Moi je te promets une belle histoire

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Quand vient le moment de retirer mon pantalon, je décide de m'asseoir sur le banc pour me cacher un maximum : là, elles ne pourront pas voir mes hanches trop larges, trop disgracieuses. J'enfile rapidement mon pantalon de sport, lace mes baskets et sort sans même les regarder. Envisager qu'elles aient pu me voir me déstabilise, alors croiser leur regard serait bien trop difficile pour moi.

Ce soir, je vais surtout travailler mes abducteurs dans l'espoir de, justement, faire disparaître cette masse en trop au niveau de mes hanches. Les voir affinées et raffermies me ferait tellement de bien, j'en suis convaincue.

La salle n'est pas bondée, pas mal de machines sont disponibles ; c'est parfait ! Motivée, je me dirige donc vers le tapi de course d'abord. Je commence par une marche rapide pour m'échauffer, me dérouiller ; puis augmente la vitesse à laquelle le tapi se déroule. Ma respiration s'accélère, mon cœur tape plus fort, je suis parfaitement concentrée. Et ça me fait du bien.

Mes écouteurs à présent enfoncés dans mes oreilles, je change de machine. Je me sens comme dans une bulle qui me protège de tout. La musique a cet effet rassurant chez moi. Je ne suis plus aussi vulnérable. Sans doute parce que je me sens peut-être un peu plus comprise, parce que l'on me chante ce que j'ai toujours eu du mal à exprimer moi-même. À cet instant, le grand Bowie hurle au plus près de mes tympans, comme s'il était là, juste à côté. Mes muscles se durcissent, mes mouvements sont plus rapides, ma respiration s'accélère. Trop de pulsion en moi que j'ai besoin d'extérioriser. La musique me le permet. Le sport aussi. Alors je me défoule, je me déchaine sur cette machine de muscu'. Maintenant, je ressens en moi une puissance, une rage impressionnante. Je prends conscience que c'est grâce à Nicola que je connais David Bowie. Je me souviens de cette interview, en 2012, où il admettait que leur chanson « Troisième Sexe » n'aurait jamais vu le jour sans cet homme qui l'a foncièrement inspiré. C'est là que j'ai eu la curiosité de me frotter à l'univers de Bowie. Et je n'ai jamais pu m'en défaire.

This chaos is killing me

So bye bye love

Mon corps ne s'arrête pas, mais mon esprit, lui, est distrait par ces paroles. Ces mots qui m'impactent dès qu'ils sont prononcés, avant même que mon cerveau ne les comprennent réellement. Ces phrases qui me font mal. Parce que, en moi, c'est le chaos le plus total. Et dois-je donc réellement renoncer à l'amour ? Lui dire bye bye ? Dire au revoir à Mél ?

And I want to be free

Et je me mets à pleurer. Comme une enfant. En plein milieu de cette salle remplie de gens, pour qui, heureusement, je ne suis qu'invisible. Finalement, n'y aurait-il pas qu'un pas entre colère et tristesse ? La colère ne serait-elle là que pour masquer un grand désespoir ?

Je m'arrête immédiatement, me retire de la machine et essuie violemment les larmes avec le dos de ma main. Je me dirige vers les vestiaires, tête penchée et regard baissé, pour récupérer mon sac avant de partir. Lorsque je manque d'entrer en collision avec quelqu'un, je m'excuse profondément avant de voir qu'il s'agit d'Ambre, qui se contente de me répondre par un sourire. Toujours dans les parages celle-ci...

Revoir Ambre me fait un drôle d'effet. Sa franchise et sa spontanéité digne d'une enfant de cinq ans me mettent à l'aise, il faut le dire. Je n'aime pas être mise à nue, comme elle l'a fait l'autre fois. Peut-être que, le jour où je serai réellement à ma place, je pourrai m'accepter complètement et supporter ce genre de personnes imprévisibles. Mais alors, qu'elle m'adresse ce sourire, aussi léger soit-il, me déstabilise soudainement. Je suis toujours un petit peu mal à l'aise lorsqu'une fille autre que Mél me regarde, me sourit.

Immédiatement, mes pensées m'emmènent jusqu'à elle, jusqu'à notre dernière soirée passée ensemble ; le malaise s'intensifie alors. Je me souviens du désir brûlant dans ses yeux, de ses caresses délicates qui me déchiraient plus qu'elles ne m'excitaient, de sa paralysie suffocante devant mes pleurs qui ont suivis. Et tout s'est arrêté, comme ça, d'un coup. Je me suis relevée à mon tour, ai ramassé mes vêtements éparpillés sur le lit et me suis assise au bord du lit. Le regard dans le vide, les larmes prêtes à jaillir, j'ai tenté de me rhabiller, de cacher ce corps aussi vite que possible. Quand Mél a posé sa main sur mon épaule – sans doute un geste de réconfort – je l'ai violemment repoussée et lui ai murmuré « on n'en parle plus, jamais » avant de me lever et de sortir de cette chambre trop oppressante.

Voilà bientôt une semaine d'écoulée et nous n'en avons effectivement pas reparlé. D'ailleurs, nos échanges restent très brefs, nos conversations plutôt vides. Ça me déchire tellement de la voir se distancer de moi comme elle le fait. Mais je dois bien admettre que je ne suis pas un cadeau, loin d'être une fille facile à vivre.

Mél, je m'attacherai à toi pour que tu ne t'envoles pas, me dis-je à moi-même.

Je me surprends alors, une fois sortie de mes pensées,à tirer sur mon T-shirt. Au moment où cet épisode me revient en mémoire, j'aila sensation de faire un bond dans le passé et de revivre l'instant. Et là, jene peux que maudire ce foutu corps qui me fait tant de mal.     

Ma Seconde Naissance [PAUSE]Where stories live. Discover now