3. Diviser pour mieux régner

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Je ne sais pas ce qui m'a réveillé, si c'est mon cerveau me diffusant la chaîne "Rêves étranges et sordides" ou bien la douce odeur de café venant me chatouiller les narines. Peut-être un juste mélange des deux. J'ai besoin de ce café et j'ai besoin d'oublier ces horribles images d'un rêve que je ne saurais décrire. C'est là que je me rends compte que mes rêves de gamin me manquent : rêver de dragon ou de conquête de l'espace. D'être une star de cinéma ou un pompier. J'ai toujours eu des rêves cool et puis l'adolescence est venue et à partir de là, ça a été un peu plus compliqué. À croire que mon théâtre intérieur a vu son éventail de genre s'élargir. C'est certainement à cause de ses images, de ses "films mentaux" qui se déroulaient sous mes yeux alors fermés, que j'ai commencé à écrire. À coucher sur le papier ce que je voyais, ce que je ressentais et mieux encore, ce que ça m'inspirait.

Je me surprends à poser mon regard sur Basile à côté de moi et à avoir un réflex bizarre en me levant : bouger ma main devant ses yeux fermés. Est-ce qu'il dort ? Est-ce qu'il respire au moins ? J'approche mon visage du sien, tendant mon oreille quand soudain un souffle brusque s'engouffre à l'intérieur me faisant reculer jusqu'à mon matelas tandis qu'il éclate de rire.

- Non, mais ça va pas bien dans ta tête ?

- C'était tentant, il faut l'avouer, s'explique-t-il complètement hilare

- Comment...comment tu as su que j'étais ...

- Au dessus de moi ? J'ai d'autres sens, tu sais ? Tu as un souffle particulièrement chaud et ton cœur semblait vouloir quitter ta poitrine. Il bat anormalement vite.

Je me sens presque déshabillé quand il mentionne mon cœur. Je sais qu'il a tendance à s'emballer un peu trop rapidement et parfois, j'ai carrément l'impression que je frôle la crise cardiaque de peu, mais quand même. Personne n'écoute mon cœur d'habitude. Personne ne tends ne serait-ce que l'oreille pour écouter ses désirs et ses envies.

- Tu es réveillé depuis longtemps ? demandé-je en essayant de réorienter la conversation

- Quelques minutes seulement et puis j'ai entendu ton lit craquer, je me suis douté que tu étais alors réveillé. Tu veux bien m'aider ?

- J'espère que tu ne dors pas nu.

- J'ai un pyjama avec des nounours...Je crois. Jacqueline me l'a offert au Noël dernier, elle m'a dit que les motifs lui plaisaient bien.

Honnêtement, ce n'est pas des "nounours" dessus, mais des hérissons donc la vue de ma grand-mère a dû grandement changer ou elle a fumé je ne sais quelle herbe de son thé ce jour-là.

- Je peux te donner un avis ?

- Bien sûr !

- Ce pyjama est hideux.

On rigole tous les deux tandis que je guide sa main jusqu'à ce qu'elle s'agrippe à mon bras.

- Et toi ?

- Hmm ?

- Ton pyjama, il est comment ?

Je suis obligé de lui en parler ou je peux omettre ça ?

- Basique, bleu.

- C'est tout ?

- Ouais, c'est tout.

Non ce n'est pas tout, il est bleu nuit avec des petits croissants de lune dessus. Maintenant je commence à comprendre d'où maman a hérité ses goûts pour les pyjamas hideux et comme c'est un cadeau, je n'ai pas osé lui dire que ça ne me plaisait pas du tout. Au contraire, je le porte. De toute façon, je n'avais que celui-là. D'habitude je dors en boxer ou en jogging, mais j'ai bien fait de rien enlever en sachant que je partage la chambre avec Basile.

- Ah voilà mes marmottes ! Bien dormis les garçons ?

Jacqueline nous accueille comme des rois tandis que la table est dressée. Pain, viennoiseries, café, thé, jus d'orange fraîchement pressé, confiture, pâte à tartiner.

- Bah alors Basile ? Tu es tout silencieux ? Qu'est-ce qu'il y a ?

- Mon pyjama.

Oh je n'y crois pas. Il va me balancer.

- Qu'est-ce qu'il a ton pyjama ?

Ma grand-mère lève soudainement les yeux, sourcils froncés vers moi comme si j'ai quelque chose à voir dans cette histoire.

- Il est moche.

- Quoi ?!

J'en étais sûr ! Balance !

- Gabriel !

- Je n'y suis pour rien. J'ai juste donné mon avis. Et puis on s'en fiche avec quoi on dort sur le cul, tant qu'on dort bien.

- Dis celui qui dort avec des petites lunes dans un pyjama en satin, siffle ma grand-mère

- AH ! Je savais que tu me cachais quelque chose ! s'écrie Basile

- Alors déjà, le coton, ça me gratte et je n'ai pas envie de me gratter les fesses toute la nuit.

- Tu sais ce que l'on dit ? Qui se couche avec le cul qui gratte, se lève avec le doigt qui pue, annonce ma grand-mère en repartant vers la table de la cuisine

Basile explose de rire à côté de moi et je n'ai qu'une envie, lâcher prise pour voir s'il va continuer à rire une fois le cul par terre. T'inquiètes, qui rira bien qui rira le dernier.

- Bon, vous vous mettez à table ? Basile tu m'attrape les tasses s'il te plaît ?

- Bien sûr.

Ce dernier me lâche et se dirige vers le petit meuble sur lequel se tient un présentoir à tasse et en attrape trois en les ramenant avec prudence sur la table.

- Assieds-toi Gabriel, tu vas le gêner.

Maintenant qu'on en parle, je remarque que sur chaque produit, chaque meuble, il y a des petites étiquettes en braille. Chacun coin de la maison à le droit à sa petite indication, même les aliments. Jacqueline a vraiment tout fait pour améliorer le confort de Basile et l'aider à se repérer pour qu'il puisse débrouiller au mieux tout seul. Je suis épaté. Moi je pleure quand je me cogne le petit orteil contre un coin de meuble le soir en allant aux toilettes.

- On dirait un super-héros, pensé-je à voix haute

- Style Daredevil ? J'aurai bien aimé.

- Mais t'entends vraiment tout ma parole !

- Même quand tu pètes la nuit, oui.

Quoi ? Alors premièrement je ne "pète" pas, j'expulse de l'air.

Ma grand-mère se retourne vers moi avec un léger sourire amusé.

- Cochon.

- Mais...

Je n'ai même pas le temps de me défendre. Ils sont deux contre moi, je ne peux lutter, mais ce n'est que le début. "Diviser pour mieux régner", c'est ma nouvelle devise dorénavant.

Vingt mille lieues dans tes yeux (BxB) - Tome 1Unde poveștirile trăiesc. Descoperă acum