Chapitre 3 : C'est déjà trop tard pour elle

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Un jeune homme proche de la vingtaine vient à ma rencontre et s'agenouille à mes côtés au niveau de ce qu'il reste de ma fenêtre. Comment peut-il être aussi serein face à cette situation ?

L'odeur du fer est de plus en plus insoutenable dans l'habitacle. N'ayant toujours aucune réponse de ma mère, j'essaie de lui parler pour la rassurer quand soudainement, le jeune à mes côtés se racle la gorge. Quelques secondes passent et ses premiers sons restent en suspens. N'ayant pas de temps à perdre, je me mets à gesticuler dans tous les sens pour tenter de lui venir en aide, car il ne semble pas vouloir le faire. Dans un excès de gentillesse, celui-ci me détache en un rien de temps, ce qui me permet de la voir se vider de son sang. Ma voix se brise et les larmes me montent aux yeux.

Soudain, il pose délicatement sa main froide sur mon épaule comme pour m'apaiser. Prise par surprise, j'effectue un rapide mouvement de recul pour échapper à son toucher. Mon regard croise alors le sien et je l'implore en pleurant.

— Aidez ma mère, s'il vous plaît, elle perd beaucoup trop de sang ! crié-je avec une voix chevrotante.

Aucune réaction ne s'exprime à travers son visage fixé sur ma personne. Qui est cet étrange individu qui me dévisage avec une telle intensité ?

— Mais intervenez, bordel ! Vous ne voyez pas qu'elle va mourir si vous ne faites rien. Appelez l'ambulance !

Celui-ci va alors me sourire, ce qui me fout en rogne. Comment peut-il se le permettre face à cette situation ? Il ne comprend pas qu'elle est en train de mourir au fur et à mesure que le temps passe.

Je regarde derrière lui et aperçois une voiture rouge renversée où une personne tente de sortir une jeune femme qui s'agite dans tous les sens. C'est donc elle qui nous a foncé dessus et qui a causé du tort à ma mère. Elle ne semble même pas avoir été blessée par l'accident contrairement à nous. Je l'entends crier de toutes ses forces et vaciller de tous les côtés. Est-elle bourrée ? Comment peut-on prendre le volant et risquer sa vie et celle des autres de cette manière ?

C'est à ce moment-là que le jeune homme me tend la main pour m'aider à sortir de la voiture, mais je n'en ai aucune envie. Je veux qu'il l'aide, n'a-t-il pas compris ? Je l'ai pourtant énoncé clairement.

— Allez secourir ma mère en premier et seulement après vous pourrez vous occuper de moi.

Il ne semble toujours pas avoir saisi le message, car il ne bouge pas d'un pouce. Peut-être qu'il ne parle pas ma langue ?

— Bordel, vous êtes sourd et idiot, ma parole ? Ma mère d'abord. Ne voyez-vous pas qu'elle perd beaucoup de sang ?

Cet abruti me sourit encore plus face à ma phrase, ce qui me rend totalement folle de rage et engendre des pleurs très violents de ma part. Pourquoi ne veut-il pas lui venir en aide ?

— Bon, écoutez, je sais que je vais survivre, je le sens, par contre, elle a vraiment besoin de soin, s'il vous plaît, je vous en conjure, appelez quelqu'un sinon elle va mourir.

Le jeune homme explose de rire avant de prendre la parole très calmement pour la première fois.

— C'est déjà trop tard pour elle. Maintenant, donne ta main et aide-moi, Kaelia.

***

— Kaelia, ma puce, réveille-toi. Ce n'est qu'un cauchemar, murmure tendrement Alister en me secouant délicatement.

Je me relève immédiatement en sueur et en sanglot. Que s'est-il passé ? Ce cauchemar est totalement différent des autres que j'ai faits précédemment. Pour une fois, le garçon est venu vers nous, enfin surtout vers moi, et m'a adressé la parole avec sa voix si grave que rien que d'y penser, j'en ai des frissons.

— Le poisson est bientôt prêt, je t'attends en bas ! s'exclame Ali avant de fermer la porte de ma chambre.

Je me lève dans la précipitation pour tenter d'oublier le son de sa voix, son visage, mais surtout l'accident de voiture qui a tué ma mère. Je vais me passer un coup d'eau froide sur le corps avant de descendre les escaliers pour rejoindre Ali.

— Encore le même cauchemar, mon poussin ?

— Cette fois-ci, il était différent, susurré-je d'un air pensif et lointain.

— Veux-tu en parler ? me propose-t-il avec une voix tendre.

— Pas tout de suite. Après le repas ? Ton poisson sent divinement bon.

— Merci mon poussin, il a été fait avec amour, ajoute-t-il en souriant.

Nous mangeons tranquillement et en silence la dorade que mon grand-père a pêchée dans l'après-midi. J'ai toujours adoré sa façon de la préparer, c'est si délicieux quand c'est bien cuit et assaisonné.

À la fin du repas, il se lève pour aller prendre quelque chose dans le réfrigérateur. Je devine assez aisément ce que c'est grâce aux moules en silicone. Papy Alister sait exactement comment me faire plaisir et me remonter le moral, il suffit de me donner des muffins au chocolat en guise de dessert.

Rien qu'en le regardant, je me doute qu'il attend que j'entame la discussion, car il ne le fera jamais de lui-même de peur de me brusquer.

— Je rêve de l'accident et la vois mourir presque toutes les nuits, raconté-je avec la gorge serrée tout en mangeant mon gâteau.

Les larmes commencent à couler sur le long de mon visage. Parler de ce sujet est encore très sensible dans mon esprit et le sera sans doute à vie.

— Je revis en boucle toute la scène que j'en ai peur de dormir, marmonné-je avec une voix chevrotante. C'est pour ça que je suis énormément fatiguée en ce moment. Depuis quelques semaines, mes cauchemars ont changé. De base, je n'en faisais pas tous les jours, mais depuis peu, c'est constamment dès que je trouve le sommeil. Et dans le même espace de temps, un garçon qui n'était pas sur le lieu de l'accident apparaît. D'ailleurs, j'ai cru l'apercevoir à l'université aujourd'hui avant qu'il ne disparaisse soudainement de mon champ de vision. Mes cauchemars viennent désormais hanter mes journées.

— Tu l'as sans doute déjà rencontré quelque part, tu ne crois pas ? me rassure-t-il avec un ton de voix aussi doux qu'une caresse.

— C'est ce que j'ai pensé, mais je ne l'ai vu qu'une fois en tout et pour tout et je me rappelle bien des personnes en temps normal. Je suis très physionomiste et je n'aurais jamais pu oublier le sien. Le rêve de tout à l'heure a été le pire. Le jeune homme, qui d'habitude reste en retrait, s'est approché pour la première fois de moi et m'a parlé. Il m'a dit qu'il était trop tard pour elle. Pourquoi est-ce que mon cauchemar semble aussi réel ?

— Je pense que tu mets le visage de ce garçon sur celui du secouriste qui est venu te sauver ce jour-là, il ne faut pas t'en inquiéter, mon poussin. Tout va s'arrêter bientôt, j'en suis convaincu. On approche de la date où tu as perdu ta mère, c'est forcément pour ça.

— Je l'espère aussi, Ali. Je l'espère du fond du cœur, car j'aimerais beaucoup dormir la nuit. Parfois, je voudrais vraiment ne plus jamais me souvenir de ce jour, soupiré-je en baissant la tête, honteuse d'avoir de telle pensée.

— Mon poussin, ça va aller, me rassure-t-il en me prenant dans ses bras afin d'apaiser mes larmes.

Quelques minutes après, je me sens déjà un peu mieux. Les câlins de Papy Alister sont très réconfortants. À cause de tous mes pleurs, la fatigue ne tarde pas à montrer le bout de son nez.

Ali me fait un signe de tête pour me congédier. Il préfère que je me repose dans ma chambre et que je le laisse nettoyer la vaisselle. Il semble un peu inquiet pour moi, mais il tente de ne pas le montrer.

Je m'empresse de monter pour me rouler en boule dans ma couette pour essayer de me rassurer et de me calmer. Cette nuit sera une nuit sans, j'en suis sûre.

***

Bonjour tout le monde ! J'espère que ce chapitre vous aura plus. N'hésitez pas à y laisser des commentaires ou des votes pour me dire ce que vous en pensez.

Le prochain chapitre : comme l'impression d'être observée sera en ligne la semaine prochaine. Bisous !

Dans les songes de Kaelia [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant