2. Les vacances de Gabriel

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Étrangement, la vie au septième étage n'était pas déplaisante. Les Rosalines formaient une nouvelle résidence bâtie sur les ruines de l'ancienne cité des Anges, rasée par la municipalité pour insalubrité. Du coup, à part ce maudit ascenseur qui ne fonctionnait que quand il le désirait, tout était fait à neuf. À chaque étage, on retrouvait des cultures différentes, mais étrangement, les gens semblaient plutôt aisés par rapport au reste de la ville. Le maire avait voulu redorer l'image de sa cité et la sienne en construisant des logements sociaux pour riches. L'opposition n'avait pas compris le problème mais avait voté contre par principe. La majorité n'avait pas non plus compris cette légère incohérence mais avait voté pour comme un seul homme. La majorité étant, de fait, plus nombreuse que l'opposition, le maire avait pu poser la première pierre peu après le début de son mandat et couper le ruban de l'inauguration bien avant les prochaines élections.

Du coup, même si la cité des Rosalines était faite de ce béton atrocement gris, la vie y était plutôt agréable et calme, à tel point qu'on aurait pu croire qu'une frontière invisible existait entre cette dernière et la cité voisine, nommée Léonidas et composée de trois cents logements vétustes. L'ancien maire, communiste mais cultivé, avait voulu y glisser une petite référence historique que les jeunes générations ne comprirent que bien plus tard grâce au film de Zack Snyder. D'ailleurs, plus que jamais, ce nom collait bien à l'endroit : les conditions de vie y étaient spartiates. Seul un petit point de détail différenciait les barres HLM de la ville antique : l'éducation n'était ni collective ni organisée, ce qui laissait la jeune génération livrée à elle-même. Elle avait donc investi de manière massive les halls et autres cages d'escalier du lourd ensemble. Ana habitait au troisième étage et, de sa fenêtre, elle pouvait observer le parking froid et malfamé ainsi que la place où elle avait rencontré ce drôle de garçon aux cheveux châtains et à la peau si pâle pour le quartier. Toute la semaine, il était venu dessiner les passants, tantôt au fusain, tantôt au crayon. Alors, tous les jours, elle guettait son arrivée et se précipitait à sa rencontre dès qu'il arrivait, non pas pour discuter avec lui, mais juste pour l'observer dans l'exercice de son art.

Il venait parfois le matin, parfois l'après-midi, et même une fois le soir, si bien que jamais elle ne pouvait prévoir. Ses journées vides, elle les passait donc à attendre en regardant le béton s'étendre à perte de vue. Il n'y avait de toute manière pas grand-chose d'intéressant à faire dans la banlieue pour sa génération. Elle se faisait chier. Et quand enfin elle ouvrit la bouche pour demander à Gabriel s'il ne s'ennuyait pas trop, ce dernier répondit avec fougue.

« Fous-toi pas de ma gueule, Ana, j'ai jamais été aussi occupé que cette semaine. C'est une question de volonté hein, entre les cartons à défaire, et franchement, je sature là, et ma mère qui me traine dans tous les musées publics et pas chers de Paris, j'ai à peine le temps de dessiner et de jouer du violon. »

Question de volonté, mais aussi de moyens et d'intérêt. Pour la jeune fille d'origine africaine, les musées, ce n'était pas vraiment son monde. L'histoire la faisait chier et l'art ne lui inspirait rien. C'était tout le contraire du jeune châtain. Ce dernier avait presque pleuré d'émotion devant la Joconde, en observant avec attention les moindres détails du fameux sfumato, cette technique qu'il considérait comme la plus élaborée de toute la renaissance et qu'il rêvait secrètement de maitriser un jour.

« Ah, parce que tu joues du violon aussi ? T'es vraiment un drôle d'animal toi, comment t'as atterri ici ? T'habites pas à Léonidas, non ? T'es de quel quartier ? »

D'un geste de la tête, Gabriel lui indiqua la rue qui menait vers les Rosalines, ce qui fit frissonner la jeune Ana. Ce petit blanc qui venait squatter leur place habitait bien de l'autre côté du collège. Heureusement que son frère, d'un an plus âgé qu'elle, n'était pas au courant, sans quoi il n'aurait eu de cesse de le harceler jusqu'à ce qu'il quitte les lieux.

GabrielWhere stories live. Discover now