Tu m'apprendras que mon heure est grave

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Adora (2005)

« Et moi, je prendrai la pizza végétarienne sans fromage, s'il-vous-plait, demandé-je en tendant la carte du menu au serveur.

- Sans fromage ? me questionne Annie une fois que nous nous retrouvons toutes les deux.

- Oui, j'ai changé d'alimentation il y a maintenant... et bien un an et demi à peu près ! expliqué-je après un rapide calcul. J'étais végétarienne depuis un paquet d'années, mais j'ai décidé de passer au végétalisme quelques mois après avoir pris conscience de mon homosexualité.

- Tu fais un lien entre ces deux changements ? me demande t-elle en sirotant son cocktail très coloré.

- Ah oui, c'est évident ! Moi, j'ai vécu ma différence si difficilement que je ne peux plus supporter quelconque abus ou rabaissement de l'autre sous prétexte qu'il n'est pas comme toi, vous comprenez ? J'étais rejetée pour mon orientation sexuelle. Pourquoi certains le seraient pour leur couleur de peau, leur sexe, leur espèce ? L'homophobie, le racisme, le sexisme, le spécisme ; tout ça, c'est un seul et même combat, pour moi.

- Je comprends ta manière de penser. Tu as tellement souffert que tu ne veux plus que personne d'autre souffre sans raison valable, interprète t-elle.

- Voilà, c'est ça ! C'est exactement ça ! » m'exclamé-je.

Nous restons silencieuses jusqu'à ce que nos plats arrivent. Un certain malaise s'installe. Enfin, émerge en moi, parce que je doute qu'Anne ait le même ressenti. En vérité, je ne sais pas comment parler de ce que je ressens, je me rends compte que je n'ai jamais dit à voix haute tout ce qui se passe à l'intérieur de moi. Mais comme tout bon psychologue, Annie le sent j'imagine, puisqu'elle me demande :

« Alors, comment tu te sens depuis la dernière fois ?

- Je... hum... ça va. Enfin, je ne sais pas trop.

- Tu veux qu'on en parle ? On est pas obligées de le faire maintenant si tu sens que ce n'est pas le moment. C'est ok pour moi et ça doit l'être pour toi.

- Je ne sais pas par quoi commencer, ajouté-je honteuse. Je... je sens qu'il y a un problème en moi. Je croyais avoir mis le doigt pendant notre thérapie, mais il reste encore quelque chose.

- Quelque chose ?

- Ça concerne vraiment ce que je suis au plus profond de moi. C'est la manière dont je me définis, dont je me perçois. C'est assez étrange.

- Tu as déjà trouvé des mots plus précis pour exprimer ça ?

- Oui... j'ai... rencontré des personnes qui expliquent à merveille ce que je vis. C'était même incroyable. C'est comme si tout s'éclairait, que tout devenait limpide. Mais je... je ne sais pas, j'ai du mal à me familiariser avec le terme que ces personnes utilisent pour se définir, dis-je avant de marquer une pause. Elles parlaient de... de transidentité, mais je...

- Tu saisis pourquoi tu as autant de mal avec ce mot ? Il te renvoie quelque chose de particulier ?

- C'est vrai, je... ah, c'est affreux.

- Tu peux tout me dire, je peux tout entendre, me rassure t-elle en baissant encore un peu plus la tonalité de sa voix.

- Je... j'ai l'impression de ne pas être légitime. Je sais pas... je n'ai pas l'impression de faire partie de cette population.

- Pourtant, au fond de toi, tu ne te sens pas véritablement une fille ?

- Non... pas vraiment. »

Ma Seconde Naissance [PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant