Chapitre 2

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SILAS

Depuis plusieurs semaines maintenant, un sentiment étrange m'assaillait. Une gêne, comme si j'avais une écharde que je ne pouvais retirer qu'en m'arrachant la peau.

Ça avait commencé peu de temps avant que je ne croise Eden Moore en pleurs au lac. Je me souvenais de ma surprise lorsque je l'avais vu, la belle Eden en train de pleurer ? Sa mère deviendrait hystérique si elle savait que quelqu'un avait aperçu sa fille en larmes, triste Eden...

Mais au-delà de ça, j'avais éprouvé un besoin vital de protection envers elle, je ne savais pas pourquoi, ça s'était réveillé comme ça d'un coup et je ne comprenais pas d'où ça venait.

Depuis ce soir là au lac, je ne pouvais m'empêcher de l'observer. Ça faisait légèrement psychopathe, mais quelque chose n'allait pas chez elle et j'avais l'impression que ça ressemblait à ce qui n'allait pas chez moi non plus. Comme si je reconnaissais son mal-être, comme si un fil rouge reliait sa tristesse masquée à la mienne, comme si j'avais besoin d'elle pour comprendre, et plus nous nous fréquentions, plus je le ressentais.

Ça me rongeait tellement que je n'avais même plus envie de servir la communauté comme je le faisais habituellement. Mon père était fils de pasteur et oncle Joseph, le frère jumeau de papa, avait repris le flambeau, alors nous avions reçu une éducation religieuse avec Jonas, mon frère aîné. Une éducation prônant l'altruisme, la tolérance, le partage et l'honnêteté. Une éducation qui nous imposait un certain code de conduite, des obligations dominicales et matinales, et surtout un comportement irréprochable en public comme en privé.

Jonas n'avait pas supporté, il était parti la nuit de ses dix-sept ans, il y a cinq ans. Ma mère, Anne, avait menti à toute la communauté, la version officielle disait que Jonas Smith était parti étudier une année en Europe avant de s'engager dans la Navy par patriotisme. En réalité, mon frère avait disparu et n'avait plus jamais donné signe de vie, à personne.

Je le comprenais.

Pour compenser cette perte, j'avais dû devenir Silas Smith, l'aimé de tous. Aider les autres me rendait heureux, mais devoir rester parfait à toutes occasions me demandait un réel effort et je n'avais plus de force. Je n'avais plus la force de servir, d'aider, de donner, parce que j'avais l'impression de ne plus rien avoir à offrir, qu'on m'avait déjà tout pris. Pourtant, j'étais dans la cuisine avec maman, en train de l'aider à préparer des paniers-repas pour le centre d'accueil de Sherwood.

— Tu sais que les Moore viennent dîner à la maison vendredi soir ? Tu es ami avec la belle Eden il me semble, enfin depuis quelque temps...

La belle Eden, tout le monde l'appelait comme ça, c'était normal d'ajouter cet adjectif devant son prénom, la beauté angélique.

La triste Eden était pourtant plus approprié, si triste qu'elle ressemblait parfois à ces poupées de cire, figées, un sourire aux lèvres, mais le regard si vide que, si on se risquait à la regarder dans les yeux juste un peu trop longtemps, on pouvait s'y perdre. 

— Nous nous fréquentons peu maman.

— Elle a pourtant l'air de t'apprécier...

— Elle est plus sympa qu'elle n'en a l'air, mais nous ne nous connaissons pas vraiment.

Et c'était vrai, je ne savais pas grand-chose d'elle, à part qu'elle voulait quitter Sherwood, qu'elle aimait courir et que la seule personne en qui elle avait confiance était son amie Charly.

La plupart du temps, c'était moi qui parlais, mais j'avais remarqué qu'elle m'écoutait. Son attitude avait changé, elle était moins comme sa mère le voulait et plus comme elle était vraiment je supposais. Elle souriait plus souvent, et parfois elle discutait avec des gens qu'elle ignorait ouvertement habituellement, même si ça ne durait que quelques secondes.

Pourquoi j'ai tué Silas SmithOù les histoires vivent. Découvrez maintenant