alcool... La brune sentait les regards des membres de sa guilde mais s'en fichait pas mal, dans la mesure où du vin bien frais s'offrait à elle aussi généreusement que les rayons du soleil suite à une forte pluie.
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Elle déambulait à travers les victuailles, ne sachant plus réellement si elle était proche ou non de la sortie du château. Le peu d'air que ses poumons pouvaient récolter n'était définitivement plus suffisant, en raison de la cruauté dont faisait preuve son corps en augmentant crescendo la chaleur qui brûlait en lui depuis une dizaine de minutes. Elle avait cessé de boire mais l'ardeur des flammes qui faisaient fondre ses entrailles était toujours aussi puissante. Au loin, elle vit Miliana parler gaiement avec l'exceed de Natsu, Hipie ou Poly, un truc comme ça. Ne se sentant pas l'âme d'entamer une conversation avec elle, voire de communiquer tout court, l'épéiste entama sa progression vers les tréfonds de la demeure du roi (l'idée même de s'échapper par la grande porte se volatilisa rapidement), espérant grandement trouver un refuge à la myriade de tourbillons dans ses intestins. Elle souhaitait à tout prix arrêter l'effusion de sang qui tambourinait dans son crâne avec la force de cinq titans, ainsi que les relents de nourriture consommée au cours de cette soirée, ô combien arrosée.

Jamais elle n'aurait dû boire autant. Jamais !

Le cœur battant à toute vitesse, la vision trouble, les bras ballants et les jambes flageolantes, Kagura s'afféra à éviter des objets qui volaient près d'elle – non sans en recevoir quelques uns à cause de son état déplorable. Fairy Tail avait une très mauvaise influence sur les autres guildes, c'était certain ! Lorsqu'elle atteignit enfin les pilonnes délimitant l'espace de fête, elle s'adossa à l'un d'eux pour reprendre son souffle et entreprit de plonger ses yeux verts dans la foule. Un sourire fendit ses lèvres rosées tandis qu'elle reprenait peu à peu le contrôle de ses guibolles capricieuses. Elle cessa son œillade amusée et commença une marche à travers les couloirs du palace, atténuant de ce fait la musique qui frappait ses tympans avec brutalité. Elle aimait le calme et cet endroit était loin de respirer la tranquillité qu'elle recherchait.

Les exclamations des personnages bruyants de la guilde la plus déjantée de Fiore n'arrivèrent bientôt plus jusqu'à ses oreilles, de même que les cris de rage d'une Erza Scarlett tout aussi sobre que la leader de Mermaid Heel ; elle remercia d'ailleurs intérieurement le constructeur de cette bâtisse pour avoir créé des corridors qui s'éloignaient rapidement de la salle de réception.

La quiétude retrouvée, Kagura se permit de ralentir un peu son allure, pas très sûre quant au fait de se tenir correctement. Elle essayait tant bien que mal de ne pas y songer, mais savait que son corps pouvait la lâcher à tout moment, et que si elle s'échouait sur le sol comme une vulgaire poupée de chiffon, elle ne serait pas en mesure de se relever toute seule. Elle devait bien choisir ses appuis, ainsi que l'instant où son pied toucherait fermement le carrelage blanc. Une extrémité devant l'autre. Doucement mais sûrement. Enfin presque ! Une robe trop longue, un pas mal assuré, et voilà qu'elle était lancée dans une chute dont elle ne sortirait certainement pas indemne. Elle était persuadée que ses os se souviendraient encore du goût du sol le lendemain... Une main ferme la retint dans les airs quelques secondes, stoppant la progression de sa tête en direction du verre luisant de malice, avant que cette dernière ne se remette en marche.

Son dos atteignit sa destination finale avec un bruit significatif et une douleur tout aussi reconnaissable. Sa poitrine se retrouva compressée par un poids totalement étranger mais dont l'odeur lui chatouillait les narines avec délice. Elle ne voyait rien – le voile opaque ayant profité de l'occasion pour faire une apparition fulgurante – mais n'était pas moins perturbée d'être ainsi oppressée par une force inconnue. La charge se releva soudain, sans que Kagura ne puisse émettre une quelconque objection en sentant la chaleur la quitter si prestement. Sa vue revint peu à peu, dessinant les formes d'un visage qu'elle reconnaissait sans aucun mal : Rogue Cheney.

« Tu vas bien ? » Balbutia-t-il maladroitement.

Il lui tendit sa main et elle le détailla lentement, l'âme encore déboussolée par sa dégringolade. Tout dans son esprit lui criait de prendre cette main, si généreusement tendue, mais sa fierté reprenait sa place de leader au sein de son organisme et elle se releva de son propre chef. Chancelante, les jambes molles et semblables à du papier mâché, elle faillit rejoindre le sol une énième fois, sous les yeux compatissants du Dragon Slayer qui déplorait toujours l'effet que l'alcool pouvait avoir sur les fonctions motrices d'un individu.

« Tu as besoin d'aide ? » Hasard-t-il entre deux haut-le-cœur de la jeune femme.
« Non ! Je vais bien... »

Shadow pointa le canon de son arme sur le ventricule de son propriétaire et tira la première balle.

Elle le congédia d'un signe de main, refusant que le brun la voie une seule minute de plus dans un tel état – elle se faisait suffisamment honte elle-même, pas la peine de rajouter une personne de plus à qui elle n'inspirerait qu'une pitié sans borne. Il hésita un instant en voyant son corps bouger de manière presque comique, mais elle réitéra son geste et il comprit que son aide n'était pas la bienvenue. Evidemment qu'elle ne l'était pas... Pas après son acte odieux envers tous les mages présents au Jeux Magiques. Qu'espérait-il franchement ? Que l'épéiste allait lui sauter dans les bras en lui disant tout le bien qu'elle pensait de lui ? Si tant est qu'il y eût quelque chose d'appréciable en lui...

Voilà donc pourquoi Shadow s'entêtait à s'accrocher à lui comme à une bouée de sauvetage ! Son âme était souillée par une noirceur aussi sombre que l'ébène et aussi profonde que les abysses. Comment avait-il pu ne pas s'en rendre compte plus tôt ? Il était le Mal incarné, et l'attaque des dragons la preuve concrète de ses idées noires.

Il tourna les talons, une foule de sensations se bousculant dans son crâne. L'arme qui l'avait heurté violemment quelques instants plus tôt revint encore plus brutalement, criblant son cœur de coups de feu. Il serra ses poings, furieux contre lui-même, contre la Terre entière, contre ce satané destin qui s'amusait à lui jouer des tours monstrueux. Satan, véritable marionnettiste dans l'âme, bougeait ses doigts habillement, déplaçant les fils de la vie de Rogue comme s'il s'agissait d'un million de feuilles mortes. Tout comme le brun percevait parfois le regard malsain de son ombre, ou sa langue lécher ses lèvres dans un mouvement provocateur, il voyait le sourire grandissant du Diable, prêt à mordre n'importe quoi, voire n'importe qui.

Tous ces gens, meurtris à cause de son manque évident de clarté. Tous ces blessés, graves ou non, endommagés par sa facilité déconcertante à être dominé par les ténèbres au moindre trouble émotionnel – le combat qu'il avait livré face Gajeel lui suffisait à étayer ces pensées.

Que lui manquait-il donc ?

« Attends ! »

Ce n'était qu'un murmure, une phrase balancée en coup de vent, mais son oreille de chasseur la capta nettement, tel un serpent repérant sa proie. Une bonne vingtaine de mètres les séparait désormais, pourtant il semblait la voir de près : ses cheveux bruns lui collaient au visage tant la sueur abondait sur son front, ses pupilles hagardes le cherchaient et sa bouche entrouverte laissait supposer que l'air surchauffé par l'alcool ne lui convenait décidément plus. Elle tremblait nerveusement, n'ayant visiblement plus la force de se porter elle-même. Elle était loin, la Kagura fière qui refusait de regarder son – presque – sauveur dans les yeux.

« Je... » Commença-t-elle, les joues commençant à devenir écarlates « Tu peux... me raccompagner ? Je n'ai pas envie que les filles me voient dans cet état. »

L'espace d'un instant, tout s'arrêta autour de lui. Les bribes d'éclats de voix qui filtraient à travers les murs se stoppèrent, de même que sa propre respiration. Ses doigts tressautèrent et son cœur suivit le rythme, ne sachant pas quoi faire d'autre que d'être entraînés dans le courant de ses émotions. Elle acceptait son offre. Alors que son homologue avait failli détruire le monde, Kagura lui demandait de l'aide, à lui, cet odieux personnage ! Il la fixa un bon moment, devenait le témoin que même la plus féroce guerrière de Mermaid Heel pouvait ressentir de la gêne en demandant un service, ce qui ne devait certainement pas arriver souvent. Etant plutôt du genre débrouillarde et sûre d'elle, les occasions où elle souhaitait être assistée se comptaient probablement facilement.

Toutefois, il s'avança. Laisser une jeune femme inapte au moindre mouvement ne serait pas franchement louable. Il n'était certes pas très doué en relations humaines, les seules qu'il ait eues n'étant pas réellement amicales si l'on omettait Frosh et Sting, mais il savait où était la frontière entre le bien et le mal. Quelle ironie. Il en aurait sûrement ri si une mage ne requérait pas son aide avec autant de ferveur – malgré une incommodité des plus palpables et une capitulation provisoire.

« Autant être claire, j'aurais pu me rattraper toute seule... »

Rogue releva l'épéiste dans un sourire franc et sincère, mais veilla tout de même à ce que cette dernière ne le remarque pas, sous peine d'augmenter d'un cran son embarras. Elle essayait de se sauver la mise ; une cause perdue d'avance, ils le savaient tous les deux. Si elle n'avait pas pu s'épargner une chute mémorable, elle essayait tout du moins de sauvegarder le peu de fierté qui lui restait encore. Dommage que le brun ne fut pas aussi dupe.

Les bras entremêlés, ils s'engagèrent dans les couloirs du château à la recherche d'une sortie quelconque, pourvu que ce ne fût pas celle qui donnait sur la salle de réception, les deux mages voulant éviter les regards des convives. L'un honteux d'être découvert dans un état lamentable, l'autre pour des tas d'autres raisons inavouées et inavouables. Rogue cessa de fixer la demoiselle égarée tout contre lui, et se concentra pour contourner la fête du mieux qu'il le pouvait – tâche extrêmement compliquée étant donné les soudaines apparitions d'invités aussi mal habiles que Kagura mais qui, fort heureusement, ne semblaient pas leur porter un intérêt particulier, trop occupés à essayer de marcher correctement. Visiblement, tout le monde semblait se plaire à devenir dépendant d'une tierce personne... L'hôte de Shadow ne les comprendrait décidément jamais, lui qui avait toujours refusé de boire de l'alcool après son incident avec Sting, dans un bar non loin de sa guilde.

Ce soir-là, tous deux fêtaient leur admission à Sabertooth, et la meilleure façon de célébrer leur nouveau départ dans le monde de la magie était évidemment de s'enivrer de boissons aux goûts parfois étranges. Ils se sentaient d'humeur festive, et rien n'aurait pu gâcher ce moment. Rien n'aurait dû non plus. Cheney, dépassant outrageusement ses propres limites, avait fini par perdre tout contrôle, créant ainsi une pagaille monstre chez le commerçant. Pagaille que même le blond avait eu du mal à calmer ! Depuis ce jour, Rogue s'était fait la promesse de ne plus absorber une goutte de ce nectar électrisant qui mettait un être humain en état de faiblesse excessive. Comme c'était le cas pour Kagura en cet instant précis... Une simple pression suffirait à lui faire perdre l'équilibre, il en était certain.

L'air brûlant de la ville en reconstruction lui agressa les narines avec une telle férocité qu'il arrêta sa rêverie passagère. Il resserra l'étreinte sur la hanche de la demoiselle, et entreprit de descendre l'escalier devant le château, vérifiant que les secousses ne donnaient pas envie à l'épéiste de rendre l'intégralité de son repas sur ses chaussures. Celle-ci ne donnait pas l'impression d'être franchement perturbée, elle suivait le mouvement, aussi simplement qu'une vague va en direction de la plage. Elle se laissait bercer par le flot que produisait le corps collé au sien, s'autorisant même à fermer les yeux une nanoseconde pour savourer les balancements tranquilles. Le vent chaud et sale provenant des décombres lui lacérait la peau, mais elle n'en avait cure, seule une émotion agréable éclairait son esprit.

« Kagura ? »

La voix était si lointaine, si faible. Son être tout entier s'engourdissait au fur et à mesure que ses jambes esquissaient un nouveau déplacement vers l'avant. Ses pieds ne touchaient plus le sol, elle en jurerait. Pourtant, la brise qui caressait ses cheveux avec autant de délicatesse nageait toujours dans ses longs fils bruns. Une myriade de sentiments la saisit avec frénésie, la faisant dégringoler un peu plus profondément dans les abysses de son rêve. Elle se sentait flotter dans un océan de senteurs nauséabondes et exquises à la fois, avait la sensation qu'une bataille entre la glace et le feu se déroulait sur sa peau nue ; l'intérieur de son buste, en parfait solitaire, était pile à la bonne température.

Un cri d'oiseau transperça le ciel de ses songes.

Elle bougea ses paupières soigneusement, comme si les ouvrir brusquement risquait de les casser en un millier de morceaux. Elles étaient lourdes et affreusement résistantes, tant et si bien que la jeune femme crut devoir rester aveugle pour le reste de sa vie. Ses lèvres se déformèrent en un rictus et enfin, la vue revint effleurer ses rétines. L'obscurité chatouilla ses sens de diverses façons alors que ses muscles endoloris reprenaient peu à peu leur rigidité d'origine. Ses bras touchèrent un tissu chaud et doux qui la laissa perplexe quelques instants. Un frisson parcourut l'entièreté de son corps frêle, remontant progressivement le long de sa colonne vertébrale, et elle ne put s'empêcher d'émettre un son entre ses dents mi-closes. Elle paillonna des paupières, ces dernières la piquant inexplicablement, tandis qu'elle tentait par tous les moyens de fixer son regard sur un objet susceptible de lui dévoiler le lieu dans lequel elle se trouvait.

Une masse noire s'approcha de l'endroit où elle était allongée et déposa quelque chose sur ses épaules, réchauffant instantanément son amas de chair et d'os. Sa bouche était trop pâteuse pour exprimer un remerciement, alors elle se contenta de le faire silencieusement. Une aura semblait briller autour de l'ombre et la fit plisser des yeux un quart de secondes. Ses bouts de chair se refermèrent encore, pour ce qui lui paraissait être plusieurs minutes, et quand elle les rouvrit – avec difficulté, cela va de soit – un bruit retentit à ses côtés, sans qu'elle ne pût l'identifier. Elle s'en fichait pas mal, seule la voix qui lui ordonnait de dire bonjour à Morphée comptait à présent. Lutter ne servait à rien, elle voulait s'abandonner toute entière à la chaleur enivrante qui happait son esprit avec autant de subtilité.

« Rogue... »

Son embouchure s'exprima trop tard car déjà, la pénombre recouvrait ses pupilles d'un voile opaque.
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L'air chaud, d'ordinaire apprécié dans cette région plutôt empreinte au froid, avait un caractère répulsif, au point que même les touristes semblaient s'en plaindre. Perché sur son haut tabouret, Sting observait ses compagnons, amorphes et à la limite de l'évanouissement pour certains. Eux qui avaient si longtemps recherché l'ardeur des rayons de l'astre solaire le regrettaient à présent, éventails en mains et verres d'eau à moitié vide sous les yeux. Tous maugréaient des paroles doucereuses envers la météo, sauf Rogue, plus occupé à plonger ses prunelles par la fenêtre qu'à exprimer son amertume. Il ne paraissait même pas porter attention à un Frosh assis en face de lui, jouant avec la poche de son costume. Le blond délaissa les papiers pour sa candidature en tant que nouveau maître de la guilde quelques instants pour examiner son collègue et ami le plus proche.

Deux semaines s'étaient écoulées depuis l'attaque des dragons, laissant une blessure psychologique à tous les chasseurs quant à leur incapacité à terrasser ce pourquoi ils s'entraînaient durement, mais Eucliffe savait pertinemment que ce n'était pas ce qui tracassait le plus son frère d'arme. Il y avait quelque chose d'autre, de bien plus pénétrant et douloureux que ce qu'il s'efforçait à croire. Un problème à la provenance plus qu'évidente mais dont il avait ignoré sciemment les tréfonds, mettant ce trouble sur le compte d'une fatigue intarissable et d'une rancœur débordante – dans l'espoir que le souci s'évincerait par ses propres moyens.
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La vérité, c'était qu'une culpabilité rongeait Rogue à petit feu, plantait ses griffes sur ses intestins jusqu'à ce que les plaies ouvertes de ses entrailles le fassent souffrir atrocement. Son ventricule émettait des impulsions électriques parfois si violentes qu'il croyait trépasser aussi facilement qu'une feuille se fait emporter par une bourrasque. Une œillade à ses compagnons suffisait à le plonger dans un abîme étroit et sombre duquel il ne sortait jamais. Chaque regard le poussait un peu plus vers son lieu d'exil, au milieu des huées sourdes dont il créait l'ardeur en guise de punition. Si lui-même n'était pas en mesure de pardonner son geste – non prémédité à l'heure actuelle – comment pouvait-il aspirer à la rédemption de la part de ses camarades ?

Pourtant, Kagura lui avait demandé de l'aide, sans le fuir ou le regarder en chien de faïence comme il le craignait. Elle avait tendu sa main vers lui, le suppliant silencieusement de ne pas la laisser tomber dans un moment aussi critique. Encore aujourd'hui, il ne comprenait pas son comportement, aux antipodes de ce à quoi il s'attendait lors du banquet. Un vent imperceptible avait traversé le couloir à l'instant précis où ses pupilles croisaient celles de la jeune femme, et il s'était mis à espérer. Espérer que ses mauvais choix n'influençassent pas la vision que les gens avaient de lui.

« Autant être claire, j'aurais pu me rattraper toute seule... »

Il avait souri avec douceur, une première depuis la révélation de son perturbant futur. Un sentiment de bien-être embaumait son amas de chair et d'os, déposant dans son esprit un brin de délicatesse. Il passait du méchant au chevalier servant en une fraction de secondes, et c'était loin de lui déplaire ! L'illusion créée par le geste de Kagura le laissait planer dans une bulle hermétique à toutes agressions extérieures, quelles qu'elles fussent.

Seulement les trêves sont temporaires et le retour à la réalité bien plus brutal qu'on ne peut le croire.

Il se souvenait avoir porté la mage à travers les décombres de Crocus désormais en ruines, imaginant malgré lui son corps sans vie, les images élisant domicile dans sa boite crânienne. Il entendait bien son cœur battre et ses poumons travailler tels des forcenés, mais ça aurait très bien pu ne pas être le cas. Mourir suite à une attaque désastreuse était plus que probable dans son cas – et celui des nombreux mages présents ! L'âme de Kagura se serait alors éteinte violemment, tout comme un verre se brise en tombant. Oui, elle avait failli y rester, tout le monde d'ailleurs. Et c'était de sa faute. Mieux aurait-il valu qu'il ne fût jamais...

« Rogue ? »

L'interpellé papillonna des paupières quelques instants et tourna sa tête en direction de cette voix, si forte et calme à la fois, qui l'avait hélé avec puissance et douceur mélangées. Sting le surplombait de toute sa hauteur, le visage tiraillé entre inquiétude et désarroi. Ce dernier s'installa en face de son ami, sans pour autant le quitter du regard. Tiens, Frosh n'était plus là... Sans doute jouait-il avec Lector. Le brun serra les dents, honteux de ne pas s'occuper de son chat au point de ne pas remarquer quand celui-ci partait. C'était décidemment un minable jusqu'à la fin !

« J'ai une mission pour toi. Facile, sans prise de tête. »

Cheney n'eut même pas le temps de répondre quoi que ce soit car le blond déposa une fiche marron clair devant ses yeux onyx.

« J'aimerais vraiment que tu y ailles. Avec tout ce qui s'est passé, ça ne te ferait pas de mal de t'aérer un peu la tête. »

Le Dragon Slayer le détailla un instant et finit par pousser un soupir las. Défaite cuisante face à son alter ego... Seul Sting le connaissait assez bien pour savoir quelles décisions prendre et à quels moments. Ne se sentant pas l'âme de chipoter sur le choix d'une requête, le brun prit la feuille entre ses doigts et la fourra dans sa poche, se promettant d'y jeter un œil un peu plus tard. Il afficha un faible sourire à son ami de toujours, heureux qu'une telle personne subsiste pour lui venir en aide lorsque, trop profondément enfoui dans ses noirceurs, il n'arrivait plus à percevoir la lumière.
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Onibus, réputée pour ses festivités quasi omniprésentes, semblait ne rien avoir à célébrer en ce jour gris et humide à souhait. Dommage, ça lui aurait drôlement changé les idées de découvrir les habitants en costumes –  tous plus haut en couleur les uns que les autres, il en était persuadé. Durant les différentes missions qu'il avait déjà effectuées avec ses compagnons, il lui était arrivé d'entendre de bonnes choses sur cette ville ; il n'avait donc pas rechigné en voyant son nom figurer sur la fiche. Frosh était bien mieux à Fairy Tail pour fêter l'anniversaire de Carla qu'ici, où il ne loupait de toute façon pas grand-chose...

Il déambulait parmi les étalages, installés malgré un temps désastreux pour les citadins, humant l'air avec avidité. Tout était différent ici. Joyeux, agréable et accueillant furent des mots qui lui vinrent à l'esprit (même si la météo n'était pas franchement clémente)... L'exact opposé de Crocus. Sa culpabilité grimpa d'un cran, aidée de ses griffes acérées et terriblement puissantes. Avec une lenteur extrême, elle plantait l'extension de ses doigts dans le cœur du jeune homme, tout en le scrutant de son regard malsain et provocateur. Un sourire mauvais fendit son visage, dévoilant ses dents blanches et parfaitement droites.

« S'il ta donné une mission, c'est juste pour se débarrasser de toi ! » Cria Shadow avec véhémence, les pupilles haineuses et pleines de sombres promesses. « Croyais-tu réellement qu'il allait faire comme si ce que tu as provoqué n'avait jamais existé ? Une telle naïveté est hilarante... Tu mériterais un prix, vraiment. »

Le ventricule de Rogue rata un battement, puis se comprima tellement qu'il ne put respirer pendant plusieurs secondes. La tête commençait à lui tourner furieusement, tandis que les mouvements de la foule heurtaient ses prunelles avec fracas, dans un flot lent et continu. Ses veines s'enflammèrent et tout son corps se retrouva être la proie de flammes aussi brûlantes que le soleil en plein été. Une larme roula sur sa joue droite et fit fondre la fraîcheur de sa peau. Comment avait-il pu... faire une chose pareille ?

Seule la voix le reliait à son homologue, le reste était divergeant en tout point de vue : ses courts cheveux noirs avaient cédé leur place à des fils longs et blancs, ses yeux doux et affectueux s'étaient transformés en deux globes noirs comme l'ébène, et sa bouche, qui en cet instant présent ne s'ouvrait que pour dire des choses attentionnées, avait muté en un canon à paroles viles et odieuses. Était-ce réellement de lui que partirait l'attaque des dragons ? Était-ce réellement son être qui aurait pour projet futur de saccager les humains ?

« Bien sûr que c'est toi ! » Répliqua son ombre, la rage prenant clairement le dessus.

Cruel espoir, éteint aussitôt allumé.

Un coup à l'épaule le ramena bien vite à la réalité, allant même jusqu'à le déstabiliser tant le retour fut brutal. Il cligna des paupières avant de remarquer un homme quelques mètres plus loin, qui s'excusait pour le choc occasionné. Il n'était pas en état de lui répondre ou d'esquisser le moindre geste. Le brun se racla doucement la gorge et essuya gauchement la trace humide sur sa joue, qui lui apportait des frissons à chaque passage d'une bise délicate. Son organe vital reprit un rythme normal, comme si son désarroi n'était finalement qu'une diabolique illusion, et il bougea ses jambes dans l'espoir de très vite arriver à son lieu de travail. Sting avait raison, s'aérer l'esprit était primordial...

Le vent, douce brise fraîche mais pas moins agréable, cédait sa place à des bourrasques dont la vitesse martelait le visage du jeune homme. Elles s'écrasaient sur ce dernier sans une once de gêne, allant même jusqu'à glacer sa gorge pour le punir de courir avec autant de force – ou peut-être était-ce de la rage ? En toute réponse, ses enjambées se firent encore plus grandes, comme s'il voulait défier l'air environnant dans une course effrénée. Stupide bataille, qui ne lui apporterait qu'un goût de défaite. Affreux combat, à l'issue définie par avance.

La barrière de son esprit tombe ; ses mouvements s'arrêtent.

Il expira bruyamment en se tenant les côtes, étouffé par sa propre ascension vers la demeure du commanditaire. Une goutte de sueur glissa le long de sa tempe et il la balaya d'un revers de manche, concentrant son esprit sur le manoir désormais devant ses yeux onyx. Une bâtisse immense et faite de pierres anciennes, un jardin luxueux et bien entretenu, des domestiques s'attelant à différentes tâches çà et là...

Calmant les élans de son ventricule, il passa le grillage et se dirigea tout droit vers l'entrée. Il laissa la sonnette résonner tranquillement, tandis que ses muscles se refroidissaient peu à peu. Une femme ne tarda pas à lui ouvrir, un sourire impeccable collé au visage et une posture parfaite. Elle lui intima de le suivre et l'emmena dans un salon spacieux et magnifiquement bien décoré, où le maître des lieux l'attendait en charmante compagnie. Quand ses pupilles s'arrêtèrent sur la « charmante compagnie », Rogue retint son souffle.

« Kagura... »

Tout comme son pouls s'était accéléré lorsqu'il avait mesuré l'étendue de sa force lors des Jeux Magiques, ce dernier fit des siennes en rencontrant la brune de nouveau, flanquée du commanditaire de la quête. Elle lui adressa un léger signe de tête, de même que le propriétaire de la bâtisse, et tous deux se rassirent doucement. Le Dragon de l'Ombre prit place au côté de la combattante, ne sachant pas réellement quoi faire : partir ou rester. Il ravala sa salive difficilement, ne comprenant définitivement pas pourquoi l'épéiste et lui étaient sur la même affaire. Du coin de l'œil, il guetta la réaction de sa collègue, qui ne semblait pas plus perturbée que nécessaire par le fait que leurs guildes respectives aient été conviées pour une seule et même mission – chose totalement improbable en temps normal en raison de différentes rivalités financières.

« Il y a quelques jours, des bandits notoires, des véritables crapules, sont venus ici pour saccager ma demeure et enlever mon ami le plus précieux... »

Plus que la peine, le désespoir se lisait sans mal sur son visage fatigué. Toutefois, Rogue tiqua sur la partie concernant son manoir, ne voyant vraiment pas de quel carnage il parlait – la devanture était pourtant impeccable, de même que le salon dans lequel ils se trouvaient. Il mit cette information dans un coin de son esprit, plus concentré sur la requête du cinquantenaire que sur ses questions personnelles.

« Pourquoi l'avoir kidnappé ? » Intervint la brune, sondant le faciès menu de l'homme.
« En tant que maire, il refusait de céder à leurs caprices.
- Dans ce cas, pourquoi s'en prendre à vous et non à lui directement ?
- Ils ont déjà essayé figurez-vous ! Heureusement pour lui, il s'en était sorti avec des égratignures. Récemment, nous passions beaucoup de temps ensemble... Ces scélérats l'ont très certainement remarqué ! »

Kagura acquiesça doucement, sans doute satisfaite par les explications. Le commanditaire serra les poings et le brun aurait juré voir une larme naître au fond de ses yeux gris si le manque de clarté de la pièce ne recouvrait pas ses traits.

« Je pense que votre mission est claire : retrouver mon ami. »
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L'air surchargé d'humidité faisait fuir les citadins et le peu de bonne humeur que possédait Rogue. Il n'était pas d'un naturel colérique, mais la météo semblait avoir un effet néfaste sur son comportement et ses aptitudes. La sueur abondait sous ses vêtements et son crâne était inexplicablement lourd, rendant ses réflexes limités – lui habitué à une température basse. Il jeta un regard vers sa camarade, avec qui il n'avait pas encore discuté depuis leur sortie du manoir. Elle s'afférait à questionner les habitants sur l'éventuel repère des bandits qui, selon les dires de certaines personnes, avaient élu domicile dans la ville depuis quelques temps déjà.

La leader de Mermaid Heel se débrouillait à merveille, son visage angélique aidant, somme toute, à trouver les réponses qu'ils désiraient quant au QG de ces hommes. Et ce n'était pas Cheney qui allait s'en plaindre, compte tenu de ses rapports tendus avec les êtres humains... Son manque de communication avec la brune suffisait d'ailleurs à étayer ses pensées sur son côté asocial, déjà remarqué par Sting depuis un bon moment. Le blond se plaisait donc à parler pour eux deux, ce qui n'était pas réellement le cas de l'épéiste, qui se contentait d'exécuter sa quête dans le calme et la sérénité qui lui étaient propres. Non pas qu'il détestait discuter avec les autres, il était seulement d'une nature timide, ne parlant que lorsque la situation l'exigeait réellement.

Néanmoins, une question le taraudait depuis le début, et il ne comptait pas laisser son absence de conversation brider ses chances d'avoir la solution à son problème.

« Kagura, je me demandais... Pourquoi es-tu venue ?
- Sting me l'a demandé en disant que la mission allait être dangereuse. Puisque les autres membres de ta guilde sont partis de leur côté, il lui fallait une aide extérieure et il m'a contactée. »

S'il se souvenait bien, le récent maître de sa guilde lui avait affirmé que la quête était « facile, sans prise de tête », non pas périlleuse comme Kagura le prétendait – l'un des deux mentaient donc, et le Dragon Slayer savait pertinemment à qui il pouvait se fier. Bons nombres de scénarios passèrent dans son esprit, dans l'espoir futile d'apaiser la colère du brun face à celui qu'il considérait comme son ami le plus proche. Pour avoir eu une telle idée, le blond avait très certainement dû voir l'épisode du couloir lorsque, dans un élan de chevalerie et de camaraderie, Rogue avait voulu rattraper la belle avant qu'elle ne touchât le sol – ce qui s'était fini par terre, le brun à califourchon sur la demoiselle. De même, il avait dû apercevoir les deux personnes s'éclipser de la fête comme des voleurs, les bras entremêlés...

Sting avait toujours eu une imagination débordante, beaucoup trop. La mage d'eau de Fairy Tail semblait souffrir du même mal, d'après les plaintes excessives de Grey Fullbuster en tout cas ! Rogue ne doutait donc pas du fait que son alter ego s'était mépris sur ses sentiments envers la combattante. Elle avait certes tout ce qu'il fallait pour plaire à un homme, il ne pouvait le nier, seulement les relations inter-guildes (qu'elles fussent amicales ou amoureuses), ce n'était pas son fort.

« Je m'affranchis toujours de mes dettes... Vois ça comme ta compensation pour la semaine dernière. »

Le brun afficha un léger sourire alors que la jeune femme explorait les lieux de son regard expert. Un simple remerciement lui aurait amplement suffis mais Rogue garda cette idée dans un coin de sa tête, ne souhaitant en aucun cas la froisser car, pour le rembourser, elle avait fait l'effort de l'accompagner. Il se fit la promesse de profiter pleinement du temps qu'elle lui accordait, ne sachant pas quand une nouvelle occasion se présenterait devant lui. Kagura était, sans aucun doute, une des personnes les plus généreuses qu'il n'ait jamais rencontrées. Il la scruta un instant, absorbé par l'éclat qu'il percevait sur son visage : un mélange confus de concentration et de détermination, bientôt rejoint par un soupçon d'excitation. Plantée au milieu de la chaussée, elle observait les horizons à la recherche de traces de pneus spéciaux de la voiture magique des bandits – information recueillie auprès des citadins – tandis que lui ne pouvait que la regarder attentivement.

Il chassa ses pensées d'un mouvement de tête et les rassembla sur une seule chose : la requête du commanditaire. Si Kagura marchait avec autant de précision, c'était très certainement parce qu'elle avait trouvé quelque chose, une piste sérieuse qui les conduirait droit au QG de ces hommes odieux. Il ne pouvait décemment pas laisser tout le travail à la jeune femme... Il renifla à plusieurs reprises, tentant d'isoler les odeurs des habitants du mieux qu'il le pouvait pour ne garder qu'un effluve malsain, celui qui avait flotté dans la maison de l'homme. C'était faible, aussi petit qu'un restant de braise près d'un feu éteint, mais il pouvait la sentir. Il devait la sentir. Son honneur de Dragon Slayer était en jeu, voire son honneur tout court.

Un éclair perça le ciel de son esprit et il ouvrit ses yeux, précédemment fermés.

« Là-bas ! » S'exclamèrent-ils en chœur, l'un ayant repéré les traces au sol, l'autre le ressentant dans tout son être.
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L'exhalaison ténue, à la limite de l'inexistence, lui apparaissait désormais clairement, comme si elle avait toujours flotté autour de lui. Ses jambes fouettaient l'air environnant férocement, en rythme avec celles de la demoiselle à ses côtés. Kagura, les yeux rivés vers le sol, scrutait ce dernier intensément pour ne pas perdre le fil qui se dessinait sous ses pieds. Parallèlement, Rogue, dont tous les sens étaient en alerte, humait l'air avec une avidité certaine, ne voulant en aucun cas gaspiller sa seule chance de prouver que ses talents de repérage n'étaient pas qu'illusions et fantasmes.

L'immense habitation qui leur fit bientôt face les laissèrent perplexes quant à savoir pourquoi personne ne l'avait remarquée jusque lors. Aucun citadin n'avait mentionné une telle bâtisse – qui ne passait pourtant pas inaperçue – lors de leur interrogatoire. Ils s'arrêtèrent à la lisière de la petite forêt qui bordait amoureusement la construction pour reprendre leur souffle, légèrement écorché par la course. Se faisant, ils examinèrent attentivement les lieux, pas très sûrs du choix le plus adapté. Seules deux solutions s'offraient à eux : foncer dans le tas à la manière des mages de Fairy Tail ou s'infiltrer délicatement comme le ferait n'importe quel autre magicien censé.

« Allons-y. » Déclara l'épéiste.

Nul besoin de communiquer avec le Dragon de l'Ombre pour savoir quelle option choisir. Il suivit sa comparse jusque l'arrière du bâtiment, calant ses pas de loups aux siens, adaptant sa respiration encore un peu hachée à la sienne. La brune était le leader (ses aptitudes lui permettaient d'assurer ce rôle) et Rogue l'alarme en cas de danger imminent. Ils s'accommodaient mutuellement, réagissaient aux mouvements de leur partenaire. Les lacunes de l'un devenaient les points forts de l'autre et vice-versa. Kagura s'introduisit dans l'enceinte avec une facilité déconcertante, sans avoir besoin pour cela de casser quoi que ce soit ou de détériorer le matériel. Ce ne devait pas être sa première mission de ce genre pour avoir une telle habilité et une telle aisance...

Une douce mélopée happa soudain ses tympans, titillant ses oreilles de mille et une façon.

L'hôte de Shadow attrapa vigoureusement le bras de sa camarade au croisement d'un couloir et la tira doucement en arrière. Elle lui jeta un regard interrogateur et tous deux s'engagèrent alors dans un dialogue silencieux duquel le brun sortit avec un geste précis vers la droite. D'un signe de tête entendu, la jeune femme bifurqua dans la direction donnée, laissant la possibilité au Dragon Slayer de la guider si jamais son intuition se révélait mauvaise. Bientôt, se fut à son tour d'entendre un chant lugubre, de plus en plus fort à mesure qu'ils avançaient à travers les corridors déserts.

« C'est ici. » Sembla énoncer les pupilles déterminées de la mage de Mermaid Heel.

Cheney lui répondit avec le même regard et actionna délicatement la poignée, qui émit un son aigu semblable à ceux des films d'horreurs que lui faisait parfois regarder Sting. Prenant les devants, il poussa le battant de la porte en bois - après avoir toutefois vérifié qu'aucune personne autre que l'auteur des gémissements rauques ne soit présente. Kagura sur les talons, il progressa dans la pièce baignée de noir, ayant pour seuls alliés une légère source de lumière provenant de la minuscule fenêtre qui trônait tout à droite de l'entrée, ainsi que son flair de dragon.

Ses rétines s'adaptèrent très vite à la faible luminosité et il put discerner une forme mouvante au milieu de la salle, dont les plaintes avaient finalement cessé de marteler les murs froids et malodorants.

« Vous êtes le maire d'Onibus n'est-ce pas ? » Murmura le Dragon Slayer, comme si d'autres prisonniers pouvaient se trouver dans l'enceinte.

En toute réponse, les lamentations repartirent de plus belle. Le brun lui intima de se taire en mettant son index sur sa bouche (mais put-il seulement le voir ?), et s'attaqua aux cordes qui le liaient au siège tandis que l'épéiste surveillait activement le couloir. Quand la dernière ficelle céda enfin, le kidnappé lâcha un soupir soulagé. Rogue poussa ce dernier vers la sortie, désireux de respirer un bon bol d'air frais après avoir rempli ses poumons de cet oxygène immonde.
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L'air cinglait son visage, s'infiltrait jusque sous ses vêtements, offrant des myriades de sensations au jeune homme. Devant ses yeux, Onibus resplendissait de mille feux, se teintant de bleu foncé ou de rouge selon la couleur du ciel. L'astre solaire tirait sa révérence dans un spectacle en tout point magnifique, et Rogue comprit pourquoi les citadins aimaient tant leur ville. Loin d'égaler la splendeur de Magnolia, elle rayonnait toutefois d'une manière différente. Plonger son regard dans ce paysage était réconfortant, si bien que le Dragon de l'Ombre se mit à sourire tendrement. Frosh aurait peut-être aimé venir finalement. Le froid du début de journée avait laissé place à une température mitigée.

« Je te trouve enfin. »

Kagura apparut à ses côtés, tout aussi émerveillée par le spectacle qu'offrait Mère Nature – bien qu'elle tentât de ne rien laisser paraître. Son sang-froid semblait être présent à chaque instant de la vie, et l'hôte de Shadow se mit soudain à espérer pouvoir lui faire découvrir autre chose que le contrôle total.

« Tu me cherchais ? »

Elle tourna ses pupilles vers lui, et ce simple geste lui procura une décharge électrique si puissante qu'il crut tomber de son rocher. Son pouls s'accéléra instantanément, tandis que ses yeux ne pouvaient désormais plus se détacher de cette femme. Merde, que lui arrivait-il ? Jamais personne n'avait éveillé en lui de telle émotion.  Par sa faute, son esprit était embrouillé.

A plusieurs reprises, il s'était surpris à la contempler en détail. Les cheveux, sans aucun doute les plus doux qu'ils lui seraient capables de trouver sur terre, sa peau laiteuse en tout point adorable, ses yeux vert, semblables à deux pierres précieuses, et son sourire, celui qu'elle ne montrait presque jamais – au plus grand damne de la gente masculine !

« Sting est vraiment un bon ami. » Déclara-t-elle dans un léger étirement de lèvres.

Avait-elle compris le stratagème du blond ? Le silence répondit à la question. Cependant, il ne put qu'acquiescer les paroles de la jeune femme, le Dragon de Lumière était, somme toute, un merveilleux camarade, bien que ces divers enfantillages exaspèrent parfois Rogue. Cette requête en était le parfait exemple d'ailleurs...

« On sait tous les deux ce qui t'empêche d'avancer, Rogue. »

Shadow rigola à gorge déployée à l'intérieur du cœur du brun. D'un mouvement de griffe calculée, il lacéra le ventricule du chasseur encore et encore, jusqu'à ce que ce dernier saigne comme jamais auparavant. Silencieusement, la bête remercia Kagura d'avoir appuyé sur une zone sensible, les ongles suspendus en l'air, prêts pour une nouvelle offensive.

« Si tu as assez de force pour t'apitoyer sur ton sort, profites-en pour te relever ! »

Joignant le geste à la parole, l'épéiste dégaina Achenemy et la pointa en direction du mage de l'Ombre. Son regard se fit dur et intransigeant, ce même regard qu'elle ne réservait qu'à ses ennemis. Elle appuya sa lame sur le cou du magicien sans aucune once de remord, quitte à laisser une traînée de sang couler s'il le fallait. Son cœur était calme, son esprit clair. Elle savait ce qu'elle devait faire et comptait effectuer sa mission avec brio, peu importe les conséquences.

« Cette personne, ce n'était pas toi. Le Rogue du futur n'existe pas, et je sais que tu ne le laisseras jamais apparaître non plus. Tu es beaucoup plus fort que ça, ne laisse pas ce monstre tout détruire. »

D'un mouvement rapide et précis, Kagura contourna son partenaire et planta son sabre dans le sol, près des pieds du mage. Ce dernier fit volte face et considéra la guerrière avec stupéfaction. Que Diable faisait-elle au juste ?

« Cette ombre qui te suit partout... Écrase-la. »

Une larme de désespoir naquit de ses iris onyx et vint mourir sur l'arête de sa mâchoire. La fissure de son cœur s'agrandit un peu plus, avant de se refermer délicatement, sous les mots de la jeune femme. Telle une chirurgienne expérimentée, elle magnait les fils servant à recoudre la fente avec une dextérité incroyable. Elle passa la ficelle dans la chair, la ressortit de l'autre côté, fit un nœud. L'opération recommença. Arrivé au bout, elle coupa la longueur qui dépassait et tapa dans ses mains, satisfaite.

« Tu n'es pas tout seul, Rogue. »

En digne médecin, elle compléta le tout par un pansement d'une blancheur incroyable. Shadow, aveuglé par tant de lumière, se terra dans son coin en maugréant des sons incompréhensibles par le brun. La leader de Mermaid Heel se redressa et rengaina son épée, sous les pupilles attentives mais légèrement hagardes de son comparse.

« Il va faire nuit, on ferait mieux de rentrer. »

Les relations inter-guildes, qu'elles fussent amicales ou amoureuses, n'était pas franchement le fort de Rogue, il le savait. Toutefois, lorsqu'il avait vu Kagura disparaître dans son train, il s'était fait la promesse de remédier à ce problème aussi vite que possible. D'une façon ou d'une autre, son chemin et celui de la magicienne finiraient par se croiser de nouveau. Un avenir où il pourrait être lui-même, sans craindre sa propre ombre.