L'amour nouveau qui est tout là-haut

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La chevauchée des champs de blé (1987)

Pendant que j'entame péniblement mon rituel du matin, je me fais face dans le miroir et tente d'évaluer mon corps nu.

Beauté : 0
Harmonie des formes : 0

Rapidement, mon regard se détourne de dégoût. Aussitôt, je me couvre des vêtements qui me tombent sous la main, avant de trouver mieux. Je me détaille à nouveau, hésitante, mais rassurée d'avoir dissimulé ce que je hais tant. 

Puis, une pensée en entrainant une autre, je me perds en moi-même. Soudain, je me surprends à constater que je ne parviens pas à me comprendre totalement, que je n'arrive pas à cerner ce qui ne va pas chez moi. Je me défie du regard, comme si mon reflet savait des choses que je ne sais pas encore. Comme si, inconsciemment, j'avais déjà connaissance de mon problème, mais que je ne n'étais pas prête à l'accepter.

Et en me regardant, je distingue une émotion plutôt déplaisante sur mon visage. Ce n'est ni de la tristesse, ni de l'inquiétude. Peut-être une forme de lassitude, comme si le spleen baudelairien m'avait frappée ?  Finalement, à bien y réfléchir, je semble constamment prise d'une mélancolie indéfinissable. D'un certain pessimisme par rapport au monde, à l'avenir, vis-à-vis de moi-même. June me le dit souvent d'ailleurs, mais rien d'étonnant pour une fille qui rayonne de bonheur. Vraiment, elle porte la joie de vivre sur elle, dans sa manière de se tenir et elle la diffuse à tous ceux qui croisent son chemin. Et comme on dit que les meilleures relations ne peuvent l'être que si les deux personnes sont complémentaires, il n'est pas étonnant que je sois comme je suis. 

Ce qui est plus désolant, c'est que j'ai cette impression que je resterai éternellement incomplète, que je continuerai de vivre, d'être heureuse et triste parfois, tout en ressentant ce manque en moi. Cette gêne. Cette non-évidence. 

Mais là, j'essaye de mettre toutes ces pensées négatives de côté avant qu'elles ne me pourrissent définitivement la journée : celle que je vais passer avec Mél.

Ah, Mél ! June avait raison, elle m'attire bien plus que ce que je voulais y croire.

Incapable d'avaler quoi que ce soit tellement je sens mon estomac se tordre d'appréhension, je sors de chez moi le ventre vide et la tête pleine de questions. C'est idiot, mais officialiser un rendez-vous, le définir comme "galant", rend les choses plus particulières, plus impressionnantes.

Si le temps est trop frais et agresse les parties nues de mon corps, prendre l'air me fait du bien. Je marche jusqu'à l'Esplanade et m'assois sur un des bancs qui me permet d'être réchauffée par les quelques rayons tièdes du soleil. Comme toujours lorsque j'ai un peu de temps devant moi, je me concentre sur ma respiration. Inspire, expire, inspire, expire. Cette technique, je l'ai apprise de ma psy, quand j'étais au lycée. Depuis, j'ai gardé cette habitude de faire régulièrement quelques exercices de respiration, ne serait-ce que trois minutes. Immédiatement, je sens l'effet calmant de la méthode. Cela me permet de me sentir mieux, paisible. Et surtout, d'être capable de me supporter. Et ça, c'est un grand pas !

Lorsque j'aperçois Mél au loin, mon cœur s'accélère presque aussitôt, ma respiration jusqu'alors régulière se coupe et mes jambes se raidissent. L'énergie de mon corps ne se répartit plus de la même manière lorsqu'elle est là. Mais c'est sans doute grâce à ça que je trouve la force de me lever et de me diriger vers elle.

Je ressens ces fameux papillons à l'intérieur de mon ventre, mais cette sensation délicieuse laisse trop rapidement place à un malaise. J'ai à présent une boule dans la gorge. Je tire sur mon manteau comme si je voulais qu'il devienne soudainement plus long, qu'il me cache encore un peu plus. Parce que je me sens soudainement bête avec ce corps que je trouve si dissonant. Elle, elle est magnifique. De quoi j'ai l'air, moi, à ses côtés ?

Lorsque l'on se retrouve enfin, mes inquiétudes s'envolent. Le naturel surgit très rapidement ente elle et moi. Je sens que je me détends.

Nous marchons, les pieds gelés, à travers les rues étroites de Metz. Nous parlons, sans arrêt. Et surtout, nous rions.

Au bout d'un certain nombre de minutes et d'heures que je ne parviens pas à dénombrer, nous nous installons sur un banc, Place de la Comédie, à côté de l'Opéra-théâtre.

Après un long moment où nous sommes restées là, à contempler cette place, Mél brise le silence :

« L'été, cette place est magnifique.

— Elle a aussi son charme en hiver, remarqué-je.

— Il me manque la neige » dit-elle comme si quelques flocons pouvaient tout changer.

Puis nous restons là, encore un moment. Moi, je continue de l'observer, de la détailler entièrement, comme si je voulais ancrer cet instant dans ma mémoire.

Me prends alors soudainement l'envie de l'embrasser. Mais j'expulse immédiatement cette idée dingue de ma tête. Je ne sais pas si c'est parce que j'ai peur de sa réaction ou parce que je suis trop timide. Sûrement un mélange des deux.

Je me dis alors que lui prendre la main serait déjà un bon début. Surtout que je meurs d'envie d'avoir un contact physique avec elle.

Sans même y penser plus longtemps, ma main se dirige vers la sienne, posée sur sa cuisse. Nos doigts s'enlacent pendant que Mél m'adresse un sourire. Celui qui rassure.

Et puis, comme si le ciel l'avait entendue, quelques flocons s'écrasent sur nous. Elle avait raison, ils rendent ce moment encore plus beau.

À bien y réfléchir, si je me sens toujours aussi incomplète, là, à cet instant, je m'en fiche. Parce qu'en dépit de tout, je me sens bien. 

Ma Seconde Naissance [PAUSE]Where stories live. Discover now