10. Le secret de Djibril

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Le jour même de la dispute, Ana envoya un SMS à Gabriel pour lui annoncer leur rupture. L'adolescent accusa réception et se montra compréhensif. Il s'excusa même de l'avoir charmée sans penser aux conséquences. Le soir dans son lit, il pleurnicha un petit peu et, n'arrivant pas à trouver le sommeil, sortit son nécessaire à aquarelle et peignit l'œuvre la plus grise et maussade de son existence. Peut-être qu'après tout, Madame Lesavre attendait de lui qu'il ait le cœur brisé et qu'il comprenne que l'amour était une chimère juste bonne à faire souffrir. Malheureusement, le mercredi suivant, alors que la professeure lui rendait son tableau l'air sincèrement triste pour lui, il dut se rendre à l'évidence : encore raté.

À chaque fois que l'adolescent présentait une nouvelle œuvre, il devait expliquer la signification de cette dernière et en quoi il considérait avoir dessiné l'amour, sans trop comprendre pourquoi la grande artiste le poussait à réaliser cet exercice trop compliqué pour un jeune de son âge. Souvent, il s'arrêtait au bout de cinq mots, sans savoir vraiment quoi dire. Ce jour-ci, pourtant, il ne put s'empêcher de détailler les raisons de cette peinture si triste, cherchant peut être un peu de réconfort. Au lieu de quoi il ne reçut qu'une seule réponse peu encourageante :

« Gabriel, tu attaches trop d'importance à tes émotions immédiates. Prends du recul dans ta manière d'aborder les choses. »

Du recul ? Il n'avait pas forcément compris ce que la vieille dame grise voulait dire par là, mais en tout cas, il avait entendu. Il passa le reste de la semaine sans toucher à ses pinceaux, juste à réfléchir, à jouer du violon et à fréquenter Ana comme si leur petite amourette n'avait jamais eu lieu. Oh, la jeune fille en souffrait, son frère Mamadou pouvait en témoigner à la terre entière vu à quel point la vie à la maison était devenue compliquée. La jeune Africaine n'avait pas rejeté Gabriel à cause d'une pression familiale ou suite à l'insistance du groupe de Rachid. Non, elle l'avait fait par pure affection pour ce jeune éphèbe qui avait été physiquement blessé par sa faute. Et alors qu'elle regardait de pseudo-anges d'une émission pour débiles lobotomisés sur la douzième chaine, elle culpabilisait d'être la cause certaine de si vilaines ecchymoses sur le visage de son ange à elle.

Les deux dessins suivants furent aussi refusés. Il fallait bien avouer que Gabriel n'y mettait pas tout son cœur, préférant même trainer à la piscine avec sa mère pour une partie de water-polo improvisée, sport qu'il adorait, plutôt que de rentrer se remettre à son ouvrage. Cela n'était pas le signe d'un découragement, mais juste d'une prise de recul nécessaire. Au collège, Rachid et ses potes lui foutaient la paix. Leur dernière rixe s'était terminée en conseil de discipline, ce qui avait débouché sur des avertissements et de petites exclusions temporaires pour les agresseurs. Celui qui avait donné le premier coup ne devait son non-renvoi, une fois de plus, qu'à l'indulgence du directeur. Mais il avait bien compris qu'une période de calme était nécessaire, sans quoi plus rien ni personne ne pourrait le couvrir. Et du côté du clan de Vanessa, ces évènements en avaient effrayé plus d'un. Sans la moindre concertation, il avait été décidé par les deux groupes d'influence que plus personne ne serait autorisé à adresser la parole aux trois parias, Gabriel, Ana et Djibril, au risque d'être considéré à son tour comme un rebut de la société. Certains, peu nombreux toutefois, préférèrent rejoindre le côté des exclus de leur propre chef, considérant que cet isolement était, pour ainsi dire, une sorte de protection salvatrice.

Alors que novembre arrivait presqu'à sa fin, le garçon aux yeux bleu maya décida de passer à la vitesse supérieure dans son plan de recherche de l'amour. Les couleurs chatoyantes de l'automne l'avaient revigoré comme jamais. Florence Lesavre attendait de lui qu'il comprenne parfaitement ce sentiment si compliqué ? Une idée avait germé dans sa tête. Et si sa manie de flasher sur certains visages au point de devoir immédiatement les dessiner cachait quelque chose qu'il ne comprenait pas ? Et si sa proximité avec certaines personnes, cette affection folle qu'il avait pour ceux qui lui étaient chers, était juste sa façon à lui d'aimer, et donc celle qu'il devait reproduire sur papier ? Oh, il avait bien déjà soumis à sa professeure un portrait de sa propre mère qu'il adorait plus que tout ainsi que de ses petits cousins Enzo et Lucas qui lui manquaient, sans le moindre succès. Mais si la solution était juste d'aller plus loin dans cette voie ? Et si le problème ne venait pas simplement de son esprit trop étriqué ? Il avait toujours eu l'impression d'être un véritable modèle d'ouverture d'esprit, mais quoi de plus simple que d'accepter la différence si on n'y est pas directement confronté ?

GabrielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant