31. Envolez-vous, flocons

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Forêt de Shawnee, Illinois


Eleven avait réalisé qu'elle n'était pas un problème pour les gens qu'elle chérissait. Le labo et ses scientifiques avaient été pendant très longtemps le plus gros problème, mais le monde à l'envers l'avaient détrôné. Puis les Russes firent leur apparition. Et qu'elle apparition... Ils étaient désormais le problème majeur. Elle se promit qu'elle se battrait jusqu'au bout et donnerait tout d'elle-même. Finalement, cette semaine, qui avait d'abord eu l'air de la démoraliser, l'avait irrémédiablement ressourcée. Elle leur devait bien cela. Si elle venait à baisser définitivement les bras, les autres en seraient profondément tristes, et resteraient démunis face à leur destin. Elle les aimait trop pour leur faire subir cela. Elle espérait que ses sœurs avaient raisons et que tout finirait pas s'arranger. Elle souhaitait plus que tout au monde revoir son père d'adoption, et pouvoir à nouveau passer de longues soirées à jouer à des jeux de société, ou à s'endormir devant un western. Il y a encore de l'espoir.

Cette dernière et ses sœurs avaient passé la moitié de l'après-midi à jouer à des jeux de cartes et à prendre des photos avec le Polaroid d'Alison — qui évidemment avait lancé l'initiative de prendre tous les moments passés toutes les trois en photos, voulant garder précieusement ces souvenirs, tel que Jonathan l'avait dit.

La neige avait cessé de tomber en fin d'après-midi. Un gigantesque manteau blanc, d'une épaisseur atteignant les chevilles des trois filles, avait recouvert l'immense forêt. La végétation paraissait avoir disparu, oubliée sous la blancheur aveuglante de la neige. La cabane qui leur servait d'abri ne se distinguait presque plus, ce qui n'était pas plus mal au vu de sa laideur, car au contraire, elle semblait plus accueillante et chaleureuse que jamais.

« J'aimerai bien qu'il neige autant pour Noël, souffla Alison, les yeux brillants de joie à cette vue hivernale. 
— Moi aussi, approuva Eleven, dans une excitation non feinte.
— Et moi, j'apprécierais que les températures augmentent. On se met au boulot ou on attend d'être congelées sur place ? »

Eleven et Alison soufflèrent ; Kali la rabat-joie était de retour. Leurs souffles blanchâtres s'envolèrent à l'unisson dans l'air glacial, pour ne former qu'une même brume opaque qui ressemblait à un mauvais esprit prêt à jouer de mauvais tours. L'entraînement n'avait pas repris depuis la veille au soir, étant donné l'intempérie, mais ce n'était pas pour déplaire à deux jeunes filles qui avaient besoin de se décontracter.

« On ne peut pas attendre demain ? D'ici-là, la neige aura sûrement fondu un peu. Comment tu veux que l'on se déplace aisément ? Je ne vois même plus mes pieds. En plus, je suis fatiguée et j'ai faim, geignit Alison.
— On s'est reposé toute la journée. La neige n'aura jamais suffisamment fondu d'ici demain vu le froid qu'il fait, ça revient au même.
— Sauf, qu'au moins, demain on aura mangé plus que des macaronis en boîte réchauffées dans la casserole douteuse du grand chauve.
— Les autres prendront la route ce soir, comme prévu. Les connaissant, ce n'est pas la neige qui les arrêtera » renchérit Eleven.

Kali devait bien avouer qu'elle n'avait pas plus que cela envie de forcer Eleven à bouger un morceau de bois ou a déverrouiller un verrou crasseux. Elle voyait bien que sa jeune sœur était finalement sereine avec elle-même. La presser pour qu'au final il n'y ait aucune évolution risquerait d'être plus décevant qu'autre chose pour elle. Elle ne pouvait prendre le risque de la brusquer et qu'Eleven baisse les bras à nouveau. Il fallait que son mental reste fort.

La jeune femme fût brusquement interrompue dans ses réflexions par une boule froide et humide heurtant l'arrière de son crâne. Kali se retourna et vit une Alison morte de rire.

« Oh...mon Dieu, si...si... Si tu voyais ta tête ! s'exclaffa avec peine Alison.

Mais le rire de la jeune brune se tut quand elle reçut une boule de neige dans le dos. Ce fut alors au tour du rire d'Eleven de résonner dans la silencieuse forêt. Elle avait un rire doux et cristallin. C'était la première fois qu'elle se laissait aller à être heureuse depuis des mois. Ses sœurs eurent la délicieuse impression d'avoir une toute autre Eleven devant elle : plus forte et plus déterminée, comme si rien ne pouvait plus l'atteindre. On eût cru voir un phoenix renaître de ses cendres. Eleven profitait enfin des bons moments, chérissant ceux du passé, et s'exaltant à l'idée de ceux que le futur lui réservait.

Après cette, aussi déroutante que merveilleuse, constatation, une bataille de boules de neige débuta. Les filles jouaient et rigolaient avec joie et légèreté, mettant un instant de coté l'ombre menaçante qui pesait au-dessus d'elles. Après de nombreuses boules jetées et reçues, de roulades et de chutes, elles s'effondrèrent comme un seul homme dans les bras du grand manteau blanc. Elles avaient les joues rouges et marquées par les larmes qui avaient coulé à force de rire. Elles étaient frigorifiant, le nez rouge vif, et essoufflées, mais elles n'en avaient cure. Elles se laissaient totalement aller à ce moment de plénitude, regardant la nuit tomber doucement.

Les filles reprenaient doucement leur souffle, dans un calme apaisant, quand Alison remarqua de petites particules blanches flotter dans les airs. Elle cru d'abord rêver, mais les particules se firent de plus en plus nombreuses. Des flocons.

« Je crois qu'il se met à neiger à nouveau » chutota-t-elle.

Kali pris le temps d'observer plus intensément le ciel, et s'apprêta à lui répondre positivement, quand elle remarqua que ces fameux flocons ne venaient pas de ce dernier. D'ailleurs, ils ne tombaient pas. Non, les flocons émanaient directement du sol, comme s'ils pouvaient voler. D'un même mouvement, Kali et Alison se redressèrent et observèrent Eleven, les yeux écarquillés. La jeune fille était toujours allongée en forme d'ange dans la neige, et un fin filet s'écoulait de son nez, tandis que les flocons se firent plus denses. C'était comme s'ils étaient figaient dans l'air.

Kali et Alison, n'en croyant pas leurs yeux, se levèrent doucement, bientôt suivi d'une Eleven qui s'empêchait de sourire, voulant garder toute sa concentration. La vue était superbe. Alison leva une main et attrapa un flocon qui s'empressa de fondre au contact chaud de sa paume de main. Puis elle se mise à virevolter doucement en souriant à pleine dents. Eleven et Kali tournaient prudemment sur elle-même, et ne purent
se retenir plus longtemps de sourire, émues. Toutes trois avaient les yeux brillants d'émotions en tout genre : joie, excitation, espoir...

Dans ce décors hivernal presque idyllique, comme celui que l'on pouvait constater dans les boules à neige, une idée sournoise et saugrenue prenait définitivement place dans l'esprit d'un de ces personnages.

Elle est prête.

[...]

« Tu crois que ça marchera ? chuchota Kali.
— Oui. Je sais ce que j'ai ressenti. C'est la chose dont elle a le plus peur au monde.
— Et si ça faisait l'effet inverse ? Elle a tellement progressé, et on sait que ses pouvoirs sont toujours là. Faudrait pas la braquer et qu'elle les bloque à nouveau. »

Alison, assise sur son sac de couchage, porta un regard intense sur Eleven, qui était profondément endormie dans le seul lit que la cabane possédait, se persuadant avoir fait le bon choix.

« C'est un risque à prendre. Mais je ne crois pas qu'elle laisserait un être qu'elle aime tant mourir devant ses yeux sans ne rien faire. Elle a besoin de comprendre qu'elle peut encore les sauver... Même s'il y en a qui ne surviveront peut-être pas, malgré tous ses efforts. »

STRANGER THINGS 4 : Le Monde Renversé (abandonnée) Where stories live. Discover now