Chapitre 1 : Quelqu'un se rajoute à l'équation

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Quelques années plus tard

— Est-ce que tu en veux encore, Kaelia ? demande Papy Alister, persuadé que j'ai toujours faim après avoir dévoré mes deux bols de céréales au chocolat.

— Non merci, Ali. Mon ventre est plein, je ne peux plus rien avaler.

La personne que j'appelle Ali ou Papy Alister n'est autre qu'un homme d'une soixantaine d'années qui nous a recueillies ma mère et moi, quand je n'étais alors qu'un bébé. Au détour d'un magasin, il a remarqué qu'elle cherchait de l'aide et il s'est naturellement proposé pour nous héberger à titre gratuit, avant qu'elle ne trouve un travail. Ce genre de personne qui donne tout sans attendre quelque chose en retour est devenu de plus en plus rare et cela me désole.

Ali a toujours été aux petits soins avec moi, un vrai papy gâteau comme mon amie d'enfance le surnomme. Depuis maintenant plus de vingt et un ans, il me prépare un énorme petit déjeuner, qui pourrait nourrir un régiment entier. Entre biscuits secs, flocons d'avoine et tartines au beurre, je suis servie ! L'odeur qui se dégage de tous ces aliments est absolument divine et suffit à éveiller mes papilles. Je ne peux sous aucun prétexte louper ce rendez-vous. Et ne parlons pas des saveurs, tout est un vrai délice pour l'accro au sucre que je suis !

— Si jamais tu as encore faim, il reste de tranches de pain dans le placard. Pour qu'elles aient un meilleur goût, mets-les quelques minutes au four, suggère Ali tout en s'éloignant de la cuisine pour rejoindre le salon, dont la décoration n'a pas changé depuis que je suis là.

Tous les matins, c'est la même chose, il vient me réveiller pour me dire que mon repas est prêt, puis nous nous posons ensemble autour de la table afin de le déguster. Ensuite, il part lire son journal dans son sofa, qui a perdu de sa couleur naturelle, face à la cheminée entourée de granite rose.

Après avoir fait le peu de vaisselle qu'il reste dans l'évier, je remonte dans ma chambre afin de finir de me préparer pour aller rejoindre mes amis à l'université. Très rapidement, je coiffe mes longs cheveux châtains dans un chignon peu travaillé.

En descendant les escaliers, je poursuis ma propre routine matinale. Un cadre, composé d'une photo de ma mère et moi-même, est posé sur le petit buffet de l'entrée entouré d'un tas de bougies de différentes tailles. Depuis sa mort, il y a maintenant six ans,  Papy Ali a fait de cet espace le mien.

Nous nous sommes soutenus pendant cette horrible épreuve, qui dure encore aujourd'hui, même si cela va beaucoup mieux par rapport au début. J'ai énormément de mal à oublier ce qu'il s'est produit, à passer à autre chose. Elle était mon tout, mon univers. Maintenant, Ali fait partie du mien et je l'en remercie tous les jours d'avoir croisé notre route, lorsqu'il se rendait à la sépulture de sa femme décédée d'un cancer du poumon.

Arrivée devant la photo, je la scrute attentivement et je lui dis intérieurement que je l'aime de tout mon cœur, comme j'avais l'habitude de le faire, quand je n'étais qu'une enfant. Puis, c'est au tour d'Ali, qui m'observe avec un regard attendrissant, d'obtenir un câlin.

— Bonne journée, rapporte un énorme poisson pour le repas de ce soir et je le ferais en papillote, dis-je à mon brave pêcheur.

— Fais attention à toi, mon poussin !

Sur ces bonnes paroles, je prends mon sac à main et c'est parti pour ma petite randonnée vers la fac. Depuis que j'ai perdu ma mère dans un accident, j'évite de m'approcher de ce maudit carrefour qui lui a pris la vie. Je n'ai plus jamais voulu monter dans une voiture ou même emprunté cette route, qui m'a offert cette vision d'horreur.

Ce détour rallonge mon trajet d'une bonne vingtaine de minutes, mais c'est au-dessus de mes forces. Voir ce carrefour, ces magasins, ces voitures qui roulent sans se douter que c'est à cet endroit qu'une femme est morte, me donnent la nausée. Mon corps en tremble de peur rien que d'y penser. Rien que le nom de ce maudit endroit me tétanise. 

Dans les songes de Kaelia [Terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant