Chapitre 1 : Suite 1

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Au cours de leur dialogue, j'apprends que rien n'est encore joué. Fradaë et Kiega négocient ma main auprès de mes parents. Tout d'abord, Fradaë propose un coq, deux vaches laitières et des graines de tournesols, très coûteuses chez nous. Ma mère très enthousiaste accepte sur le champ, tout cela vaut beaucoup de noxs, la monnaie du grand continent.

Mon père lui, ne semble pas emballé, et puisqu'aucun accord ne pourra être valide sans son consentement, Fradaë lui fait une nouvelle proposition. Il lui donnerait un cheval de trait, un coq, deux vaches laitières, des graines de tournesols et du linge de maison brodé. Mon père marque un intérêt certain pour son offre, mais refuse à nouveau.

Devant tant d'entêtement et puisqu'il semblerait que Fradaë me veuille vraiment pour femme, Kiega avance une autre suggestion qui sera acceptée par ma mère et mon père. J'ai à présent la joie de savoir que pour ceux qui m'ont donné la vie, mon bonheur a un prix, s'élevant à soixante noxs d'or, soit trois cent noxs d'argent. Cette somme représente près de cinq mois de salaire pour un ouvrier agricole tel que mon père. Nous nous retirons chez nous, après quelques flatteries de Fradaë, qui aujourd'hui me dégoûte.

Rentrés, mes parents m'ordonnent de me changer, puis redescendre pour aller laver le linge. En arrivant dans notre salle commune, mon père exige de moi que lors de la journée de demain, au Bal des Unions, je m'avance à Fradaë, et accepte ainsi de l'épouser. Me faisant promettre de ne pas agir autrement que comme il me l'a demandé, je m'éclipse sans m'attarder de cette maison que je ne considère plus comme mienne, et pars m'acquitter de ma tâche au lavoir.

Le lavoir est désert aujourd'hui, il faut dire que les femmes préparent leurs fils et leurs filles à marier pour demain. Cela va des conseils pour avoir un teint parfait aux vêtements qu'il faudra porter. Toute à ma tâche, je pense à Fradaë, à son regard noir et déterminé, cet homme paraît décidément très sûr de lui. Sûr de sa beauté, de sa force, de son courage et de sa fortune. Je n'aime pas Fradaë, il m'effraie plus qu'autre chose, il a la réputation d'être brutal et très autoritaire. Je me dis que ce ne sont peut-être que des rumeurs comme tant d'autres, mais ma conscience me dit que non, et qu'il me faut m'enfuir, ou désobéir aux instructions de mes parents. En plein doute et ayant terminé de laver le linge, je rentre en me disant que tout sera plus clair à mon réveil demain matin.

A mon retour, ma mère et moi nous affairons à coudre divers vieux tissus pour en faire un drap en patchwork. En fin de soirée, je vais me coucher sans dire un mot. Me glissant dans mes draps, je me remémore cette triste journée qui pourtant commençait si bien. Je pense à mes parents, à celui qu'ils veulent que j'épouse, à celui que j'épouserais volontiers, et à ma vie en général. Je me demande ce que je vais devenir, et comment se passera ma vie aux côtés de Fradaë. Tout cela m'est pénible, je me sens prisonnière, trahie, abandonnée et sans importance. Je suis perdue autant dans mes réflexions que dans mes souvenirs et mes rêves, dores et déjà envolés. J'ai passé mon après-midi dans un impénétrable mutisme, cloîtrée dans ce que j'ai toujours considéré comme mon foyer. J'aurais tant voulu dire à Téphe que je l'aime, que j'aurais souhaité l'épouser et porter sa descendance. Aujourd'hui il est trop tard. La vie en aura décidé autrement. Je me résigne enfin, acceptant le destin que mes parents m'ont choisi, et m'endors.

Quelques heures plus tard, au beau milieu de la nuit, un bruit me réveille en sursaut. Un caillou vient de taper dans ma fenêtre, suivi d'un autre. M'avançant lentement jusqu'à celle-ci, j'aperçois en contre-bas une silhouette. J'ouvre, et passe la tête au dehors afin de voir de qui il s'agit.

- Téphe ? Dis-je à tout hasard.

- Puis-je monter ?

Une joie immense m'envahit, c'est la voix de Téphe !

- Prends l'échelle derrière la maison, à côté de l'enclos aux poules.

En l'espace d'une minute et en toute discrétion, Téphe rejoignit ma chambre.

- J'ai appris que ton mariage avait été arrangé avec Fradaë Letro, m'annonce-t-il à peine arrivé.

- Comment as-tu pu l'apprendre ? Et par qui ? Beaucoup sont au courant ? Dis-je très rapidement.

- Il n'y avait personne dehors à cette heure, hormis ma mère qui revenait du lavoir. Elle vous a entrevu toi et tes parents, sortir de chez la vieille Kiega. Personne ne sait en dehors de ma mère et moi. Cleynénia, ne l'épouse pas. Je n'en revenais pas, avais-je bien entendu?

- Comment ? Je n'ai pas le choix.

- Au Bal, tu auras le choix. C'est un arrangement entre tes parents, Kiega et Fradaë. Au cours de la fête, tu iras vers qui tu veux, ajouta-t-il en prenant mes mains dans les siennes.

- Oui, et après? Qu'arrivera-t-il à mes parents ? A moi ? Angoissais-je.

- Tes parents, ça les regarde, ils t'ont vendue ! Peu importe leur sort, ils ne font manifestement pas cas du tien. Quant à moi, je te protégerais, les miens également te protégeront.

- Tu es si prévenant avec moi. Pourquoi me protégerais-tu?

- Cleynénia, épouse-moi.

La terre se dérobe littéralement sous mes pieds, je vole, c'est incroyable. Je ne sais plus quoi dire. Je le savais, mais...

- Cleynénia. Épouse-moi, je t'aime.

- Je t'aime aussi.

Sur ces mots, plus rien d'autre n'avait d'importance. Mon regard était plongé dans le sien, et le sien dans le mien. L'amour... Je le connaissais enfin, le seul, le vrai. Un lien imperceptible nous a à jamais unis en cet instant. Nous ne nous détachons plus du regard, les mains jointes. Téphe, dans la douceur qu'il incarne, appose sa main sur ma joue, et s'approche de moi. J'ai la sensation de n'avoir jamais été aussi proche de lui. Son souffle est si près de mon visage. Il me regarde par à-coup, s'assurant ainsi que je ne suis pas désireuse de m'enfuir. Et il n'en sera rien. 

Nos lèvres se frôlent enfin, se goûtent, et se dévorent de passion. J'ai l'impression de ne faire qu'un avec lui. Mais ce qui allait suivre, allait nous unir à jamais. Nos lèvres mêlées, nos mains se délièrent, et tâtonnèrent, doucement, découvrant ainsi le corps de l'autre. Devinant au travers des vêtements les formes de l'autre. Je frémis, alors que sa main soulève le côté droit de ma chemise de nuit. Elle court sur ma cuisse, dévoilant peu à peu mes formes au clair de Lune qui nous guettait de sa bienveillance.

Ce que nous nous apprêtions à faire n'était pas interdit. Ce qui était prohibé par notre religion était de donner la vie à un enfant hors mariage. L'acte amoureux, avant les noces, était toléré.

Nous le savions, et malgré les risques que nous pouvions encourir, tout ce qui était étranger à notre amour n'avait plus aucune importance.

Je suis à présent nue, face à lui. Ôtant d'abord sa chemise, j'écarte ses bretelles pour mieux les faire tomber de ses épaules. Bouton par bouton, l'étoffe qui me privait de sa peau s'ouvre, me laissant apprécier la délicieuse chaleur de son corps. Descendant un peu plus à chaque effleurement de mes mains sur son torse, je déboutonne enfin son pantalon, et baisse son caleçon, laissant ainsi s'épanouir toute sa virilité.

Téphe colle sa peau contre la mienne. Ventre à ventre, il caresse mon dos, puis ma cambrure. Nous échangeons à nouveau un tendre et fougueux baiser, quand la magie de l'instant nous emporte. Nous couchant sur mon lit de paille, dans les draps tiédis par mon court sommeil, nos caresses se font à chaque seconde plus pressantes et plus folles. C'est là que je le sentis entrer en moi.

Cette première revendication me brûla le connin de douleur, puis s'apaisa au rythme de son vas-et-viens, avant d'enflammer mon bas ventre d'une sensation nouvelle. En dépit de petites maladresses, chaque mouvement de son bassin me faisait un peu plus frémir. Nous avions chaud, nous étions bien. Après quelques minutes de sensualité, le plaisir nous saisit. Ma voix ronronna légèrement, mais pas brièvement, allant parallèlement à la sienne sans cesse crescendo. Dans un dernier élan, le feu de Téphe jaillit en moi, nous portant au point culminant de notre ébat. M'endormant enfin au creux de ses bras, aujourd'hui j'en étais sûre, c'est Téphe que j'allais épouser.

Les Sphères d'Ebesse                               Tome 1 - Épées forgéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant