6. Chantons sous la pluie

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C'est comme jouer à "1,2,3 soleil", mais en mieux. A chaque fois que Cléo tourne la tête vers moi, je fixe l'écran de mon ordinateur. Au fond, ça me rappelle mes moments de collégien où je me cachais derrière un classeur ou un livre pour éviter le regard du professeur. Tout était bon pour ne pas faire de contact visuel à vrai dire. Je ne voulais pas finir au tableau et je n'ai jamais été un grand fan des oraux. Passer devant tout le monde, affronter le regard d'une foule ou faire face au bide total en se rendant compte que l'on n'intéresse personne.

Sauf que là, j'ai piqué la curiosité indésirable d'une personne et j'aimerais bien pouvoir me lever et aller aux toilettes sans qu'elle me demande où est-ce que je vais. Je pourrais lui dire qu'elle me gonfle, qu'elle me les brise sévère, mais j'ai été bien élevé et ma mère me frapperait certainement si elle me voyait répondre sèchement à cette fille.

Mais avec le café, une envie pressante se présente à ma porte et j'ai besoin d'y aller, vraiment. Ca fait 10 minutes que je me retiens maintenant, je crois que je vais imploser.

- Oh Gabriel, tu as besoin de quelque chose ? Un deuxième café peut-être ?

- Non, non, juste des toilettes.

- Des toilettes ?

Elle penche sa tête légèrement sur le côté comme si elle ne comprend pas ce que je viens de lui dire. C'est pourtant simple.

- Qu'est-ce que tu vas faire aux toilettes ?

Elle est sérieuse ?

- Ouvrir la porte de la chambre des secrets, connasse !

C'est sorti tout seul. Vraiment. Tout comme mon envie, j'ai essayé de me retenir, mais trop, c'est trop.

Tout le café me dévisage l'air sévère et je ne peux que leur accorder ce froid général que je viens d'installer en insultant la petite serveuse du coin que tout le monde doit bien aimer. Merde. Je n'ai même pas fait deux heures dans ce patelin que me voilà certainement déjà fiché comme "le dernier des connards". Je suis même quasi certain que cette petite incartade va remonter jusqu'aux oreilles de Jacqueline.

- Je suis désolé. Vraiment...Je ne voulais pas.

Je la vois les yeux larmoyants et je me retrouve tout penaud, ne sachant pas comment faire pour ne pas l'entendre pleurer. J'ai horreur des gens qui pleurent. Je ne sais jamais comment les consoler, je ne suis pas doué pour ce genre de chose. Je ne sais pas s'il faut leur dire que tout ira bien, s'il faut les prendre dans les bras, s'il faut faire tout ça à la fois. Je n'en ai pas la moindre idée. Je suis en panique moi quand quelqu'un pleure en attendant quelque chose de moi.

- T'es vraiment qu'un enfoiré !

Elle me balance un pichet d'eau à la figure et je dois dire que je le mérite. Je ne m'en plaindrais pas. Je passe quand même aux toilettes avant de récupérer mon ordinateur et de retourner voir ma grand-mère dans sa boutique.

- Gabriel ! Mais qu'est-ce qui t'es arrivé ? Tu es trempé !

- J'ai fait connaissance avec la serveuse du café.

J'entends alors Basile éclater de rire de l'autre côté du magasin tandis que ce dernier continue à s'agiter autour des fleurs.

- Laisse-moi deviner, elle t'a jeté un verre d'eau à la figure ? me demande-t-il

- Un pichet.

- Elle doit sacrément être en colère alors. Ne t'en fais pas, c'est un peu son truc. J'ai failli me prendre un coup de torchon moi une fois.

- Ah...Sympa les gens du coin. Je dois me méfier de tout le monde ou juste d'une jupette qui a le feu au cul ?

- Gabriel ton langage !

- Quoi ? C'est bon. Elle croit que parce qu'elle trouve un gars mignon elle peut se permettre certaines libertés ? Je respecte les femmes hein, c'est pas le souci, mais y'en a certaines qui mériteraient un cours ou deux sur la façon d'aborder les gens. J'ai pas envie de me rouler dans le foin avec elle, elle ne va quand même pas en faire un caca nerveux !

Un blanc s'installe alors dans la boutique.

- Bon, assieds-toi là-bas près du comptoir, je vais chercher une serviette pour te sécher.

Ma grand-mère disparaît tandis que je me retourne vers Basile qui semble amusé par la situation.

- Et ça te fait rire toi ?

- Moi ? Non.

- Alors pourquoi tu rigoles ?

- C'est vrai que t'es mignon ?

Non, mais il ne va pas s'y mettre lui aussi ? C'est quoi leurs soucis à la fin ?

- Autant qu'un pou !

- Oh, je vois.

- Qu'est-ce que tu vois au juste ? T'es aveugle bordel ! AVEUGLE !

Vas-y Gabriel après avoir mis les deux pieds dans le plat avec la serveuse, continue donc à te défouler sur tout le monde. De mieux en mieux cette journée.

- Je suis désolé Basile, ce n'est pas contre toi, mais je...

- Tu te sens mieux ? me demande-t-il calmement

- Hein ?

- Est-ce que tu te sens mieux maintenant ?

- Même pas. J'ai toujours su que crier et insulter le monde ne servait à rien et ne changeait strictement rien. On pense que ça soulage sur le moment, alors que pas du tout. Je suis juste un abruti.

- Ou pas.

Il s'arrête un instant et semble se diriger vers moi tout en s'agrippant aux tables autour. Maintenant que je le regarde faire, il semblerait que ces dernières soient positionnées de sorte à lui faire une sorte de trajet.

Puis, ses mains se tendent vers moi et je les attrape comme pour lui indiquer ma présence en face de la sienne.

- Dis-moi Gabriel, est-ce qu'un jour tu as pris le temps pour te plaindre ? Pour dire "J'en ai marre!" ? Pour le hurler au monde entier. Je sais très peu de choses sur toi, mais t'as l'air d'être le genre de gars qui passe plus son temps à écouter le monde plutôt que de se faire entendre.

Comment peut-il savoir ce genre de chose ? Il ne me connait pas alors comment peut-il deviner autant de choses sur moi ?

- Je vais vraiment finir par croire que t'as une sorte de super-pouvoir.

Il en rit.

- Pas vraiment. Je suis un homme comme un autre, avec un sens en moins certes, mais tu sais, c'est justement quand tu te rends compte de l'absence de quelque chose que d'autres apparaissent soudainement plus...Puissante. Je prends tout simplement le temps d'écouter le monde faute de pouvoir le voir. Je lui réponds quand il me parle. Je ne vois pas ses couleurs, mais j'entends sa musique. Sa mélodie. Son rythme effréné.

- Toi aussi t'es le genre à écouter, hein ?

- Plus que n'importe qui, mais je n'ai pas le choix et tu sais quoi ? S'il m'était possible un jour de changer ça, s'il m'était possible un jour d'avoir la vue, je pense que je la refuserais.

- Pourquoi ?

Il sourit légèrement et je me demande s'il se rend compte qu'il a un beau sourire. Pas le genre à vous faire tomber à la renverse, mais le genre à vous marquer. Le genre de sourire duquel on se souvient. Le genre qu'on a en tête quand on ferme les yeux.

- Parce que je ne voudrais pas me rendre compte de la laideur du monde. Je sais qu'elle est là, je l'ai entendue et subie, mais tu vois, j'aime à croire que j'ai un petit côté optimiste qui a le dessus sur tout. Absolument tout. J'aime croire que demain sera meilleur qu'aujourd'hui.

Basile marque alors une pause avant de poursuivre.

- J'aime croire que le soleil remplacera bientôt la tempête qui sévit dans ton cœur. Mais en attendant, il faut que tu apprennes à danser sous la pluie.

Vingt mille lieues dans tes yeux (BxB) - Tome 1Where stories live. Discover now