Chapitre Un

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Le Message

Ce soir-là, j'avais le regard plongé dans le plafond de ma chambre, les pensées bercées par le silence de la maison. Cela me permettait de clarifier des idées auxquelles je n'eus pas le temps de réfléchir pendant la journée comme le fait que j'aurais aimé voyager l'été passé, histoire d'aller hors de limites de Gaya ; ou encore au fait que j'étais fiancé à une merveilleuse femme dont, soit dit en passant, j'ignorais quasiment la famille - d'une beauté remarquable tout de même. Pas faute d'avoir insisté, mais quelques questions à ces sujets, et Alicia se voyait vite mal à l'aise et me ressortait des réponses génériques. "Assez basique en fait" et " j'ai une famille asse normale en fait" étaient sûrement ses répliques favorites. Toutefois, ce petit mystère autour de cette femme m'attirait, me disais-je en continuant de fixer le plafond blanc.

Mais cette fois, ma quiétude quotidienne fut interrompue par les ''bips'' de mon portable sur ma table de nuit. Ces engins sont bien trop intrusifs dans nos vies aujourd'hui, trouvais-je sur le moment. Je pris donc la peine de sortir de mon lit pour consulter mon appareil. Sur l'écran de celui-ci, un message d'Alicia, disant courtement : « Edward, n'oublie pas ce que tu m'as promis. ». Je m'y attendais à celui-là. Connaissant ma fiancée, rien d'étonnant. Elle obtenait toujours ce qu'elle voulait. En tout cas, elle faisait tout pour. Cette fois, l'objet de ses désirs était une nouvelle maison pour qu'on s'y installe à deux. Rien que ça. « Hummph! les femmes ! » , m'exclamai-je. «Seulement trois ans qui s'écoulèrent depuis notre rencontre, et déjà quelle veut la vie commune.»

Bien qu'il fallait le dire, les choses évoluèrent très vite entre nous. Il n'y avait aucune hésitation dans nos choix. Alors pourquoi perdre du temps lorsque l'on est sûr de soi ? Aucun doute ne subsistait dans les sentiments que l'on éprouvait l'un pour l'autre, et ce, depuis le début de notre relation.
Quel âge devait-elle avoir ? Vingt ? Non, vingt-un an sûrement. Et moi ? Vingt-deux. Oui, comme elle était belle en ce temps-là, avec son regard bleu, tendre et profond, ses lèvres gracieuses et rosées, son nez affiné ; ce tout formait le visage métissé qui ne cessait de hanter mes pensées. Son corps ne manquait pas de formes généreuses et d'arguments auxquels je ne pouvais point résister.

Depuis lors, sa beauté n'a guère faibli, au contraire. Dans ses yeux se reflétaient constamment les vestiges des épreuves qu'elle a du traverser. Un reflet qui m'éblouissait chaque jour, un regard profond pour lequel jétais clairement prêt à tout, y compris trouver cette maison pour laquelle elle n'avait de cesse de me rabâcher les oreilles depuis longtemps !

Son message était destiné à bien me faire comprendre qu'il n'était plus question de remettre à plus tard.

En y repensant, je me dis que j'aurais dû acheter ce lit de deux places. Eh, oui, toute cette fameuse histoire de maison a subtilement commencé par la faute d'un lit :

« Choisis celui-ci, il sera parfait pour ta chambre.» me suggérât-elle en pointant du doigt un des lits du magasins où  nous étions, pour acheter de nouveaux meubles.

- Pourquoi donc ? Je vivrai seul dans cet appartement. Celui que j'ai est de taille "Queen". C'est largement suffisant. Elle plongea son regard dans le mien et me souffla :

- Oui, mais tu n'y dormiras pas seul. Et tu sais qu'on a besoin de plus d'espace quand on-...

- Sérieux ! C'est vraiment ca ton argument ?

-  Non, c'est un fait. Mon argument c'est que tu bouges beaucoup trop la nuit. Dormir dans ce lit augmente mes chances de me réveiller avec une commotion cérébrale, soupira t-elle en me tirant vers le lit.

- Humm! »

Je déportai alors mon regard sur ce fameux lit de taille "King", plus large en effet. Cette idée commençait à me sembler plutôt raisonnable. Cela ne m'aurait point gêné dans mes finances. Je m'avançais alors vers ce lit, comprenant le matelas, deux tables de nuit, faits dune boiserie blanche qui esquissait des fleurs, rendant le tout plutôt luxueux ; bref, l'assortiment au complet.
Mais aussitôt, je tâtais le matériau qu'Alicia me prit soudain le bras et me lança :

« Et puis non, laisse tomber ce lit. Nous le prendrons lorsque nous aménagerons ensemble. » toujours en souriant du bout des lèvres.

- OK ! M'empressai-je donc de lui répondre, je ne m'y attendais pas à celle-là.

- Comment ça, tu ne t'y attendais pas ? Bientôt trois ans que nous sommes ensemble, fit-elle en me dévisageant. J'ai l'impression que ca t'amuse vraiment, mais rappelle-toi que si on a toujours deux appartements différents, c'est seulement pour des raisons pratiques.

- Mais ? ...

- C'est décidé, on garde ton lit ! On pourra très bien s'y serrer la nuit si jamais devais rester chez toi. » dit Alicia en levant le bras, comme un signe de victoire.

Vivre séparément jusque-là ne me dérangeait pas vraiment. C'était plus comme avoir deux maisons.

Quand j'y repensais, je me rendais vraiment compte que tout cela était prévu de sa part. Sous ses airs naturellement timides, se cachait une fine calculatrice et j'en avais souvent fait les frais. Mais c'était également l'une des choses chez elle qui me plaisait chez Alicia. Cela m'amusait de voir quelle nouvelle magouille elle me préparait chaque jour.

Que tout cela soit calculé ou pas, il était désormais clair que la recherche d'une maison passait en priorité dans mes projets. Des recherches auxquelles elle devait bien sur participer. Toutes ces pensées dues à un seul message.

Le sommeil l'emporta heureusement et la quiétude reprit bien sa place dans mon esprit. Je laissai ce message sans réponse ce soir-là ; Alicia n'en attendait aucune. Réussir à me faire repenser à tout cela, elle avait accompli sa mission.

[ Au même moment sur lile de Gaya ]

« Peu importe ce que cela prendra, il faut que l'on finisse ce que notre famille a commencé depuis des siècles. Pour le bien de l'île. ». Voilà ce que venaient de décider ce groupe de personnes mystérieuses qui semblaient tenir entre leurs mains le destin de l'île entière. Ils avaient, par ces quelques mots, lancé une machinerie funeste dont personne ne soupçonnait l'existence.




Number 2030Where stories live. Discover now