14. Stupeur et sentiments

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— Bah ! Faut pas m'en vouloir ! J'y pige couic, à vos expressions de jeunots. Vous pouvez pas parler normalement, aussi ? C'est pas compliqué ! Ma Doué, j'ai oublié un Jaouen ! Lucien ? Nan, j'l'ai d'jà dit. Marcel et Jean-François aussi... Qui c'est que j'ai raté ?

Je m'absorbe dans la contemplation du paysage en attendant que le prénom lui revienne, mais lorsque nous arrivons chez moi, quelques minutes plus tard, il ne l'a toujours pas trouvé.

— Ça vous reviendra dans la soirée, relativisé-je en détachant ma ceinture. Merci pour la balade !

Le vieux Schtroumpf se tourne vers moi, révolté, comme s'il refusait de me voir abandonner aussi facilement. Son regard se perd un instant dans le mien, avant de s'attarder sur la plaque d'acné qui couvre ma joue droite. Je m'attends à ce qu'il fasse une réflexion sur mes boutons, mais non.

Au contraire : ils l'aident à retrouver la mémoire.

— Thierry ! Jean-François, Lucien, Marcel et Thierry Jaouen, ma saleté d'gendre. Comment j'ai pu l'oublier, c'ui-là ? Ah, sacré Thierry ! Il a pas dû m'donner assez d'chocolats à Noël, ce radin.

Face à mon air incrédule, Gérard juge utile de préciser :

— Me fixez pas comme ça ! C'est malpoli, et ça fait ressortir vot' pif. C'est quand même pas ma faute si y'a autant d'choux-fleurs que d'Jaouen à Crozon, non ?

Le vieux schnock appuie sur le klaxon pour manifester sa joie. Nom d'une chipolata au rutabaga ! Si Gabin ne savait pas encore que j'étais rentrée, c'est fait, maintenant.

J'expire nerveusement, soudain anxieuse. J'avais prévu de m'éclipser dans la ruelle d'à côté pour réfléchir à la façon dont j'allais annoncer à mon petit ami que je ne voulais plus être avec lui.

Oui, oui, j'ai décidé de le larguer.

Bleuenn a raison. Je repousse l'échéance depuis des semaines, mais, au fond, je sais que notre amour est révolu, comme une salade : ça vit, ça grandit, puis ça pourrit, sauf que ça fait près d'un an que la date de péremption est dépassée, et il est grand temps de jeter cette ordure à la poubelle. Tout ce qu'il me reste à faire, c'est prendre mon courage à deux mains et quitter Gabin. Facile, non ?

Je tâche d'ignorer la mine surprise du conducteur et jette un coup d'œil à la maison qui m'a abritée pendant six mois. Elle va me manquer, quand je serai de retour chez mes parents.

Mon bureau, surtout.

En me voyant sangloter, Gérard s'efforce de rester tranquille, mais c'est visiblement trop difficile pour lui puisqu'il finit par bafouiller :

— Vous plaignez pas, ma p'tite dame. Vous savez c'que ça veut dire ?

— Ce que veut dire quoi ?

— Vot' pif ! Vous en avez un, vous : pas comme Voldemort !

— Vot' pif ! Vous en avez un, vous : pas comme Voldemort !

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LES AMOURS ÉPONYMES 1Where stories live. Discover now