Chapitre 3 : L'ombre des noces

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Ghajii

- Je ne vois personne ! Où sont ces mécréants ! Rage notre Père.

- Moi non plus je ne vois personne !

- Ils sont là-bas ! Crie Téphe en pointant du doigt deux silhouettes en fuite au beau milieu du champ LETRO.

Nous nous laçons à leur poursuite sans réfléchir plus avant.

- Mais c'est qu'ils courent vite les bougres ! Lâche Plore. C'est que je n'ai plus vingt ans moi !

- Combien on parie que c'est cette raclure de Fradaë ! Si je l'attrape je me le fais ! Colère mon cadet.

Nous rions de bon cœur et nous attachons à tenir l'allure de nos agresseurs à travers champ. Nous avons fort heureusement de bons pantalons et solides chaussures, sans quoi nous aurions rapidement eu les jambes lacérées par la végétation en croissance qui atteint le dessus de mes genoux. A mesure que l'écart se creuse entre eux et nous, Père nous assène des paroles d'encouragement autrement plus efficaces à mesure que son discours se gorge de jurons. Nous sommes à présent à quelques mètres d'eux, quinze tout au plus. J'entraperçois à une cinquantaine de pas devant eux la ferme du Bois aux Mûres, qui délimite les propriétés LETRO et celle des HOANË. L'air commence à brûler mes poumons, peut-être aurais-je du davantage savourer mes coupes de vins pour mieux en apprécier le taux d'alcool. Mon corps présente quelques défaillances d'équilibre.

- Ghajii attends !

Il ne me faut qu'un fragment de seconde pour comprendre la raison de cet appel. Téphe tient selon toute vraisemblance bien moins l'alcool que moi ! Notre Père le relève et lui sert d'appui pour marcher.

- J'ai trébuché dans un sillon, sont-ils dont obligés de les creuser si profondément !
Vocifère mon frère. Ma cheville me lance !

Le cliquetis d'un chariot en approche nous fait synchroniquement lever la tête. Au bout du chemin desservant la ferme HOANË, la carriole d'un marchand cesse sa course pour faire halte à hauteur de nos agresseurs essoufflés par leur fuite. Ils échangent quelques mots avant que le marchand ne les invite à monter, non sans s'assurer d'une certaine sécurité, par un regard porté au loin en quête de nous autres poursuivants. A cette heure de la nuit et accroupis à ras de champ, nous échappons à la vigilance du secouriste de nos assaillants. Un claquement de fouet sur les flancs des chevaux relance la course-poursuite.

- Ghajii, aide ton frère à arriver jusqu'au chemin je reviens tout de suite !

Téphe, aviné, devient lourd et déstabilise le moindre de nos déplacements. Je décide de le porter sur mes épaules pour atteindre au plus tôt la bordure du chemin où Père nous attends déjà en compagnie de trois chevaux. Les minutes s'écoulent à mesure que la distance augmente entre nous et nos cibles, pendant que nous chargeons mon cadet sur un cheval de trait à la robe cendrée et crinière argentée. Les chevaux sont dociles et nous montons sans peines les deux autres animaux qui semblent davantage taillés pour la course.

- Je suppose que je ne dois pas me demander où tu as trouvé ces chevaux ? Lancé-je.

- Les HOANË me les ont prêtés...Du moins c'est ce que je leur expliquerai à notre retour. Répond Père d'un air malicieux que je ne lui connaissais pas.

Non sans une certaine appréhension, nous nous esclaffons joyeusement et reprenons notre chasse.

- Tu aurais pu leur emprunter des harnais au moins ! Taquine Téphe.

- Aurais-tu voulu que je les selle, que je les brosse et change leurs fers aussi ou préfères-tu que nous soyons là à poursuivre ces pignoufs avec un minimum d'éloignement ?

Ostensiblement contrarié, nous soutenons l'allure et la distance sur de nombreux kilomètres dans un mutisme implacable. Nous sommes tout aussi affectés par la fatigue liée au manque de sommeil, qu'à celle liée à la dureté de la montée à cru de nos montures. Après un trajet de quatre heures, le point lointain qu'incarne la carriole freine enfin sa course aux portes de la cité fortifiée d'Olona. En dépit de la nuit, nous discernons sans mal notre environnement. La route que nous suivons bifurque d'un virage serré vers la gauche pour desservir la plaisante et non moins féroce forteresse, qui fut jadis le territoire d'importants tournants de notre histoire. Les champs qui l'entourent seront bientôt prêts à être récoltés. Pour l'heure, ils nous alloue d'une appréciable couverture visuelle. Les généreux destriers sur lesquels nous sommes assis accueillent avec entrain notre décélération. C'est tout particulièrement le cas du cheval de trait qui a l'air assoiffé.

- Accélérons nous allons les perdre ! S'inquiète Téphe.

- Téphe non ! Si nous nous approchons trop près ils auront tout loisir de nous voir ou nous entendre arriver, et nous perdrons tout avantage sur eux.

Les Sphères d'Ebesse                               Tome 1 - Épées forgéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant