15. Petit mensonge et grande vérité

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« Bisous, m'man, passe une bonne journée, je file ! »

Renée trouvait quelque chose de changé chez son fils, mais elle ne savait pas quoi. Cette année était celle de tous les dangers, il lui arrivait de culpabiliser de ne pas avoir envoyé Gabriel dans un très bon collège au lieu de Léon Blum, plutôt connu pour ses résultats moyens voire médiocres. Mais elle l'avait fait en connaissance de cause. Elle voulait que son rejeton se fasse sa propre opinion de la société et découvre par lui-même le monde réel, celui des gens qui ne sont pas nés avec une cuillère en argent dans la bouche et qui pètent dans autre chose que de la soie. À la maison, Gabriel parlait très peu de son établissement scolaire et à peine plus de ses camarades. Peut-être une forme de pudeur ou de volonté de s'en sortir par lui-même, pensait-elle. Mais une chose était certaine, Renée n'était pas dupe. La vie devait parfois être bien difficile pour le jeune adolescent.

Mais ce matin-là, c'était vraisemblablement autre chose qui perturbait le collégien. Après son premier cours du soir à l'atelier, il était rentré plutôt tard et s'était immédiatement jeté dans son lit. Sa mère l'avait parfaitement entendu pleurnicher. Au petit-déjeuner, par contre, il était radieux comme jamais et il lui avait expliqué à quel point cette expérience artistique était enrichissante. Il n'attendait qu'une seule chose, que sa mère lui donne l'autorisation d'y retourner. Car si Madame Lesavre lui ouvrait volontiers ses portes le mardi et le jeudi, Renée refusait que son fils y aille plus d'une fois par semaine. Il n'avait que treize ans et devait donc éviter de se coucher trop tard en semaine et de traîner dans les transports, le soir, en dehors des week-ends. Alors, après moult négociations, la chef de famille et l'adolescent s'étaient mis d'accord, cela serait le mardi, si les devoirs étaient faits.

La mère, pourtant si proche de son fils, avait parfois bien du mal à le comprendre, même si leur relation était toujours fusionnelle. Ce mercredi matin, ce sourire étincelant la rassura, mais elle restait légèrement angoissée, sans comprendre pourquoi. Peut-être tout simplement parce qu'à chaque fois que le châtain avait cette expression sur le visage, elle s'accompagnait d'une nouvelle idée tordue dans sa petite tête d'oisillon.

Et en effet, cette nuit-là, Gabriel avait peu dormi et beaucoup réfléchi, chose habituellement peu recommandable pour le métabolisme des collégiens, cette espèce animale qui préfère souvent, avec raison, roupiller plutôt que cogiter. Il n'avait pu se débarrasser de l'image de cette Élise – qui s'était gravée dans son esprit – qu'en repensant aux problèmes du quotidien et à la prochaine étape de son plan, celui qui changerait les choses au collège. Il ne voulait et ne pouvait pas abandonner. Ce n'était pas que son honneur qu'il mettait en jeu, mais aussi son amitié avec Ana ainsi que le devenir de tous ceux qui avaient bien voulu croire en lui. Le garçon insouciant avait à présent des responsabilités, il ne devait pas décevoir les membres du MK, son propre clan. Même si cela le dépassait un petit peu, il était prêt à accepter son rôle sans le fuir. Et aujourd'hui, il était décidé à enfin apprendre la vérité à propos de Khoudia et de Vanessa. Pour cela, le collégien avait son après-midi de libre ainsi qu'une idée derrière la tête. Maintenant qu'il avait l'autorisation de venir aux cours du soir, il n'y avait plus le moindre intérêt à supporter les artistes immatures de treize à quinze ans qui s'émerveillaient devant des statues de sel, des collages et des dessins amateurs. Florence Lesavre l'avait bien compris et lui avait conseillé d'utiliser ses mercredis à de meilleures fins.

Dans ses magnifiques habits bleu ciel qui contrastaient fortement avec le gris-vert des parpaings et du béton, le jeune adolescent arriva au collège le cœur léger. Dans la cour, il chercha du regard son ami Djibril, avec qui il avait certes eu quelques anicroches dernièrement, mais qu'il adorait trop pour accepter de rester fâché avec lui plus de quelques heures. Et surtout, il voulait lui exposer son nouveau plan et obtenir son avis. Même s'il suivait très rarement les conseils du petit Marocain, Gabriel avait besoin de l'écouter, autant pour modérer son propre point de vue que pour profiter de cette petite voix fluette et mélodieuse qui n'avait pas encore mué et qu'il aimait tant. Après l'avoir cherché partout et alors que la cloche sonnait le début des cours, le châtain dut bien admettre l'évidence : il n'était nulle part.

GabrielWhere stories live. Discover now