Chapitre 4 : Suite 3

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Le jour décline déjà quand Sieur Cleyney daigne enfin me recevoir. On m'escorte jusqu'à la salle du trône, pièce cossue dont les épais murs de bois brûlés donnent une ambiance sévère, tout juste égayée par les derniers éclats du soleil couchant qui remplissent encore les larges fenêtres. J'avance d'un pas ferme vers le siège encadré des armoiries colorées du suzerain, deux écus maculés d'un chevron vert et bleu frappé d'un arbre doré. L'homme m'attend, frémissant d'une impatience semblable à la névrose.

— Capitaine Haukih, quelles nouvelles ? Demande-t-il sans préambule, voix tressaillante d'un agacement manifeste.
— Je crains n'avoir aucune nouvelle à vous apporter mon Seigneur. Les rapports que je reçois sont identiques d'un jour à l'autre, et je n'ai personnellement constaté nulle évolution.

Juché sur son trône, les doigts rabougris du noble nain pianotent l'un des accoudoirs de chêne sculpté qui ornent agréablement le meuble, puis de son autre main tape le second d'un long soupir. Levant son séant il se dirige vers une table voisine d'où il sélectionne un bout de papier encré.

— Je n'ai reçu aucune directive du Roi, ni message de nos voisins, mais il m'est parvenu ceci, dit-il en brandissant la note. Il m'a été transmis par une bonne, à qui il a été remis par un soldat qui l'a eu d'une mignonne, qui l'a eu d'un jeune homme l'ayant lui-même obtenu d'une pénitente de Minte...Ttocs seul sait d'où elle-même pouvait tenir cette information !
— Que dit cette...
— TAISEZ-VOUS SIJAH ! Comment a-t-il été possible que ceci parvienne jusqu'à moi dans ces conditions sans que vous n'en sachiez rien ?
— Je...
— SILENCE ! Je n'attends pas d'explications de votre part !J'attends des résultats ! J'attends que vous fassiez ce pour quoi vous êtes formé et payé ! Si vous en êtes incapable, je saurai faire entendre à notre Roi que votre remplacement s'avère nécessaire, tout particulièrement en ce moment ! Me suis-je bien fait comprendre Capitaine ?
— Oui mon Seigneur.
— Bien. Suivez-moi, il n'est plus légende pour vous que les murs ont des oreilles.


À l'arrière du trône, il s'engouffre dans un couloir dissimulé par de lourds rideaux d'une taille substantielle. Nous croisons quelques ramifications avant de nous arrêter face à un mur qui, sous la pression manuelle de Cleyney, s'ouvre sur une pièce exiguë, flanquée de deux hautes et fines fenêtres. Le tout est pareil à un cabinet de curiosité. Une foule de cadres de diverses dimensions recouvrent les cloisons, présentoirs d'autant de petits cadavres majestueusement conservés.

— Vous êtes intrigué ? Me lance-t-il amusé. Ils m'intriguent aussi. C'est ce que j'aime avec eux. Je les trouve...fascinants ! Si petits, qui semblent si fragiles, et pourtant...si étonnants, si complexes, si...élaborés !Oui...les insectes sont fascinants !
— Oui...c'est un passe-temps...inhabituel mon Seigneur.

Pfiou...Que répondre à cela ? L'esprit de cet homme est aussi torturé et déviant que le laisse constater son apparente difformité. Cet amoncellement de minuscules corps est plutôt déstabilisant. Je ne comprends pas le but de ma présence ici. J'espère qu'il n'en veut pas à mon intégrité d'homme, où il risque d'être mis au devant d'une sacrée déception ! Les vices sont choses courantes lorsqu'on est doté d'un peu de pouvoir, j'ai déjà entendu dire que certains trouvaient cela normal pour ne pas dire courant. C'est un avis que je n'arriverai jamais à envisager de partager. Sieur Cleyney enroule et déroule frénétiquement le document secret autour de son index en s'approchant de moi. Je ne peux réprimer un subtil mouvement de recul de mes épaules. Sans un mot, il s'écarte pour se tourner vers le jour. Je crains de l'avoir au mieux offusqué, au pire inquiété quand il rompt enfin le silence.

— Sijah...avez-vous une idée de ce qui est inscrit là-dessus ?

Et voilà qu'on joue aux devinettes maintenant ! Ces gens qui pensent briller quand leur seule once d'intelligence se cantonne à détenir une information que leur auditoire n'a pas me fatigue !

— Ce papier m'apprend que des dizaines de jeunes hommes ont été emmenés à destination de Heyméah, il y a plusieurs semaines de cela. Mais vous étiez déjà au fait de cette partie-ci...n'est-ce-pas Sijah ?

Pas un son ne se fait entendre. Quoi que je dise, je serai coupable. Je suis, coupable. Comment ne le serai-je pas ? Je suis celui qui a organisé le convoi sur Olona et ses alentours pour le compte du Roi. Avant tout,ne pas trahir le Roi. Ignorant ce que Sieur Cleyney sait précisément, j'ai tout intérêt à ne rien dévoiler de ce que je sais. Peut-être devrais-je le tuer séance tenante ? Non, ce serait suicidaire,une notable quantité de personnes sont avisées de mon entretien avec cet homme. Tâtons le terrain :

— Effectivement mon Seigneur, une trentaine de jeunes hommes ont été emmenés vers la capitale.
— Vous penseriez-vous plus malin que moi Capitaine ? Rit-il.
— Non Sei...
— ASSEZ ! Cessez de me prendre pour un sot ! Puisque votre corruption est dorénavant indiscutable, voyons comment vous pourrez servir les intérêts d'Olona. Je vous ai conduit ici afin de préserver votre probité aux yeux de la cité, et uniquement dans ce but. Trouvez la mignonne qui a remit ce billet à votre soldat, et ramenez-la moi au plus tôt. Je veux savoir comment cette correspondance a pu lui être remise en dépit du siège, et pourquoi.

Les Sphères d'Ebesse                               Tome 1 - Épées forgéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant