5. Maman, je me suis trompé de destination

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Je n'ai pas dit un mot de tout le trajet séparant la maison de ma grand-mère au centre même du village dans lequel elle tient sa boutique de fleurs. À vrai dire, je suis plutôt vexé et peut-être que c'est juste idiot de ma part, mais j'ai l'impression qu'elle favorise son nouveau colocataire plutôt que la chair de sa chair. Ouais, je suis jaloux. C'est con, hein ? Jaloux de quoi ? D'un mec qui a besoin d'assistance H24 parce qu'il peut se manger le sol toutes les deux secondes s'il ne fait pas attention ? Non, je m'en fou de l'aveugle. En fait, je suis jaloux du mec qui a certainement pris ma place auprès de ma grand-mère. Le rôle du "petit fils" ce n'est pas moi qui l'ai rempli ces dernières années, c'est lui. Et je lui envie ça. Je lui envie d'avoir passé un temps que je n'ai pas su accordé à cette superbe et courageuse femme. Je suis jaloux de ce mec qui se trouve assis dans le siège passager confortablement tandis que je me retrouve sur la banquette arrière, compressé comme une sardine en boîte, n'ayant même pas assez de place pour étendre mes pauvres jambes.

Des fois je m'en veux d'avoir des réactions dans ce genre-là, je le genre puéril. Je devais m'en douter que Jacqueline allait continuer à faire sa vie et n'allait certainement pas passer les dernières années de celle-ci à attendre que ma mère ou moi fassions un effort. Elle s'en fou. Elle n'attend plus que le monde bouge. Elle le fait bouger d'elle-même si ça lui chante.

Et moi, je me rends tout simplement compte que j'ai trois wagons de retard sur tout ça. Je lui ai à peine demandé l'autorisation pour venir m'installer chez elle. Je lui ai juste balancé du jour au lendemain "Hé ! Je viens continuer mes études près de chez toi", comme un putain d'égoïste, car je pensais plus à ce moment-là, à sortir mon cul de cette ville de merde plutôt qu'à faire attention aux gens que j'allais déranger. Je n'ai pas pris le temps pour ça. Je n'ai jamais pris le temps pour ça. J'ai vécu à 100 à l'heure toute ma vie et maintenant qu'on me demande de ralentir, ça ne me plait pas. Ça ne me plait pas parce que ça me demande de changer mes petites habitudes de bourge. Pourtant, n'est-ce pas pour "changer" que je suis venu ici ? Je la veux cette coupure entre mon monde et ce monde là. C'est pour ça que je me suis tapé sept heures de train à avoir mal au cul et à entendre des gamins brailler tout le trajet.

Alors quand on se gare en face du fleuriste, naturellement, je suis resté dans la voiture comme un enfant attendant la permission.

- Bon alors ? Tu comptes dormir ici ce soir ou pas ?

Mais c'est sans compter sur le tact et la délicatesse légendaire de ma grand-mère. Elle est déjà sur le seuil de la porte tandis que je m'occupe de décharger le coffre de sa voiture. Basile lui, s'accroche à une table et ses mains viennent saisir un pot de fleurs que ses doigts effleurent avec une grâce surprenante. Petit, j'en ai fait tomber de ces pots pourris. À chaque vase cassé, une trace de fessé !

- C'est bon, j'ai tout mis à l'arrière, tu as besoin de quelque chose d'autre pendant que je suis là ? demandé-je en faisant le tour de toutes ces fleurs trônant ici et là.

- Non, ça ira. Si tu crois que j'ai attendu ta venue pour avoir enfin l'aide nécessaire. Le café est au bout de la rue, tu crois que tu peux te débrouiller tout seul ?

- Je devrais pouvoir m'en sortir. Je reviendrais quand j'aurai terminé.

- Ne te presse pas ! Basile et moi avons fort à faire aujourd'hui.

Je suis supposé hausser les épaules et partir comme si de rien n'était, pourtant mes yeux s'arrêtent sur Basile. Je ne le connais pas et j'en viens à le détester pour un rien. Je me dis qu'il vit une belle vie. Il a une petite grand-mère sympathique sous le coude qui l'aide en cas de besoin. Un boulot qui ne lui demande que de renifler des fleurs à longueur de journée et l'amour suffisant pour ne pas avoir envie de se suicider. Génial !

Vingt mille lieues dans tes yeux (BxB) - Tome 1Where stories live. Discover now