11. Discussion polochon

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Je me demande si je regarde un point en particulier. Il fait noir, je ne vois rien. Il fait noir devant moi, juste sous mes yeux et pourtant, j'entends tellement de choses.

J'entends la voix de Basile, ce qu'il m'a dit avant que l'on se mette à table et ça résonne encore. Ça se répète comme un disque sans fin. Comment suis-je supposé m'y prendre ? Comment lui dire tout ce que je ressens ? J'ai l'impression d'être un vase trop plein et qu'une goutte suffirait à tout faire déborder. Un tsunami se prépare dans mon cœur et je ne sais pas comment l'en empêcher.

Alors, je reste comme un idiot, allongé les bras croisés derrière la tête, à fixer, dans le noir, le plafond de ma chambre.

Basile est à côté et je présume qu'il dort. Je ne sais pas trop. Il est venu se coucher sans rien dire. Il s'est contenté d'un petit sourire compatissant. Je ne lui ai pas souhaité "Bonne nuit", je ne lui ai rien dit. Je préfère ne rien lui dire en fait. Sans doute par peur. Peur qu'il comprenne. Qu'il interprète mes mots et mes silences.

Je présume qu'il dort oui.

- J'ai peur de plein de choses. J'aurai aimé avoir des peurs débiles et drôles comme les escargots ou les serpents, mais c'est plus compliqué. J'ai peur de ne pas être assez bien. De ne pas trouver ma place. J'ai peur de ne pas réussir à être heureux, mais maintenant que j'y pense, je me demande si je l'ai vraiment été un jour et si je n'ai pas fait semblant jusque-là. J'ai peur de l'abandon. Peur qu'on me laisse un jour derrière, sans explication. J'ai peur de tout ça et de plein d'autres choses. Je suis bourré de craintes et d'incertitudes et je ne sais pas comment ni quoi faire avec.

Je m'arrête de parler en sentant comme une sorte de boule monter soudainement dans ma gorge. Je n'ai jamais parlé de tout ça à personne, parce que j'ai toujours pensé que ça ne se disait pas, d'autant plus quand vous êtes un homme. Vous n'êtes pas supposé pleurer en public sous peine de vous faire traiter de "petite nature". Vous n'êtes pas supposé être fragile, à part quand vous êtes malade, là vous avez le droit de jouer la carte du mourant pour un rhume. Vous n'êtes pas supposé dévoiler ce qu'il y a au fond de vous, alors vous vous muez dans un silence de mort et vous faites avec la vie.

- Moi, je ne t'abandonnerais pas.

La voix de Basile s'élève au milieu de silence et dans la nuit tandis que mon cœur rate un battement. Je me sens comme un voleur prit en flagrant délit et je ne sais pas quoi faire. Lui répondre ? Continuer ?

- Tu ne me connais pas, Basile.

- C'est vrai, mais je peux apprendre.

Apprendre ? À me connaître ? Pourquoi il se donnerait ce mal-là ? Pourquoi il essayerait ?

- Tu le sais maintenant, mais je suis aveugle. Je ne vois rien. Je ne peux pas voir l'expression de tes yeux qui cherchent quelqu'un à qui s'accrocher ou celle de ton visage qui essaye de dire tout le contraire. Je ne peux pas vraiment savoir ce que tu penses, parce que je ne suis pas dans ta tête. Je ne peux pas voir ce que tu fais et comment tu agis parce que je serais toujours un pas derrière toi. Je ne pourrais jamais te suivre et être à ton rythme. Tout ça, ça m'est impossible. Mais je peux essayer. Je peux essayer en m'accrochant à toi. Je peux essayer de suivre.

- Pourquoi ? Pourquoi tu ferais ça ?

- Parce que personne ne mérite de marcher seul. Et aussi parce qu'apparemment, tu es aussi beau qu'un pou.

Il rit et j'enchaîne juste derrière en repensant à ce que je lui ai dit plus tôt dans la journée.

- Avoue-le Basile, tu as craqué pour mon physique incroyable ?

- Ça te rassurerait, n'est-ce pas ? Mais non.

Non ? Donc suis-je le seul à...

- Tu ne sais dont pas ce que tu rates.

- Ah ça je n'en doute pas ! Mais tu sais, la vie ne se résume pas qu'à l'amour. L'amour est traître. Il vient et nous poignarde dans le dos puis s'en va. Je pense que je peux m'en passer.

- Mauvaise expérience ?

- Longue histoire plutôt.

- Ça tombe bien, j'ai toute la nuit devant moi !

- Plus tard Gabriel, plus tard.

Le silence revient tandis que, perdu tous les deux dans le noir, je crus déchiffrer le déchirement dans la voix de Basile. Je crois que je commence à comprendre. Ce que tu ne vois pas, tu peux l'entendre. Il te suffit de faire suffisamment attention.

Mais Basile ne dit plus rien. Vraiment plus rien et je me sens soudainement seul alors que je suis pleinement éveillé n'ayant aucune envie que la nuit vienne me happer.

- Psst ! Tu dors ?

- J'essaye, mais mon voisin de lit m'en empêche.

- Dis-le si je te dérange !

Je suis vexé là. Il voulait que je parle et maintenant que je le fais, il veut dormir.

- Un peu.

Il finit par éclater de rire et je me permets de lui balancer mon oreiller à la figure. Du moins, je le balance dans le noir donc je ne sais pas vraiment si je fais mouche et si Basile se l'est mangé.

- Raté ! Hey Gabriel ?

- Quoi ?

Soudain je me mange son oreiller en pleine figure.

- C'est comme ça qu'on lance un coussin.

Ah ouais ? Tu veux jouer à ça ? Attends un peu que je devienne plus adroit dans le noir, tu vas voir mon kiki, ça va être ta fête.

- Basile ?

- Qu'est-ce qu'il y a ?

- Merci. Merci d'essayer.

Je me demande quelle tête il fait en ce moment. Est-ce qu'il sourit ? Est-ce un sourire amusé ou compatissant ? Bienveillant ou gentillet ?

- Je n'essaye pas. Je réussis.

- Prétentieux.

Vingt mille lieues dans tes yeux (BxB) - Tome 1Donde viven las historias. Descúbrelo ahora