37. Le jardin secret de Maxou

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À part avec Clèm, je n'ai jamais parlé de ces choses-là avec personne. C'est un peu mon jardin secret. On a tous un jardin secret. Le mien ressemble juste à la forêt amazonienne. Je m'appelle Maxime Darnan, du nom de ma mère qui est d'usage dans toute la famille, j'ai quinze ans depuis quelques jours, je suis plutôt beau gosse avec ma peau de bébé, mon air d'ado et mes magnifiques cheveux jaune orangé coiffés avec du gel. Et puis, j'ai du goût, que ce soit en matière de fringues ou de gonzesses, j'assure toujours. J'aime le sport, aussi, surtout le hand que je pratique en club. Et puis, comme tous les jeunes de mon âge, j'aime m'amuser, faire le con et rigoler. Même si parfois, je me comporte comme un gros con, les gens m'aiment bien. Et ceux qui ne m'aiment pas savent qu'il vaut mieux éviter de me chercher. Je peux être très vicieux quand on m'emmerde, ou quand on s'en prend à ceux que j'aime. Chose assez rare, d'ailleurs, vu que je n'aime pas grand monde. Ma mère prétend que je n'aime que moi. C'est faux, je lui ai juste toujours caché ceux qui comptaient vraiment à mes yeux. Elle dit aussi que je suis insupportable à me foutre de tout. C'est vrai que je me moque de mes notes moyennes, je suis dans le meilleur collège de la capitale, ça me servirait à quoi, en plus, d'être premier ? À rendre fière ma famille ? Elle s'en tape. Dans le clan, ce ne sont pas forcément les plus brillants qui ont le mieux réussi, malheureusement. Je m'en fous aussi que mon écriture ne soit pas très belle, que je sois nul en musique et en art et de tous mes nombreux autres défauts. Je veux juste que les gens m'aiment pour mes qualités. En fait, non, je veux juste qu'on m'aime, même sans raison, c'est pour ça que je drague tout ce qui me passe sous la main. Le simple fait de sentir ces regards amoureux braqués sur moi, ces peaux douces contre mes mains, ces cœurs battant dans autant de petites poitrines à la simple évocation de mon prénom... C'est important pour moi. Est-ce que cela fait de moi un salaud ? Peut-être... Mais je n'ai jamais voulu être méchant, je n'ai jamais voulu faire de mal à quiconque. J'ai juste toujours eu une furieuse envie de vivre. Oui, vivre et vivre encore. Grimper des montagnes, chuter dans le vide, me relever et recommencer. Vivre. J'aime la vie pour ne pas la haïr. C'est couillon mais c'est comme ça.

Je m'appelle Maxime, mais tout le monde m'appelle Maxou, j'ai quinze ans et je hais mes parents. Pourtant, ils n'ont jamais été méchants avec moi. Ils ne m'ont jamais fait le moindre mal. Au contraire, je suis un gamin pourri gâté, un enfant roi à qui on a passé tous ses caprices et qui a toujours eu plus de jouets que les autres. C'est pour ça que je les déteste, ces objets débiles et cette famille de merde qui croit que l'argent résout tous les problèmes.

Le seul dans le clan que je respecte vraiment, c'est grand-papy, mon arrière-grand-père, Ferdinand. Malheureusement, il est mort quand j'avais treize ans, mais il a toujours été adorable avec moi. Dès que j'ai eu l'âge de comprendre les choses, il m'a pris sous son aile et il m'a raconté sa vie. Jusqu'au bout, il a su garder une certaine lucidité qui lui permettait de voir ce que sa descendance avait fait de tout ce qu'il avait construit, et d'en pleurer seul le soir. Il a commencé à travailler en usine, il avait quatorze ans. Il n'a jamais fait d'études, mais il était courageux, et intelligent avec ça. À dix-sept ans, il était chef d'équipe, et à vingt, il créait sa propre petite entreprise. Son idée était géniale : les petites pièces. Pour faire des voitures, des avions et des bateaux, on a toujours besoin de petites pièces. Produire ces petites pièces, c'était s'assurer de nombreux clients sans se faire chier avec l'assemblage. À vingt-quatre ans, il se maria avec mémé Berthe, et à vingt-cinq, il racheta l'usine qui l'avait formé. À cinquante, il était à la tête d'un des plus grands empires industriels français, spécialisé en aéronautique militaire. Son principal client, c'était l'État, ce qui assura la prospérité de ma famille. Et comme de nombreux grands patrons avant lui, il fit une grave erreur, heureusement sans gravité pour la société, mais catastrophique humainement parlant : il désigna son fils ainé, un fainéant médiocre et prétentieux né une cuillère en argent dans la bouche et des couches en soie au cul, comme son successeur à la tête de l'empire. Mon grand-père, Marcel. Qu'est-ce que grand-papy a pu regretter cette décision. Il s'en est voulu jusqu'à la fin de sa vie en voyant l'arrogance dont faisait preuve son propre gosse et sa suffisance envers le monde entier, alors qu'il n'avait jamais rien prouvé à personne. Ça, c'est sûr, le vieux Marcel, c'est un escroc. Aujourd'hui encore, il règne d'une main de fer sur les entreprises familiales, comme s'il les avait créées, alors qu'il n'a fait qu'en hériter et timidement les développer. Dans la famille, tout le monde lui obéit aveuglément. C'est bien normal, c'est lui qui décerne les postes en vue dans les différentes structures à ses enfants et neveux, voire petits-enfants et petits-neveux. Impossible d'accéder à un siège de directeur sans avoir du sang « Darnan » dans les veines. À moins bien sûr, comme mon père, d'avoir fait un bon mariage avec une des héritières. Dans notre empire, c'est la médiocratie qui est la norme, pour ça que je ne me fais aucun souci quant à mes résultats scolaires. Et dire que ça donne des leçons à la France entière... Même si je foire le bac, je sais que j'ai déjà un bon boulot grassement payé qui m'attend, à moins de me la jouer dandy cool et de vivre d'une simple rente, bien au chaud dans quelques conseils d'administration et en vacances onze mois sur douze, comme mon oncle Jean-Claude. C'est comme ça que ça fonctionne dans le groupe Darnan, et ça me donne envie de vomir. Surtout qu'avec ce putain de nom derrière mon beau prénom, personne n'ignore que je suis pété de thunes. Pas étonnant que même les plus gros connards du collège me respectent. On ne se met pas un Darnan à dos pour rien. Ridicule.

GabrielWhere stories live. Discover now