2. En voiture, Emy !

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On dit qu'un Français sur deux veut publier un roman. Mais qui en a déjà terminé un ?

Pas moi, c'est sûr. Et Jean Le Guen ne s'est pas privé pour me le rappeler. Pourtant, j'écris !

Pas toutes les semaines, mais presque.

Quand j'ai le temps...

Je me dirige vers la salle de pause en traînant les pieds, nullement pressée d'être à nouveau la cible de ses remarques mesquines, tueuses d'ego et de confiance en soi.

Je devrais cracher dans son café, après le mépris dont il a fait preuve à mon égard.

Ce serait puéril, mais mérité.

Un soupir m'échappe. Même si la forme n'y est pas, cet illustre gugusse a raison, au fond : difficile de me prétendre auteure alors que je ne suis jamais allée au bout d'une histoire...

— Émilie ?

Je me retourne, ravie de découvrir un visage avenant, mais non : c'est Arielle, ma collègue... et ennemie jurée depuis la fois où j'ai séché l'inventaire annuel parce que Gabin m'avait bloqué le dos.

Comprenez-moi : elle annote ses livres, hait Taylor Swift, et s'esclaffe comme une hyène en chaleur chaque fois qu'elle me dépasse avec sa C3 Picasso rouge alors que je poireaute comme une quiche à l'arrêt de bus. Il y a de quoi la détester !

— Bonjour, Arielle... marmotté-je en la gratifiant d'un sourire hypocrite.

— Je ne t'ai pas vue au match, dimanche.

Le match. L'US Crozon-Morgat contre les Lapins de Guengat.

— J'étais souffrante.

Autrement dit : c'était le deuxième jour de mes règles. J'étais droguée au Spasfon, et j'ai passé l'après-midi à hennir comme un putois mal sapé, roulée en boule sur mon canapé.

— Gabin a failli marquer un but, précise-t-elle sans s'appesantir sur mon état. Trois fois !

— Mais ils ont perdu, non ? 7 à 0.

— L'arbitre était corrompu.

— C'est aussi ce que Gab' a dit... grommelé-je, pensive.

Je commence à me demander si Arielle n'en pince pas pour lui. Elle ne rate aucune rencontre, même lors des déplacements, et ne paraît pas nourrir une quelconque passion pour le football.

Pour mon petit ami, par contre... Elle m'en parle dès qu'elle en a l'occasion, et lui apporte toujours un crumble à la rhubarbe, à la sortie des vestiaires, sans savoir que je me l'enfile dès le retour à la maison.

Même s'il prétend le contraire, Gabin n'a jamais aimé la rhubarbe.

— Dis-moi, Arielle...

Mieux vaut arrêter de tourner autour du pot. Ça nous rendra service à toutes les deux.

— ÉMILIE JAOUEN !

Je sursaute, terrorisée par les aboiements de Jade.

— ÇA FAIT CINQ MINUTES QUE JEAN LE GUEN ATTEND SON CAFÉ.

Zut ! Je l'ai complètement zappé.

— Oui, je... j'arrive !

— ET LA PASSE-MIROIR ? TU L'AS OUBLIÉE ?

— Non, je... non, bégayé-je piteusement en me ruant vers la table de dédicace.

Je renverse la moitié du gobelet au cours du trajet, mais ce n'est pas grave : Jean Le Guen est satisfait de mon humiliation, et je m'apprête à acheter les quatre tomes de La Passe-Miroir dans une édition que je possède déjà. Grâce à ces quelques sacrifices, je devrais conserver mon travail un jour de plus.

LES AMOURS ÉPONYMES 1Where stories live. Discover now