Chapitre trente-trois

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LEWIS

À tous justes vingt-six ans, j'ai déjà eu deux vies.

Celle avant mes dix-huit ans et celle d'après.

Mes premières années, je ne m'en souviens que très peu comme bon nombre d'enfants. Il arrive que j'aie des flashs de ma mère me tenant dans ses bras, ou des rares séances photos que nous faisions dans un parc ou l'odeur de la chocolatine qu'elle m'achetait pour le goûter du mercredi. Je me rappelle aussi des quelques dessins ou plutôt des quelques gribouillages accrochés sur le mur de la chambre et de mon petit piano que j'avais eu à mon dernier noël, qui ne me quittait pas.

Par contre, les treize années suivantes sont gravées en moi à l'encre indélébile. Elles marqueront à jamais ma vie.

C'est précisément à l'âge de cinq ans que ma mère, jusque-là célibataire, a rencontré celui qui deviendrait son mari, le père de Poppy et donc forcément mon beau-père.

Elle est née un an après... Un an après qu'ait débuté mon calvaire.

Mon beau-père ne m'aimait pas, ça tombait bien, je ne l'aimais pas non plus. Il ne m'acceptait sous son toit que pour avoir ma mère.

Elle était amoureuse pour la première fois.

Elle avait une vraie maison pour la première fois.

Et moi, j'avais un placard au lieu d'un lit, pour la première fois...

Ma mère n'était pas d'accord sur la façon dont il me traitait, mais mon beau-père lui disait que j'avais un sale caractère, que je faisais trop de bruit, que j'étais comme mon père et qu'il n'y avait pas d'autre façon pour que j'apprenne à obéir. Mais plus il me punissait et plus je m'endurcissais en grandissant.

La première punition était tombée lorsqu'à mon habitude, je m'étais mis à jouer de mon petit piano. Il venait de rentrer et je le revois encore foncer sur moi, m'arrachant des mains mon piano afin de le fracasser sur le mur. Je m'étais mis à pleurer, à hurler qu'il n'avait pas le droit de faire ça, et à lui taper sur les jambes avec mes petits poings. Il avait cassé et anéanti ce que j'avais de plus précieux.

Ce soir-là, je n'avais pas eu le droit de manger pour avoir osé crier et taper sur lui.

Ensuite, tout était bon pour qu'il me punisse et que je termine ma nuit à pleurer. Seul. Dans le noir. Dans ce placard sentant la moisissure et le détergent. Je partageais cet espace avec les balais et les serpillières qui au fur et à mesure étaient devenus mes amis. Je leur avais même donné des noms. Il y avait le balai en paille qui me faisait penser à la crinière de Jolly Jumper que j'imaginais chevaucher à travers de grands espaces. Ses amis May, le balai-brosse et son inséparable serpillière Day. À eux deux ils formaient l'équipe de secours MayDay ! Et puis la petite dernière, l'éponge Bérangère qui attendait son tour sur l'étagère.

Mais, il y avait malgré tout des nuits plus dures que d'autres où je finissais par me pisser dessus de peur et de froid. Au petit matin, il ouvrait enfin le placard et m'ordonnait de nettoyer mon pyjama sali par mon urine après m'avoir mis une bonne fessée sur mon cul nu et gelé.

Je me suis arrêté de pleurer quand Poppy est née pour ne pas la réveiller la nuit. Elle, elle avait le droit de pleurer mais pas moi. Mais ce n'était pas grave, car le rayon de soleil qu'elle était pour moi le valait bien.

J'ai grandi sous les coups, les insultes et les privations. Mais au lieu de me briser, il n'a fait que renforcer ma haine envers lui. Poppy grandissait et les mots durs envers elle aussi. Les gifles sont apparues au fur et à mesure, pourtant je faisais en sorte de me dénoncer à sa place le plus souvent possible pour lui éviter sa colère.

A Pile ou Face - MILO | TerminéeTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang