– Entrez, dit-il en se poussant.

Elle hésita quelques secondes avant qu'un éclair et un coup de tonnerre ne la fassent entrer d'un bond dans la demeure. Quand la porte claqua derrière elle, elle se sentit soudainement étouffée : à l'intérieur, le hall de l'entrée était gigantesque avec d'immenses tentures bordeaux accrochées aux murs, représentant tantôt des scènes de chasses, tantôt des batailles meurtrières. Des colonnes de boiseries sculptées donnaient à l'intérieur un état plus ancien. Au sol, le parquet usé craquait sous ses pas. Si la personne qui vivait là paraissait assez fortunée, elle se désintéressait visiblement totalement de la tenue de la maison. La poussière s'accumulait sur les meubles et le bois n'avait pas été ciré et lustré depuis des années, donnant une couleur terne aux marbrures qui, à l'époque de leur gloire, devaient être la fierté de cette bâtisse. Pour assombrir encore plus le tout, les lourds rideaux aux couleurs sombres ne semblaient pas avoir été lavés depuis longtemps et les fenêtres étaient presque opaques de saleté.

Quand elle leva les yeux, les lustres, en cristal sûrement, semblaient figés dans le temps, immobiles, éclairant à peine cet immense hall. Puis son regard croisa celui du vieil homme qui la détaillait sans vergogne : assez mince et fine, elle avait des épaules carrées témoignant d'une bonne condition physique. De longs cheveux châtains, qu'il imaginait teints, bouclaient légèrement sur les pointes. D'immenses yeux marrons, un petit nez en trompette et quelques taches de rousseur discrètes sur ses joues, lui donnaient un air mutin et malicieux.

Camila se sentit soudain épiée sous toutes les coutures, presque gênée que ses pas aient déposé au sol de l'eau et de la boue agglutinées sur ses bottes. Peu farouche, elle fixa son nouvel interlocuteur et son style assez « vieille école » : il était habillé d'un pantalon gris passé, d'une chemise n'ayant visiblement jamais vu un fer à repasser et d'un gilet bordeaux aux coutures usées. L'homme aurait pu avoir un visage avenant, presque aimable, s'il n'avait pas eu un regard aussi dédaigneux. Camila aimait observer les gens. Elle essayait de deviner leur vie, leurs pensées : ici, cet homme était grand et sec, le crâne habillé de courts cheveux gris, allant avec son menton mal rasé. Son regard était doux pourtant, comme s'il subissait la lourdeur de cette demeure de tout son poids. Oui, cet homme semblait fatigué et malheureux.

–  Je vais prévenir Madame, dit-il sur un ton monocorde et lugubre allant parfaitement avec le décor.

Elle ne prononça aucun mot, faisant seulement un petit geste de la tête. Elle n'osait bouger par peur d'étaler la boue sous ses bottes, mais, piquée par la curiosité, elle s'avança tout de même. Devant elle, un immense escalier d'une trentaine de larges marches se scindait en deux en haut, pour partir d'un côté à gauche, et de l'autre à droite. En haut des marches se trouvait un mur nu, vraisemblablement orphelin d'un immense tableau qui avait laissé une légère trace jaunie rectangulaire. Qui l'avait enlevé ? Que représentait-il ? Camila pouvait s'imaginer de multiples scénarios tous plus rocambolesques les uns que les autres.

De chaque côté de l'escalier s'enfonçait un corridor avec une porte au bout de laquelle Camila imagina les cuisines et les chambres des domestiques. Parce que domestiques il devait forcément y avoir dans une telle demeure.

Elle progressa et découvrit une pièce à sa gauche. Celle-ci semblait être une immense salle à manger. En son centre trônait une table en bois massif entourée de huit chaises. Aux murs s'alignaient d'immenses cadres dépeignant des scènes d'un autre temps et des meubles massifs renfermant certainement des verres en cristal et de la porcelaine raffinée.

Camila fit deux pas en arrière et tourna la tête à sa droite. Cette salle avait tout d'un salon avec son piano sans âge, sa harpe qui semblait faire de la figuration, et ses larges fauteuils qui, s'ils n'avaient pas été si poussiéreux, auraient presque eu l'air moelleux et confortables. Bien sûr, il devait y avoir d'autres pièces adjacentes, et en haut, les chambres et les salles de bains. Y avait-il un sous-sol ? Sa chambre de bonne y serait-elle ?

Journal d'une Confidente - CamrenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant