Juste m'endormir avec toi

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Les plus mauvaises nuits (1990)

À peine allongée sur mon lit, je me sens déjà partir. Je ne peux empêcher mes paupières de se fermer ainsi que mon cerveau de passer en mode « nuit ». J'adore ce moment où je me sens bascule de la veille au sommeil, où mon corps se détend complètement, où les soucis ne sont plus. Surtout aujourd'hui alors que celle que j'aime est là, contre moi. Mél a accepté de rentrer avec moi, à la fin de nos cours, pour travailler. Nos examens sont dans quelques semaines, alors il est grand temps que l'on s'y mettre. Si nous n'avons pas les mêmes cours, travailler ensemble nous aide. Personnellement, l'avoir à mes côtés me pousse à travailler plus efficacement pour pouvoir profiter d'elle plus rapidement. Elle est ma véritable motivation. 

Mais là, j'ai avant tout besoin de sommeil. C'est Mél qui m'a fait remarquer que j'étais épuisée. Il est vrai que je travaille beaucoup en ce moment et le rythme de la fac est plus soutenu que je ne le pensais, mais ma passion pour la sociologie arrive à me faire tenir. Alors, avant de commencer mes révisions, je me suis autorisée une petite sieste. Trente minutes seulement ! 

Peu de temps après que je me sois allongée, Mél en a profité pour se glisser près de moi, tout contre moi. Sa prise d'initiative me procure un sentiment tellement étrange. Tout va si vite, et contrairement à ce que je l'aurais cru, j'adore ça ! Et je finis par m'endormir avec elle à mes côtés, le sourire aux lèvres, sereine. 

Lorsque Tes Yeux Noirs résonne dans ma petite chambre, je me réveille fraiche et étonnamment reposée. Je m'étire de tout mon corps et baille de plaisir. Lorsque je me retourne, mes yeux – noirs, eux aussi – tombent sur Mél, son crayon à la main. Assise sur ma chaise de bureau, ses cheveux sont remontés dans un chignon décoiffé. Je la trouve tellement jolie quand elle dessine.

« Bien dormi ? me demande t-elle en relevant son regard de son carnet de dessin.

- Super ! réponds-je simplement mais réellement détendue. 

- Et bien, moi, j'en ai profité pour travailler.

- Ah oui ? » demandé-je en me redressant.

Sans rien dire, elle me révèle le dessin sur lequel elle planche depuis une demi-heure et qui me laisse sans voix. Immédiatement, je comprends ce qu'elle vient de griffonner si parfaitement. Ou plutôt qui elle vient de griffonner. Je reconnais mon visage, mes cheveux courts, mon regard sombre. Je suis gênée, mais, au fond de moi, extrêmement touchée. Elle a également représenté mes défauts, ce que je n'aime pas chez moi, comme mon oreille gauche légèrement décollée et mon front trop large à mon goût. Elle ose et c'est cette audace que j'aime tant chez elle. Quand je tiens mon visage si réaliste entre les mains, j'en ai les larmes aux yeux mais les retiens. Par pudeur sans doute. 

Je me demande à quelle place doit se trouver une telle oeuvre : elle est magnifiquement bien réalisée puisque très réaliste, mais elle me représente moi. N'est-ce narcissique de s'afficher soi-même dans sa propre chambre ? Je décide finalement de l'accrocher au dessus de mon lit, au milieu de mes multiples posters d'Indochine. 

Une fois nos boissons chaudes prêtes, nous nous lançons enfin dans nos révisions. Et je me trouve étrangement efficace dans une période aussi chargée que celle de décembre. 

Après avoir révisé pendant quatre bonnes heures, nous décidons d'arrêter là. J'ai survolé la totalité de mes cours et y voit un peu plus clair sur ce qui m'attend. J'ai aussi eu le temps de synthétiser une matière complète. Effectivement, Mél est ma grande motivation. Comme récompense, nous nous allongeons, une seconde fois, sur mon lit si petit que je me demande comment nos deux corps font pour ne pas se toucher. Et nous restons là, un moment, dans cette position, sans se parler. Non pas que l'ambiance soit gênante et pénible, je profite simplement d'être auprès d'elle. Quand elle est là, tout est plus beau. Même le plafond vers lequel mon regard se perd devient plus attractif. 

Et elle ? À quoi pense t-elle ? Que ressent-elle à ce moment-là ? 

« Je ne savais pas que tu aimais autant Indochine, tu ne m'en avais jamais parlé, remarque Mél en me sortant soudainement de mes pensées. 

- J'ai tellement rencontré de détracteurs d'Indo que j'ai pris l'habitude de ne plus en parler spontanément, réponds-je brièvement.

- Pourtant on dirait que ça prend une place importante dans ta vie, creuse Mél.

- Oui c'est vrai. Ça va même plus loin, ils font complètement partie de moi, avoué-je en mettant mes mains derrière mon crâne en guise de coussin ou de rehaussement de tête. Mais ça aussi, tu vois, j'évite d'en parler, parce qu'on est souvent pris pour des fous extrémistes, nous, les fans d'Indochine, me justifié-je de mon silence en affichant un léger sourire qu'elle ne peut pas voir.

- Mais moi, tu peux tout me dire, me rassure t-elle en se retournant sur le ventre pour me regarder.

- Ok, alors écoute ça », conclue-je en bondissant du lit.

J'attrape mon enceinte nomade que je connecte à mon téléphone portable et me voilà partie vagabonder dans ma playlist « Indochine », à la recherche d'une chanson qui pourrait faire battre le cœur de celle qui fait battre le mien. Les vieux albums sont éliminés d'offices. Je ne suis pas certaine que Mél saura apprécier ce son électro et froid, ainsi que la voix maladroite de Nicola à l'époque. J'ai décidé de ne pas choisir une chanson très connue. Bien que je savoure chaque écoute de « J'ai demandé à la lune » ou « Canary Bay », je ne veux pas qu'elle croie qu'Indochine ne se résume qu'à ces hits. Non, ce groupe représente bien plus que ça, et ce soir, je veux lui prouver. Mon choix se porte finalement sur « Paradize ».

Lorsque je lance la musique, les premières notes du synthé résonnent dans mon enceinte trop petite et trop vieille pour nous faire percevoir toute sa beauté. J'observe déjà le visage de Mél pour y déceler une quelconque émotion et pensée, sans succès. La voix grave et envoutante de Nicola suit rapidement. La guitare très rock aussi. Je ressens déjà des frissons parcourir tout mon corps. C'est ça, l'effet Indo. Mais apparemment, il ne fonctionne pas chez Mél. Je le vois à sa posture qui n'a pas bougé depuis le début. Quand on aime Indochine, ça se voit, tout notre corps vibre et ne peut s'empêcher d'extérioriser toute cette tension.

Alors, sans attendre son avis, je saisi mon portable, m'assois sur ma chaise de bureau et retourne dans ma playlist favorite. Pour mon deuxième essai, je me tourne vers un style beaucoup plus doux, peut-être plus dans les goûts de Mél : « Les plus mauvaises nuits », la version des Nuits intimes

Cette fois-ci, la voix de Nicola est plus jeune, mais plus posée. Elle s'accorde parfaitement avec la mélodie jouée au piano. Le minimalisme de la musique est parfait, seulement une voix et un piano. Tout est aéré, aérien, magnifique et tellement délicat.

Si je laisse Nicola chanter seul les premières phrases, je ne peux m'empêcher de le rejoindre, avec une certaine faiblesse. Je murmure, simplement pour ne pas gâcher cette chanson que Mél découvre pour la première fois. Mél qui jusque là était assise sur le bord de mon lit, se lève et me rejoint. Elle s'accroupit près de moi, pose sa tête sur l'une de mes cuisses qu'elle caresse en même temps. Et nous restons là, un moment. Nous aimons ce genre de pause. Comme si elles nous étaient utiles pour assimiler, profiter pleinement, ancrer en nous ces sensations si agréables.

On aurait disparu, conclue Nicola. 

Ma Seconde Naissance [PAUSE]Where stories live. Discover now