Chapitre 1 : Suite 3

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Bien que piqués d'aiguilles salées, mes yeux ravalent ma frustration sans que la moindre larme ne fasse surface. Notre famille s'élance à la suite de la Cour, pendant que nos gens conduisent nos valises vers les appartements qui nous seront mis à disposition pour la durée de notre séjour.

           Vient le temps du repas, où l'on nous fait asseoir à la droite de la tablée royale. Les parfums de la grande salle de réception enivrent nos sens. Mélange de fumets nourriciers, de feu de bois et d'opulents bouquets de fleurs, soignant un peu plus la décoration déjà luxueuse des lieux. Les mets se succèdent au rythme des morceaux joués par l'orchestre qui siège près des portes de la pièce, au parfait opposé de la famille royale, qui elle profite dans son dos de l'âtre flamboyant. Je concentre mon énergie à ne pas regarder ce prince qui sévit irrémédiablement dans mon cœur, éveillant en moi des émotions qui m'éraient inconnues. Au cours de ces quatre dernières années, je pensais pourtant avoir appris tout ce qu'il y avait à savoir des relations entre un homme et femme. Non pas que cela ai entaché ma pureté aux yeux de tous, si précieuse pour une femme à marier de la noblesse. Heureusement pour moi, il y a de nombreuses façons de satisfaire ces pulsions sans conduire à une grossesse non désirée, comble d'humiliation.

— Solynn ! Ma fille ! Allez-vous cessez de rêvasser vous déshonorez notre famille !

La sonorité de mon prénom m'extirpe de mes pensées qui s'aventuraient malgré moi à prendre une nature licencieuse.

— Je vous prie de m'excuser Père...
— Excusez-vous dont en répondant à la question de notre hôte !
— Pardon, je n'ai pas suivi votre discussion, que disiez-vous ? M'efforçais-je de dire le plus humblement possible alors que Père soupire d'exaspération.
— Veuillez nous pardonner mon Roi, elle me désespère !
— Sois tranquille Ürane, comment pourrais-je en vouloir à si joli minois !

Le rose envahit dans l'instant mon visage. Réaction empreinte de gêne liée à l'âge de mon interlocuteur et de flatterie appréciée.

— Et bien ma fille ! Le Roi vous vante, n'avez-vous rien à répondre à son Excellence ?
— Oh si, je suis navrée, je ne m'attendais pas à tant d'estime de votre part mon Roi... Je vous remercie de votre compliment.
— TROUBADOURS ! UNE VALSE ! Lance-t-il tout de suite après un double tapement de mains. Comtesse, je ne supporte plus de voir une mine si fermée sur votre doux visage ! Accordez-moi cette danse !

Je n'ai pas besoin de regarder mon père pour savoir que je n'ai d'autre choix que d'accepter cette invitation séance tenante. Toutefois, je ne peux refréner un bref regard vers ma droite, juste pour en être bien certaine. Celui-ci me fait croiser l'œil valide de mon père, qui, en effet, confirme mon intuition première. Une place nous est faîte au centre de la pièce parquetée, et nous enchaînons les pas. Il est distrayant de constater les précautions que prennent les convives pour ne pas entamer, ne serait-ce qu'un peu, l'espace de danse du roi. Il faut dire que les tenues des dames de la Cour sont aussi bien moins encombrantes que celles de nos contrées. Ou peut-être ne s'agit-il que d'une affaire de mode propre à la capitale ? Toujours est-il qu'elles revêtent des toilettes absolument époustouflantes ! Elles sont certes toutes conçues des mêmes matériaux, mais à la fois toutes très différentes, et dans des nuances que je n'avais jamais vues ! J'imagine que la fortune de certaines de ces familles doit fortement aider dans ce domaine qu'est le paraître en société. Je trouve particulièrement à mon goût la robe d'une femme d'âge respectable, mettant admirablement bien son teint et sa silhouette en valeur. Sur sa peau couleur de miel boisé, ressortent de vaporeuses dentelles blanches, bordant l'encolure dégagée et le bas des manches trois-quarts de sa tenue. Cette même dentelle la recouvre de sa poitrine au sommet de sa gorge, pour ne figurer ensuite que sur ce qui doit être sa jupe. Une vraie cascade de dentelles de ses cuisses au sol ! Je n'ose me figurer les mois de travail que cet ouvrage aura nécessité ! Sous cette jupe, je distingue nettement plusieurs couches de jupons, sans aucun doute de soie, et d'un blanc éclatant. Pour ravir le tout, elle exhibe une robe de velours prune, froncée à hauteur de son bassin pour donner plus de volume, et parfaite d'un sautoir d'or serti d'une grosse et ovale pierre de lune. Frivolités mises à part, je reconnais volontiers que mon partenaire pour cette valse est un danseur au moins aussi accompli que moi.

— Et bien Comtesse, enfin je découvre votre sourire ! Dois-je comprendre que cette danse vous satisfasse ? Demande-t-il visiblement ravi de son initiative.
— Mon Roi, je dois avouer que je le suis en effet ! J'ai toujours aimé cette discipline, mais jamais je n'avais connu danse si savoureuse ! Vous avez un sens du rythme tout à fait remarquable !
— Merci Comtesse ! Votre éloge me va droit au cœur ! Rit-il. Ne vous méprenez pas surtout. Par mon ami votre père, je savais combien vous affectionniez cette activité. J'y ai vu autant un remède pour votre humeur qu'une merveilleuse occasion pour moi de parfaire ce trop long dîner ! Mon épouse adore danser, mais ne sait le faire sans m'enfoncer un orteil ou deux entre les lames du plancher ! Vous conviendrez que c'est un véritable crève-cœur pour l'amoureux de danse que j'incarne !

Nous rions puérilement. Tout du moins, autant que le puisse une dame de ma condition en pareille circonstance. Les différentes danses s'enchaînent en compagnie de ce Roi que je me surprends à si vite apprécier comme un ami. Je me risque à croire que notre entente est réciproque et profite d'une soirée qui sera sans nulle doute l'une des plus mémorables de ma vie ! Que je puisse ou non en juger, je pense que cet homme est parfaitement digne de son statut de souverain de Fréomne. Arborant droiture, honnêteté et empathie, je refuse aujourd'hui fermement d'adhérer aux idées défendues par certains vassaux, entendues ça et là. Ils prétendaient notre Roi fou, avide de richesses, de pouvoir, et même adepte de sorcellerie.
La salle commence à se vider de ses invités, et je sens qu'il est temps pour moi de regagner mes quartiers.

— Merci infiniment pour ce mémorable moment en votre compagnie mon Roi ! Malheureusement, il se fait tard et je me dois de retourner auprès de mon père.
— Vous avez raison Comtesse ! Merci à vous également ! Votre adresse et votre jovialité m'ont apporté beaucoup de distraction ! Je vais vous faire raccompagner.
— Votre sollicitude a toute ma gratitude votre Excellence, cependant le Comte ne saurait agréer que je rentre avec un serviteur étranger à notre maison. Pourriez-vous, sans vouloir abuser de votre temps, faire appeler ma suivante ?
— Faisons simplement Comtesse, je vous raccompagne à votre appartement !
— Ma foi, comment refuser un tel privilège !
— Allons-y Comtesse ! Annonce-t-il mains jointes dans le dos, aussi révérencieux que la situation l'exige.

Les Sphères d'Ebesse                               Tome 1 - Épées forgéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant