Chapitre 3

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EDEN

— Eden ! C'est la troisième fois que je te demande de descendre, tu m'ignores maintenant ?

Oui, je l'ignorais, mais apparemment elle ne l'acceptait pas.

— Ton père souhaite te parler, alors descends tout de suite !

Depuis qu'elle savait que je ne me présentais pas au bal d'hiver, ma mère faisait preuve d'un mépris saisissant à mon égard. La limite étant la porte de la maison, j'avais remarqué qu'elle semblait y prendre du plaisir. Si papa voulait me parler, ça signifiait qu'elle lui avait dit pour la bourse. Je me levai et descendis sans lui accorder le moindre regard parce que « L'ignorance est le plus grand des mépris Eden, alors n'hésite pas à en user ».

Mon père était mon héros, il était directeur de l'hôpital de Little Rock, la ville d'à côté. J'étais clairement une fille à papa, mais ces derniers temps son attitude avait changé. J'avais l'impression qu'il m'en voulait pour une raison que j'ignorais, mais étant donné mon malaise permanent, j'avais peut-être tort.

— Ma puce, ferme la porte et assieds-toi s'il te plait.

Je fermai la porte de son bureau et m'installai en face de lui. Je me souvenais de la première fois que j'étais entrée dans cette pièce, c'était le jour de mes quatorze ans. Le bureau de papa était la pièce interdite de la maison, j'avais toujours cru qu'il y cachait le secret de ses super pouvoirs, ceux qui lui permettaient d'être aussi fort, de me protéger à chaque fois, de tuer tous les monstres qui hantaient mes nuits et me faisaient peur au point de mouiller mon lit jusqu'à mes douze ans. 

Lorsque j'y étais entrée, j'avais tout observé, les murs recouverts d'une tapisserie bleue avec des fleurs de lys or, faisant référence à la royauté française. Son bureau était une réplique de celui d'Alexandre 1er, avec un fauteuil ayant appartenu à l'empereur lui-même et qui avait été achetée aux enchères par mon arrière grand-père. La bibliothèque en bois d'ébène de Madagsacar, créé par un ébéniste français regorgeait de livres tout aussi passionnants les uns que les autres.

Je me souvenais de mon choc lorsque j'avais trouvé un exemplaire de « Mein Kampf » d'Hitler et de quasiment tous les livres interdits dans le pays, « Sa majesté des Mouches » de William Golding, « L'Attrape coeur » de J.D. Salinger, « Lolita » de Vladimir Nabokov et d'autres encore. 

Papa m'avait expliqué que pour comprendre pourquoi ils avaient été interdits, il avait eu besoin de les lire et surtout que certains étant des éditions originales, il ne pouvait pas s'en débarrasser. Pour le livre d'Adolph Hitler, il appartenait à mon grand-père, il m'avait dit qu'il ne comprenait pas comment un seul homme avait réussi à engendrer autant de cruauté en si peu de temps. Il avait voulu lire la folie de cet homme et je lui avais demandé s'il était antisémite, raciste, cruel ou malade comme Hitler, ce qui avait été une erreur.

Pendant une semaine, il ne m'avait pas adressé la parole, maman m'en avait voulu aussi, comment avais-je pu insulter papa de la sorte ? Je ne le voyais pas de cette façon, pourquoi mon père lisait des horreurs pareilles ? Ça me semblait légitime comme demande, mais c'était une question à laquelle je n'avais jamais eu de réponse. Quelques semaines plus tard, sous mes yeux, il avait brûlé le livre et n'en avait plus jamais reparlé.

— Ta mère t'en veut beaucoup pour le bal, tu sais, commença-t-il en me servant un fond de Glen Grant à mille dollars la bouteille.

— Je ne veux pas papa, pas cette fois-ci, dis-je en buvant d'une traite mon verre.

Il approuva d'un sourire. Mon initiation à l'alcool avait commencé deux ans auparavant et maman ne savait rien bien entendu. J'avais goûté aux meilleurs vins de notre cave et pour les alcools forts, j'avais commencé à seize ans, papa jugeant que c'était un âge raisonnable, lui-même ayant été initié à treize ans.

Pourquoi j'ai tué Silas SmithOù les histoires vivent. Découvrez maintenant