Tu m'apprendras que mon heure est grave

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Je mords enfin dans ma première part de pizza qui est délicieuse. Le chaud des légumes me fait du bien. Pas assez pour être un réconfort à ce moment précis.

Il est clair que je ne me sens pas fille à l'intérieur de moi. Mais est-ce que, pour autant, je peux dire que je ne suis pas une fille ? Est-ce que je peux nier le sexe indiqué sur ma carte d'identité, rejeter ce que mon corps me renvoie ? Et si je ne suis pas une fille, qu'est-ce que je suis alors ? Un garçon ? Ou quelque chose entre les deux ?

Pire, peut-être que je ne suis rien.

Je garde ces réflexions pour moi, elles ont encore besoin de murir doucement à l'intérieur de moi.

La fin du repas se passe bien. Annie sait trouver les mots justes pour m'apaiser et pour me faire prendre du recul. Là, elle tente de m'alléger de ma culpabilité ou de mon angoisse, je ne sais pas trop, en me disant qu'il n'est peut-être pas urgent d'identifier mon malaise immédiatement. Selon elle, je dois me laisser du temps et me faire confiance : je parviendrai à accéder à la vérité, à ma vérité, en temps voulu.

Au moment de l'addition, Annie insiste pour m'offrir ce repas. « Tu me payeras un café la prochaine fois », dit-elle tout sourire, tout en tendant sa carte bleue.

Nous nous promettons donc de nous revoir très vite et nous séparons.

Sur le chemin, je réfléchis à ce que je viens d'extérioriser et suis maintenant persuadée que je ne peux pas garder tout cela pour moi. Mél a le droit de savoir. Et moi, j'ai besoin de partager ça avec elle. Lorsque cette pensée m'arrive, mon ventre me brûle. Un mélange d'excitation et de peur.

Lorsque j'entre dans l'appartement, Mél lève immédiatement les yeux de son ordinateur et me sourit.

Je retire mon manteau et mes chaussures avant de m'avancer vers elle pour l'embrasser. Un baiser sur le front pendant qu'une main caresse son dos. Un petit geste de soutien pour cette grande bosseuse qui ne rompt jamais. Elle m'impressionne d'être toujours au top. Surtout depuis qu'elle a son job. Elle m'épate encore plus. Finalement, peut-être que ce n'est pas tant de la déception que j'ai ressentie quand elle m'a appris qu'elle avait été embauchée, peut-être suis-je... jalouse ? Jalouse qu'elle puisse faire autant de choses pendant que moi je galère pour mes examens.

« Courage ma chérie ! la motivé-je lorsque je me rends compte qu'elle travaille sur un cours qu'elle déteste. Je m'occupe du repas de ce soir. »

L'après-midi, nous ferons nos petites affaires chacune de notre côté. C'est l'avantage d'habiter ensemble ; même lorsque l'on fait des choses pour soi, on est avec l'autre. C'est rassurant de sentir sa présence. La contrepartie est que, si je veux écouter Indochine, je branche mes écouteurs.

Dans l'après-midi, pendant notre pause-thé (café pour elle), je sens que c'est le moment de tout dire à Mél :

« J'ai quelque chose à te dire, lâché-je d'un coup pour que mon cerveau n'ait pas le temps de faire marche arrière.

- Dis moi, dit-elle tout en continuant à ranger la vaisselle qu'elle a utilisée pour son déjeuner.

- Je... je crois que je veux devenir un garçon.

- Comment ça ? s'exclame t-elle en se retournant vers moi, réellement surprise.

- Oui... je...

- Non mais attends Axelle. C'est débile, dit-elle en souriant, comme si elle répondait à une blague. Tu es une fille, tu ne peux pas devenir un garçon. T'es juste un garçon manqué.

- Je ne plaisante pas, réponds-je sèchement en soutenant son regard pour appuyer la véracité de mes propos.

- Mais tu... tu ne peux pas être un homme. Axelle, soit sérieuse ! Je sais que beaucoup de filles disent ça parce qu'ils sont moins emmerdés que nous, pas de règles, pas d'accouchement, dit-elle comme si c'était elle qui détenait la vérité sur mon identité.

Ma Seconde Naissance [PAUSE]Where stories live. Discover now