11. L'amour au pied du sapin ?

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Gabriel ne pouvait pas laisser Djibril rentrer seul chez lui dans cet état déplorable, surtout après avoir été la cause de son chagrin. Pourtant, il ne regrettait rien de son geste. Il savait que sa méthode était un peu extrême, mais il ne supportait plus de voir son ami se sentir si mal dans sa peau sans, au moins, le mettre sur la voie. C'était sa façon de l'aider, il ne culpabilisait pas pour ça. Il savait qu'au fond de lui, Djibril lui était reconnaissant d'avoir brisé ce tabou qui lui pesait tant. Sur le chemin, alors que la nuit était déjà là, le jeune Marocain ne lâcha pas la main de son camarade qui l'accompagnait. C'était sa façon à lui de se venger, mais aussi de dire « Merci ». Ne plus avoir à se cacher, pouvoir librement avoir les gestes qui étaient les siens, tant que personne ne regardait, c'était, en fait, une vraie libération.

« Eh mais j'y pense, tu m'as dit que tu étais arabe, mais en fait, t'es même pas arabe, t'es berbère non ? »

Djibril se trouva étonné par cette remarque. S'il était fier d'avoir du sang marocain dans les veines, il n'avait jamais précisé de quel mélange il était fait. Depuis le primaire, il avait l'habitude d'être le petit Arabe de service. Pourtant, sa peau douce et beurrée, ses cheveux aux multiples reflets, ses yeux profonds et son nez rondelet n'étaient pas originaires de la péninsule arabique. Sa religion, ou plutôt celle de ses parents, était celle du monde arabo-musulman, et même si nombre de ses ancêtres étaient des colons arabes appliquant à leur manière le djihad, la branche majoritaire de sa famille était bien amazigh, comme c'était d'ailleurs le cas pour plus de douze millions de Marocains. Et comme nombre d'entre eux, sans même comprendre pourquoi ni comment, il avait fini en France avec une putain d'étiquette sur le front.

« Ouais, en grande partie, mais bon, tu crois que les autres font la différence ? Même Rachid qui est kabyle algérien d'origine, il se considère comme arabe, car en France, c'est comme ça que vous appelez tous les immigrants d'Afrique du Nord ! Pour vous, on est tous les même, alors on s'adapte ! »

C'était là, sans doute, une triste réalité. Si, à l'école, on enseignait la différence entre un Belge, un Espagnol et un Italien, il fallait bien avouer que, pour le commun des administrés de l'hexagone, les Chleus étaient germanophones, les Maures, de simples têtes sur le drapeau d'une ile indépendantiste et le reste des peuplades nord-africaine, tout bonnement des Arabes.

Alors qu'ils arrivaient devant chez Djibril, Gabriel lâcha en rigolant :

« Moi, je la fais, la différence, mon p'tit Berbère homosexuel adoré ! »

Énervé et rouge comme jamais, bien que cela ne se vît pas trop dans le noir, mais quand même touché par cette sincérité et, surtout, par cet élan de compréhension et d'amitié, Djibril lâcha la main de son camarade, lui déposa un léger bisou sur la joue et lui glissa quelques mots à l'oreille avant de disparaitre dans son hall d'immeuble :

« Rha, ta gueule Gaby ! Gros casse-couilles !

En rentrant chez lui, Gabriel se remit à son atelier et dessina de nombreuses choses qu'il n'avait jamais représentées avant. Deux hommes ensemble, deux femmes, un garçon qui rougissait, des baisers passionnés d'androgynes au sexe indéterminé. Tout ce qui lui passait par la tête et le faisait vibrer. Malheureusement, le mercredi suivant, aucun son ne sortit de sa bouche lorsqu'il dut expliquer en quoi ces dessins représentaient si bien l'amour, et une fois de plus, il fut recalé pour les cours du soir. Novembre se terminait à peine que déjà décembre était là, et en moins de temps qu'il n'en fallut pour s'en rendre compte, Gabriel était en vacances ! Noël approchait à grands pas et, désespéré, le jeune artiste lança un appel au secours sur son mur Facebook.

« Help ! Dans certains pays pas catholiques, comme ils s'en foutent de Jésus, Noël est considéré comme la fête de l'amour ! Mais c'est quoi, l'amour ? J'ai besoin de vos réponses, c'est urgent ! Cherchez pas à comprendre ! #gabystyle ! »

GabrielWhere stories live. Discover now