Ambigüe jusqu'au fond des yeux

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Je me suis toujours sentie différente. Un peu à part. Avant, je courais sans arrêt après cette bizarrerie pour comprendre qui elle était, où elle se trouvait, pourquoi elle existait. Je passais chacune de mes caractéristiques en revue jusqu'à ce qu'une me paraisse pertinente. Mais, chaque fois, je n'étais pas satisfaite. Cette "chose bizarre" que je parvenais à identifier ne me permettait pas, finalement, d'expliquer ce mal-être que j'avais en moi. J'ai fini par me convaincre qu'il s'agissait de l'adolescence et que je devais me résoudre à patienter. Attendre que passe cette mauvaise période que nous devons tous traverser.

Puis les années ont passé. Le mal-être ne faisait qu'occuper une place plus importante encore. Dès que j'ouvrais les yeux, après une nuit toujours agitée par des rêves morbides et entrecoupée de crises d'angoisses, je sentais cette douleur encore plus profonde. Alors à mes 14 ans, pour la première fois, j'ai mis les pieds dans une structure remplie de personnes qui « sont là pour t'aider », m'avait expliqué ma mère. C'est là que j'ai rencontré Madame Marchal. Cette psychologue qui m'a permis de me réapproprier mon histoire, ce que je vivais, de prendre conscience de ma façon d'appréhender le monde, de mettre des mots sur des peurs et vérités inconscientes qui m'habitaient depuis toujours. Au fur et à mesure de nos rendez-vous, mes défenses et idées préconçues tombaient, les unes après les autres. Je sentais que tout devenait alors plus clair. Que j'avais enfin accès à ce qui s'agitait au fond de moi, à ce qui demandait à sortir. 

Tout ce que j'étais – ce que je croyais être – s'effondrait, petit à petit. Quand je l'avais expliqué comme tel à la psychologue, elle m'a répondu, qu'ici, le but était effectivement de déconstruire ce qui était douloureux et insupportable, pour ensuite tout reconstruire. L'apaisement viendrait dans un second temps. En attendant, réfléchir à moi-même serait difficile, mais elle était là pour me soutenir, pour m'accompagner dans cette quête de moi-même.

Quand le moment est venu de me regarder vraiment, sans avoir peur de ce que j'allais trouver, Indochine a été là pour m'apporter des réponses. Les réponses qui m'ont véritablement sauvée. J'en étais arrivée à un moment où je ne pouvais plus rien supporter de plus, où le moindre négatif de la journée était de trop, où la vie me devenait insoutenable, incohérente, insignifiante. Les paroles d'Indochine me sont alors apparues comme étant si particulières. J'avais la sensation que je pouvais enfin les comprendre.

Indochine et Madame Marchal ont fait un véritable travail collaboratif. Sans l'un ou l'autre, je ne serai jamais parvenue à cette conclusion. La musique m'a fait voir les réponses après que la psychothérapie m'ait permis d'y être réceptive.

Certaines phrases me parlaient, dorénavant. Elles expliquaient, au-delà de ma sexualité, mon rapport au monde, ma manière d'être avec les autres, d'être avec moi-même.

Tout au long du concert, June et moi ne pouvons retenir notre fanatisme : on laisse échapper des « Oh mon dieu », « Putaiiiiin ! », « Oh la la la la » sans doute trop forts pour mon voisin qui tambourine à plusieurs reprises dans le mur. C'est ça, de vivre en chambre étudiante. Si, d'habitude, je me serai emportée, là, avec June, ça me passe au-dessus. Je sais que, bientôt, dans un futur plus ou moins proche, j'aurai mon appartement.

Je crois le faire péter un plomb quand, sur l'Aventurier, je m'égosille la voix en chantant en duo avec June les paroles mythiques qu'on a mis pas mal de temps à comprendre et à retenir.

« J'ai tellement hâte de les revoir, me dit June lorsque le groupe quitte la scène en saluant son public. 

— Et moi alors ? Je n'attends que ça, vraiment, avoué-je.

— Il nous reste encore... 1, 2..., commence t-elle à compter.

— Il nous reste exactement un mois et dix-sept jours, June.

— Tu fais le décompte tous les jours ou quoi ? se moque t-elle.

— C'est à peu près ça !

— Bon, je vais te laisser ma belle. J'ai une grosse journée qui m'attend demain.

— Oh je ne vais pas te retenir alors, m'excusé-je à moitié. Moi je passe l'après-midi avec ma pote Mél. On va faire un tour en ville.

— Ta pote... , répète t-elle pour me témoigner son doute quant à la justesse de ce terme.

— Oui, ma pote. Pourquoi ?

— Attends, tu veux me faire croire que tu vas t'obliger à sortir en ville, donc j'imagine pour faire les magasins, juste pour une pote ? Même moi j'ai du mal à te décider, dit-elle le sourire aux lèvres, semble t-il.

— Ben... C'est vrai qu'on s'entend bien, mais voilà.

— Avec tout ce que tu me dis sur elle depuis un moment, on ne me la fait pas ! « Mél est trop belle », « J'aime trop le côté pragmatique de Mél », dit-elle en reprenant les mots que j'ai pu prononcer. Mél par ci, Mél par là. Moi je crois que t'es amoureuse ma belle.

— Je... j'en sais rien. Je suis pas sûr qu'elle soit du même bord que moi, de toute façon. Donc la question ne se pose même pas.

— Qu'est-ce que tu en sais ? Et puis toi, avant de te rendre compte que tu aimais les filles, tu sortais avec des mecs, je te rappelle, rationalise-t-elle.

— Je sais mais... je cherche pas à comprendre. J'ai plus envie de me faire repousser, c'est bon, surtout si c'est pour que ça flingue notre amitié, argumenté-je.

— Je sais, t'as souffert avec l'autre connasse.

— June ! S'il te plait ! la supplié-je, une fois encore.

— Je sais que tu n'aimes pas quand je l'insulte, mais elle a vraiment été... euh... pas correcte avec toi. Et pour ça, elle mérite pas mon respect.

— Bon, c'est du passé tout ça, dis-je pour l'inciter à arrêter.

— Tout ça pour dire que c'est sans doute ça qui te bloque avec Mél. Et ça ne devrait pas. Tu as le droit d'être heureuse.

— Je sais, chuchoté-je, pensive.

— Et puis, elle m'a l'air bien cette fille ! Je serai plus sereine de te savoir avec elle que toute seule.

— June-la-protectrice est de retour, blagué-je.

— C'est trop dur d'être loin de toi, tu sais ! C'est cool les States, mais je commence déjà à m'ennuyer alors que je ne suis partie que depuis trois mois. 

— On se retrouve bientôt ! En plus on va pouvoir bien profiter avec le concert à Epernay ! la rassuré-je.

— C'est énorme qu'on fasse la première date de la tournée, je trouve ça tellement symbolique.

— Carrément ! Ça va être trop bien ! dis-je tout en m'imaginant cette soirée à venir. Pourvu que ces deux mois et... et neuf jours passent vite, vous me manquez trop Nico et toi !

-— Vous aussi ! Allez, je te laisse, moi je vais aller me coucher. J'ai intérêt à être en forme demain, on a encore des examens de phonétique. Ils sont fous ces Américains !

— Courage ! Tu vas t'en sortir, comme toujours. Si tu as été prise là-bas, c'est qu'il y a une raison.

— T'as sans doute raison.

— Bisous, ma belette.

— Bisous bisous. »

Ma Seconde Naissance [PAUSE]Where stories live. Discover now