48. Deux ans

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Deux ans... Quand on n'en a même pas quinze, c'est énorme. Et quand on est un simple adolescent, qu'on se construit et qu'on devient un homme, alors ces deux années deviennent les plus importantes de toute une vie.

Quand j'ai découvert la région parisienne, à l'arrière de la vieille Citroën de ma mère, simplement armé de mon violon, de mon carnet à croquis et de ma candeur, je ne pensais pas que je grandirais autant. Et je ne parle pas de la taille, hein. Même si j'ai en effet pris quelques centimètres et des épaules, c'est dans ma tête que la plus grande des transformations a eu lieu. Tout en restant le même sale môme insoumis et un peu fou, j'ai changé. À mon arrivée, j'étais n'importe qui, un simple provincial qui venait poser ses valises sans rien connaître du monde dans lequel il mettait les pieds. J'ai fini par devenir quelqu'un. Moi. Une personne, une vraie, avec ses doutes, ses peurs, ses espoirs et ses délires.

En deux ans, j'ai appris des choses qui m'étaient inconnues, et cela m'a aidé à me construire et à faire de moi le Gabriel que je suis aujourd'hui et qui peut regarder vers l'avenir sereinement. Je peux jeter un coup d'œil derrière moi sans rien regretter, en étant fier de ce que j'ai accompli, même si parfois, c'était dur et si je me suis plusieurs fois bien ramassé.

J'en ai fait des conneries ! Et alors ? Tout le monde devrait en faire ! À quoi ça sert de vivre si on reste sagement assis derrière la vitre du salon en ayant peur de sortir et de s'écorcher le genou en trébuchant sur le destin ? Tant qu'on est généreux, qu'on pense au bien des autres et à la justice et qu'on combat la bêtise et la méchanceté, on devrait tout pouvoir se permettre, sans tabou ni limite. La religion, l'origine, le sexe, l'attirance pour l'un ou l'autre genre, tout ça, ce ne sont que des conneries inventées par les hommes pour mieux se séparer. Mais au final, on est tous faits de la même chair et du même sang. Quoi qu'on puisse dire, on vit tous sur la même planète, il faut l'accepter et faire avec. La seule certitude que j'ai, aujourd'hui, c'est qu'il ne faut en avoir aucune. On a tant à apprendre les uns des autres, on peut construire tellement de choses simplement en se serrant la main qu'il faut saisir toutes les opportunités sans réfléchir.

Moi, j'ai eu la chance de faire des rencontres exceptionnelles. Tout ce que j'ai vécu, je le dois à ces personnes. Grâce à elles, je me serai bien amusé. Elles ne savent pas à quel point je leur en suis reconnaissant. Elle m'ont aidé à construire ma vie. Elles sont ma vie.

Le premier regard que j'ai croisé dans la grisaille du quatre-vingt-treize, ce fut celui d'Ana. Ma petite gazelle africaine qui, au début, me voyait comme une bête étrange, mais qui, en tant que parfaite petite princesse, s'est mise à vouloir apprivoiser le drôle de renard que j'étais. Je lui dois mille roses et une infinité de baisers. Rien n'effacera jamais le fait qu'elle fut la première que j'ai embrassée, la première qui m'a fait ressentir des choses, la première à me montrer que j'étais un adolescent malgré mon corps d'enfant. Et aujourd'hui, après avoir tant pleuré, elle semble enfin heureuse, dans les bras de son Nicolas. Un beau truand celui-là ! Il nous en aura fait voir de toutes les couleurs avec Rachid, mais la hache de guerre est définitivement enterrée sous le totem de leur rancœur. Sur mon mur, eux aussi sont représentés, dans la foule, derrière Khoudia et Vanessa. Jamais deux amis ne devraient avoir à se détester et à se faire la guerre. Jamais ils ne devraient avoir à se blesser et à s'insulter. Haïr ceux qu'on a aimés, ce n'est pas une vie. Heureusement, maintenant, tout est fini, et le pardon a balayé les coups de chaine et de couteau. Un simple mot, un simple regard peut faire basculer dans l'horreur des vies bien rangées. Une simple poignée de main, un simple sourire, de simples excuses permettent de tout arranger. Il suffit de le vouloir. Mais ces épreuves qu'ils ont traversées, que bien malgré moi j'ai vécues à leur côté, elles les ont fait grandir. J'espère que, pour tous les jeunes qui suivront, ils se comporteront en grands frères modèles, prêchant la paix et le respect au lieu de la haine et de l'intolérance. Ce sont les plus grands qui montrent le chemin aux plus jeunes. Leur responsabilité est immense, mais je crois qu'ils sauront s'en montrer dignes.

GabrielWhere stories live. Discover now