Chapitre 2 : Suite 3

Depuis le début
                                    

Nous échangeons rapidement sur l'objet de notre inquiétude, nos hommes. Eldicha me propose d'aller nous laver à l'étang avant d'entamer nos investigations dans le village et ses alentours.

Dehors le village est très silencieux compte tenu de l'heure avancée de la matinée pour nous, travailleurs de la terre. Cependant certains abus bien heureux de la veille peuvent avoir eu raison de l'énergie de bon nombre d'entre nous !
Nous arrivons à l'étang où nous nous lavons sans croiser quiconque. L'eau y est fraîche et a l'avantage de nous revigorer un peu après cette nuit troublée.

En dépit du soleil généreux que nous offre cette matinée, nous sentons que l'hiver subsiste encore en ce début de printemps, parles doux frissons ressentis à la caresse du vent. Taraudées par le tourment, nous nous empressons de nous rhabiller pour retrouver la maison Héda telle que nous l'avions quittée plus tôt, endormie et vide des présences de nos conjoints. Après nous être assurée de la tranquillité de Lienne, Eldicha et moi nous astreignions à l'interrogation de nos voisins sur les événements de cette nuit. Au bout de trois fastidieuses et infructueuses heures, nous rentrons au domicile familial où Lienne nous attend, le fil de ses pensées noyé dans la tasse de tisane à la verveine qu'elle enlace fébrilement de ses mains. Eldicha se lance dans la préparation de notre repas où notre menu sera composé d'une omelette d'épinards.

- Avez-vous pu vous reposer ? M'enquis-je auprès de ma belle-mère.
- Je suis désolée mes filles, articula-t-elle malgré l'étranglement qui nouait le fond de sa gorge, je n'ai aucune idée d'où sont nos hommes...Je me sens tellement désemparée ! Je ne supporte pas d'être dans l'ignorance et l'incertitude quant à leur bien-être !

Ces quelques mots finissent en un sanglot éploré auquel nous ne sommes pas insensibles. J'entends Eldicha renifler la plus discrètement possible ses larmes. Nous sommes toutes anxieuses à l'idée qu'il ai pu leur arriver malheur, sans en prononcer les mots. Je m'attache aussi à contenir mes émotions malgré le sel qui brûle mes cornées et ma gorge irritée de crispation. Le but étant de ne pas plonger notre famille dans un flot de désespoir. J'ai besoin de m'occuper pour tenter de penser à autre chose, et m'impose de dresser le couvert pour le repas quand le bois de la porte d'entrée résonne de trois coups secs et rapprochés.

En moins de temps qu'il ne faut pour le dire, Lienne ouvre notre porte. Un homme d'une trentaine d'années se présente :

- Bonjour, êtes-vous Madame Héda ?
- Oui, répondit-elle prestement.
- Je suis le capitaine des patrouilleurs, Sijah Haukih. Puis-je entrer un instant ? Je souhaiterais m'entretenir avec vous au sujet des hommes de votre maison.
Il n'en fallait pas davantage pour ma belle-mère qui l'invita immédiatement à occuper l'une des chaises autour de notre table à manger.
- Je ne resterai pas longtemps Madame Héda, je vous remercie.
Une fois la porte close par Lienne, elle prit place sur l'une des chaises,attentive au moindre mouvement de notre invité. Il ramasse sur son avant-bras gauche la cape verte de son armure, ôte son casque qu'il porte désormais sous son bras droit, puis reprend la parole :

- La nuit dernière nous étions missionnés au château Olona pour une affaire de troubles à l'ordre public qui incriminait votre mari et ses fils avec un homme répondant au nom de Fradaë Letro...
- Quel immonde bâtard j'en étais sûre ! Vociféra Eldicha avec rage.
Après un court temps d'arrêt, le capitaine reprit :
- Bien, j'en déduis donc que vous connaissez ce individu, que pouvez-vous me dire à son sujet ?
- Le seul sujet qui m'intéresse moi c'est ma famille capitaine ! Commencez dont parme dire où est mon époux, mon beau-père et mon beau-frère ! Ensuite vous aurez réponses à vos questions ! Poursuivit-elle sur le même ton.
- Madame, est-il vraiment utile que je vous rappelle à qui vous vous adressez !
Le silence se fit. Les larmes roulèrent sur les joues de ma sœur et amie qui partit en courant se réfugier dans sa chambre.
- Excusez-la capitaine, elle est très secouée, comme nous autres, de ne pas savoir où sont nos hommes. Ils sont partis tôt dans la nuit à la poursuite des hommes qui nous agressés. Répondis-je.
- Racontez-moi, je vous écoute.
- Et bien...Nous dormions lorsque nous avons été réveillés par un bruit de verre brisé puis le cri de ma belle-soeur. Nous sommes tous arrivés paniqués dans leur chambre, où la fenêtre a été vandalisée et avons vu au sol un coq mort. Un coq noir. Nos hommes sont donc instamment partis à la poursuite de nos agresseurs et nous n'avons eu aucune nouvelle d'eux depuis. Il devait être une heure du matin je dirais.
- Bien. Avez-vous une idée de la raison de cette menace ?
- Maintenant que vous avez prononcé le nom de M. Letro oui.
- Que s'est-il passé ?
- Dois-je tout vous raconter ?
- C'est dans votre intérêt madame, dit-il d'un regard suspicieux et réprobateur. Vous avez quelque chose à vous reprocher ?
- Moi non, mais voyez-vous...Je suis embêtée cela incrimine des personnes proches de moi. Lienne que me conseillez-vous ?
- Assez ! Je vais répondre. Coupa Lienne. Nous avons le devoir de dire la vérité. Où que nous soyons ma fille, Ttocs nous juge !
J'ai honte. Me faire ainsi reprendre telle une enfant ! Je ne peux m'empêcher de baisser les yeux en signe de respect et de soumission. Ma belle-mère résuma :
- Comme vous le savez, hier avait lieu de le Bal des Unions. Les parents de ma belle-fille ici présente, avaient prévu de la marier à M. Letro Fradaë, un fils de fautive récemment sortit du couvent de Keiff. Je dois vous préciser qu'il est issu d'une des familles les plus aisées de notre village. Sur ce principe, ils ont organisé une entrevue afin de trouver une entente sur le montant de la dote. Cleynénia refusait d'enfreindre la loi et refusa en bloc mais ses parents ne s'en préoccupait pas un instant ! Lors de la cérémonie elle a choisit mon fils cadet Téphe. Autant vous dire que la soirée a été mouvementée. Téphe s'est d'ailleurs battu avec Fradaë qui l'avait pris par surprise en le frappant à la tête et le laissant pour mort. Ce dernier a ensuite reçu un coup de la part du père de ma belle-fille quand il l'a frappée.
- Pardon de vous interrompre madame mais, pourquoi n'avoir fait aucun signalement à la brigade ?
- Il n'y avait aucune brigade ce soir là capitaine. Je suis étonnée que vous ne le sachiez pas.

Un court silence pesa dans la pièce. Le capitaine Haukih affichait un visage crispé entre colère et réflexion.

- Je vous remercie pour ces informations madame Héda...

Il prit un moment avant de poursuivre, visiblement gêné :

Malgré quelques traces de coups, vos fils se portent bien. Ils ont été incarcérés par la milice royale et font actuellement route vers Heyméa...

Au son de nos cris étouffés il reprend aussitôt :

- Mesdames....S'il-vous-plaît ! J'ai le regret de vous informer que M. Héda Plore est décédé. Je vous présente toutes mes condoléances.

Il partit aussi solennellement qu'il était venu. Dévastée par le chagrin, Lienne est à présent couchée à terre, recroquevillée sur elle-même, égosillant encore un « non » sans fin. Je n'ai pas la force de bouger pour l'aider à se relever. Dans ma tête les pensées vont et viennes en un grand tourbillon brumeux. Je refuse de croire ce qui vient de nous être annoncé. Téphe...Toutes les bribes d'images sur lesquelles mon cerveau s'attarde tournent autour de lui. Je me remémore ses traits, son odeur, sa voix, ses mimiques, ses passions. A cet instant tout en lui me manque comme jamais je ne l'aurais imaginé. Je suis désorientée, perdue entre rêves et réalité. Je donnerais tout pour être à nouveau auprès de lui, là, tout de suite. Un écho dans ma tête répète sans cesse « Non, non, non, non, non... ». Pourtant je sais bien que la réponse est « Oui ». Je l'ai perdu...Je m'en veux d'avoir eu des pensées colériques à son égard pour cette nuit. Je veux qu'il revienne. Il constitue à lui seul le noyau de ma famille, mon centre de gravité. J'entends un bruit de pas sourds. Tous les sons sont étouffés par les battements en constante accélération de mon cœur. En plus de mes pensées, de mon ouïe, l'air vient à s'échapper de mes poumons. « Cley ! »...On m'appelle ? « Cleynénia ! ». Je réalise que je ne vois plus rien. Si dans ma tête les images défilent à grande vitesse, mes yeux quant à eux ne perçoivent plus rien. Tout est noir, je ne sens plus mon corps...Puis c'est tout mon être qui échappe à la réalité. Je m'effondre.

Les Sphères d'Ebesse                               Tome 1 - Épées forgéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant