5. Mon métier

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Ma vie est teintée de couleur.

Ce soir, elle tend vers le noir. Le noir en moi.

J'ai réalisé qu'il n'en pouvait être autrement pour être une excellente actrice. Entre tous les rôles qu'il me fallait jouer, je détestais celui de fille, celui de co-locataire et celui de Léane. En fait, je happais la vie la plupart du temps pour la voir ensuite filer entre mes doigts. Je vivais constamment avec l'impression que quelque chose m'échappait.

On était Mercredi. Je déteste les mercredis. Ca semble tellement long quand on aspire à un week-end reposant. Mais quand je dit détester les Mercredis, c'est parce que c'était le jour creux de la semaine.  Moins d'hommes s'aventuraient longtemps dans les bars, ce qui me coûtait de sortir le grand jeu. Le traffic dure très tard dans les rues de Petion-Ville et beaucoup de mes clients habituels hésitent à se saouler la gueule. Mais il y avait encore d'autres raisons. Le mercredi était le jour où les escort-girl volait la vedette aux prostituées de dernière classe car il y avait souvent des activité professionnelles dans la contrée et que les hommes d'affaires étaient plutôt sélectif. Ce Mercredi devait être pire car Paolo avait déjà trouve la remplaçante de Stacy avec qui je devais coopérer. Ce qui me compliquait la tâche car elle avait un petit quelque chose que je n'avais pas encore. Elle était enjouée. Je le savais car j'ai lu quelque chose sur ça dans un livre qui abordait l'art d'être femme. Croyez-moi, être abordable est une grande entrée en matière. Ce que je n'arrivais pas à concilier avec le fait d'être très sûre de moi. Entre ce que je lisais sur l'art d'être femme et ce qu'il en coûtait dans la vraie vie, il y avait bien des écarts.

Grande, mince, les cheveux redressés en un chignon au-dessus de la tête, des vêtements qui laissaient apparaître son nombril, son dos et ses cuisses, j'étais sûre d'une chose, elle n'était pas une débutante. Mélanie arrive à ma hauteur au coin de la rue Lamarre a 9h précise avec un maquillage provocant. 

_C'est quoi ce regard?

Ah oui, j'avais ce regard qui signalait le danger à proximité. 

_Pardon, j'ai du remarquer quelque chose dans ton fard à paupières.

Mes doigts s'aventurèrent au-dessus de son oeil gauche ou je fais un geste rapide. Elle doit ne pas avoir compris car elle répond:  

_J'ai juré que j'ai mis trop d'ombre à paupière sur ce côté bref.

On se retourne pour faire face à la rue, et moi je dandine au son de la musique du bar de Paolo  à l'idée d'avoir gâché pour si peu son maquillage sans me faire avoir. Je me sens exaltée même avec l'envie naissante de l'écrabouiller. Je crois que mes pulsions noires étaient juste trop forte en ce moment.

_Tu en veux? 

Je fixe la boîte de cigarette qu'elle a sorti de son soutif avec dégoût: 

_Non merci. 

_Bien.

_Tu sais que fumer n'est pas très bon pour la santé.

_Tu sais que la prostitution n'est pas très bon pour la santé non plus.

Je regarde une fumée blanchâtre lui sortir par les narines.

Décidément, on n'était peut-être pas fait pour s'entendre et dans ces conditions, il fallait que je me débarrasse d'elle avant que ça ne soit l'inverse. Des voitures s'arrêtent le temps de prendre quelques escortes pour des soirées privées. Les bars nous servent de centre d'intermédiation. Mais depuis que le bar d'en face à ouvert ses portes il y a deux semaines, la moisson semble dégénérer. Les bars, c'étaient ce qu'il ne manquait pas à Pétion-Ville. A chaque coin de rue, des vitres éclairées de lumières effervescentes servaient de décor principal à la ville et les putes servaient de cerise sur le gâteau. 

La fille de joie a l'identité perdueWhere stories live. Discover now