7. Les mots du coeur et les maux du monde

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Tu sais ce que l'on dit sur les gens comme toi ? Ceux qui pensent que le monde est un peu trop rose et qui continuent à s'obstiner sur cette voie-là ? On dit qu'ils ne font pas long feu. Tu vois, je me demande même si c'est possible d'être optimiste de nos jours. On n'a pas le temps pour l'être et ce n'est pas faute d'essayer. Tu dis que la vie t'en a fait voir de toutes les couleurs, toi qui ne vois rien, et pourtant malgré tout, tu t'obstines à croire que demain sera meilleur. Pourquoi ? Dis-moi pourquoi crois-tu en une telle connerie ? J'ai grandi en voyant que le monde, aussi triste que ça soit, se résumait en deux camps : ceux qui se font marcher dessus et les autres qui piétinent allègrement les rêves, les espoirs d'autrui. Il n'y a pas de place pour d'autres. Il n'y en aura jamais. Les grands rêveurs de nos belles sociétés se font tuer, exécuter ou bien enfermer. On les traite de fous, on les juge par tous les noms.

On pense qu'ils n'ont pas la lumière à tous les étages parce que ça ne peut être que folie de croire que demain sera mieux. Demain n'est pas appelé à s'améliorer, crois-moi, j'en sais quelque chose. Je sais que quoi que l'on fasse, quoi que l'on dise, on finit toujours par se faire mal. Par se blesser. Tout seul ou avec un peu d'aide, qu'importe. Il arrive toujours un moment dans la vie où l'on pleure. Un moment où l'on a envie de tout retourner. Un moment où ce pont nous tente bien ou alors cette pilule là-bas cachée dans la pharmacie.

Il arrive toujours un moment où notre existence nous parait si fade que l'on veut y mettre un terme. Pourquoi sommes-nous là ? À quoi servons-nous ? Est-ce que l'on manque à quelqu'un ? Est-ce quelqu'un nous aime ? Il y a toutes ces questions qui tournent et nous retournent le cerveau par la même occasion.

Je ne peux pas croire qu'un jour, au-dessus de moi, il fasse soudainement beau. J'aime ce temps orageux parce que tu vois, il me rappelle qui je suis et d'où je viens. Cette pluie fine qui s'abat à l'intérieur de moi me rappelle où je vais et ce que je dois faire pour parvenir à mes fins.

S'il doit faire beau dans mon cœur, cela signifie forcément qu'il y aura une tempête dans un autre. On ne peut pas être entièrement heureux sans blesser quelqu'un. Sans profiter de quelqu'un. C'est comme ça.

- Et toi Basile, tu sais danser sous la pluie ?

Il me sourit avant de se retourner et d'agiter ses pieds commençant alors à se déhancher tout naturellement comme si une quelconque chanson l'aidait. Basile à un rythme naturel que je n'ai pas. Une grâce que j'envie presque moi qui danse comme un manche.

- Je danse qu'il pleuve ou qu'il vente. Voilà la différence entre nous deux. Dis-moi Gabriel, quel est ton premier réflexe quand il pleut ?

- Râler ? Je suppose...Comme tout le monde. Personne n'aime la pluie. Le temps gris, les gros nuages.

- C'est bien là le souci du monde, vois-tu. Personne ne prend le temps cinq minutes pour s'arrêter sous cette dernière. C'est vrai que ça mouille, c'est un fait, mais nous ne sommes pas faits en sucre. Nous n'allons pas mourir si nous sommes mouillés. Nous allons tomber malades dans le pire des cas, mais sinon ?

- Tu vois vraiment le positif de partout toi.

- Oui et non. Tu l'as dit toi-même il n'y a même pas cinq minutes : Je ne vois rien.

- À ce propos, je suis désolé.

- Je sais que tu l'es. La preuve, tu es resté assis sur le tabouret en bois pour m'écouter. Tu n'es pas un mauvais gars, je le sais.

- Comment tu peux le savoir ?

- Parce que ton premier réflexe quand je me suis approché a été de me tendre les mains pour que je puisse les attraper. Tu m'aides sans même t'en rendre compte. Tu tends naturellement les mains aux gens, et ça tu vois, peu de gens le font.

Ce n'est pas comme si je pouvais le laisser se débrouiller tout seul en le regardant se dépatouiller tant bien que mal avec le mobilier de la boutique. Je veux bien l'admettre, pour un aveugle, il se débrouille vachement bien, du moins ce qu'il est capable de faire est assez surprenant, mais quand même !

- Donne-moi tes mains, je vais te prouver quelque chose.

- Quoi donc ? Tu sais je ne donne pas mes mains à n'importe qui.

- Je suis le mec qui t'entend ronfler et péter la nuit alors je suis loin d'être n'importe qui.

Vue comme ça.

Je lui tends alors ma main tandis qu'il s'agrippe à mon poignet et qu'un sourire vient illuminer son visage. C'est fou, mais je lui trouve quelque chose de vachement captivant sur l'instant.

- J'ai un truc entre les dents pour que tu me dévisages comme ça ?

Dans mon mouvement de recul, pris en flagrant délit d'observation, je manque de trébucher du tabouret sur lequel je suis assis tandis que sa main vient me retenir.

- C'était moins une...

- Merci. Et puis comment tu sais que je te regarde ?

- Mes doigts sont sur ton poignet, je sens ton pouls. Il s'est emballé subitement.

- Quoi ? Mais...

- Non, non, ne retire pas ton bras, attends !

- Pourquoi ? T'es en train d'analyser mon rythme cardiaque.

- Je ne vois peut-être rien, mais je sais que le cœur, lui ne mens pas comme une émotion peut facilement en cacher une autre. L'être humain ne peut trahir ce qu'il ressent malgré tous les efforts qu'il emploie pour le dissimuler. Ton cœur me parle, tu sais ?

- Ah oui ? Et qu'est-ce qu'il dit au juste ?

Vas-y petit génie, on va voir si tu es aussi fort que tu prétends l'être. Je suis presque certain que c'est du bluff toute cette histoire.

- Je te plais.

Je retire immédiatement mon bras comme si je le lui arrachais.

- C'est n'importe quoi.

- Vexé ?

- Pas du tout, c'est complètement faux.

- Ok, si j'ai tort, laisse-moi vérifier par moi-même.

- En me tripotant encore ?

- Laisse-moi mettre ma main sur ton cœur.

- Ah ! J'en étais sûr ! Hors de question !

- Donc tu refuses ?

- Bien sûr ! Bas les pattes !

- Tu sais c'est pratiquement un aveu de ta part.

- Mais pas du tout. Tu ne connais dont pas le principe même du respect de l'intimité de l'autre ?

- Dis celui qui s'est penché au dessus de moi de bon matin ?

- J'avais simplement peur que...que...Que tu sois mort. T'as les yeux fermés à longueur de journée et...je ...et puis merde hein !

Il s'éloigne en riant tandis que je fais mon maximum pour ne pas m'approcher de ses mains de sorcier ou bien même de lui. Il faut que je reste à bonne distance dorénavant.

- Tu boudes ?

- Je ne boude pas !

- Je n'en sais rien, je ne t'entends plus.

- Disons que je réfléchis, d'accord ? J'ai aussi le droit de réfléchir.

- Je te laisse réfléchir dans ce cas.

Pourtant, mes yeux trahissent absolument tout et je suis alors bien content que Basile ne puisse pas me voir. De cette façon, il ne se rend certainement pas compte que mes yeux ne le lâchent pas d'une semelle et qu'ils restent fixés sur lui. Ils détaillent ses moindres gestes et dans mes yeux se met alors en place une sorte de contemplation. Je pourrais vendre mon âme au diable à l'instant si cela me permettait de détourner le regard de lui.

Mais je ne peux pas. Quelque part, je me retrouve fasciné. Fasciné par l'homme se trouvant en face de moi qui devine les mots et les murmures de mon cœur de ses doigts.

Vingt mille lieues dans tes yeux (BxB) - Tome 1Where stories live. Discover now